Babyphone

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Quel est le pire fléau entre l’intelligence et la bêtise ? Ne serais-je pas mieux dans le vide et l’ennui plutôt qu’en proie à l’hyperactivité et à l’imagination débordante de cette maudite cervelle ? Rares sont les moments d’accalmie. La nuit, c’est par le rêve qu’elle se défoule. Le jour, c’est avec un peu tout et n’importe quoi.

Je sors de la douche matinale, termine de me préparer et tombe en chemin sur un carton qui ne se trouvait pas là trente minutes plus tôt : le babyphone récupéré la veille en point-relais. Les enfants sont chez les grands-parents, journée donc idéale pour rattraper le retard accumulé des derniers jours. Dans la liste des corvées à abattre figure l’installation de ce nouvel appareil.

Ma femme, comme tous les jours, doit être affairée à laver et accrocher les vêtements des petits. Toutefois, ce carton ne s’est pas monté à l’étage ni positionné en plein milieu du palier par l’opération du Saint-Esprit.

Reçu cinq sur cinq, partenaire.

Ni une ni deux, me voilà armé d’une paire de ciseaux pour attaquer sans ménagement l’adhésif. Rapidité, efficacité. Écran, câbles de charge, caméra. Tout y est, en assez bon état. J’allume, teste les différentes commandes ainsi que le micro lorsque mes neurones s’agitent. Off. Retour dans le carton et direction la chambre des enfants.

— C’est libre ! crié-je à ma femme depuis le haut de l’escalier.

— OK ! Je finis d’accrocher tout ça et je monte. T’as testé le babyphone ?

— Oui, tout fonctionne et c’est déjà en place dans leur chambre. Pour le reste, laisse, je vais terminer. Tu peux monter maintenant si tu veux.

— Super ! Ras-le-bol des fringues !

Aussitôt descendu, je la libère de ses étendoirs bien chargés pour écouter son itinéraire habituel. Partager le même toit depuis longtemps n’a pas que des inconvénients. Elle ferme la porte pour éviter la propagation de la vapeur, ouvre les fenêtres pour en favoriser l’évacuation, se déshabille et franchit enfin le rideau de douche.

Une demi-heure, top chrono. Plus de temps que nécessaire.

Après avoir vidé le panier à linge, je retourne à l’étage récupérer le babyphone en vue de l’installer dans notre chambre, en prenant soin de placer la caméra dans la niche qui constitue la tête de lit. Du même blanc que les autres câbles, celui de l’alimentation se fond dans la masse, sans être invisible pour autant.

Je regagne le salon, en bas, écran dans la main, m’installe dans le canapé et attend le moment fatidique. Comme aux échecs, l’ouverture vient d’avoir lieu, les pièces sont avancées. Plus qu’à imaginer tous les développements possibles jusqu’à l’échec et mat. Dans le calme, j’attends. Mes yeux alternent entre la télé allumée, son coupé, et la pendule. Est diffusé sur Arte un documentaire sur les tigres du Bengale qui m’aurait captivé dans un contexte différent, mais dont je rate l’essentiel, trop absorbé par les images sous mon front.

Son corps nu, enveloppé d’une serviette qu’elle retire dans la chambre avant d’enfiler une tenue affriolante, histoire de sacrer l’absence des enfants. Alors je provoque un mouvement de la caméra dont elle perçoit le son. Le stratagème est révélé, l’invitation au jeu aussi. Tout fonctionne en effet. Elle et ses courbes claires ondulent tel un cobra au bout d’une flûte télécommandée. Les motifs en dentelle rouge s’approchent, suffisamment aérés pour laisser entrevoir des tons brun orangeâtre, séparés par une gorge où naissent des envies d’asphyxie passagère. Ces tons, semblables aux ronds de couleur sur une palette de peintre, invitent la langue à devenir pinceau. Bientôt.

La suite est au prix d’une cruelle attente. Madame se tourne avec lenteur sur une musique inexistante, m’offrant ainsi une ombre différente ornée de soie rouge. Son dos penche en avant pour mieux exposer un bel ovale de tissu, ovale dont la couleur commence à foncer en son centre. Quelques instants plus tard survient un glissement d’index et de majeur sur ce relief de plus en plus humide. Ma patience atteint ses limites. En voyante qui s’ignore, elle se met à recroqueviller ce même index plusieurs fois d’avant en arrière. Requête bien reçue.

J’entends soudain sa voix à l’étage :

— Chéri, t’es prêt ? N’oublie pas qu’on part dans vingt minutes. Faut pas qu’on soit en retard aujourd’hui sinon la toubib va encore nous faire la leçon.

Je soupire, happé par la réalité. Foutue cervelle.

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