La rencontre

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 Dans ce dédale froid, je suivais mon ombre. Perdu dans mes pensées, je tombai sur ce qui semblait être un être vivant. Il mesurait une trentaine de centimètres et était uniquement composé de ce que je nommerais une tête, bien que sans visage, de deux jambes aigrelettes ainsi que des excroissances d’un bleu profond qui ressemblaient à des tentacules ou à des lianes, lisses, sans ventouses, mais gluantes. Sous ces membres étranges, je pouvais distinguer ses yeux, deux gros yeux noirs qui semblaient inquiets. Ils fixaient une flasque posée sur une casse en bois non loin.

 Il semblait souffrir de sa petite taille, sans bras, j’imagine qu’il se servait de ses excroissances tentaculaires pour agripper des objets. Malgré cela, il ne pouvait atteindre ce qui semblait être l’objet de ses désirs. Il y avait quelque chose dans cette scène qui inspirait la pitié. Face à un tel spectacle, me vint l’envie de l’aider. Je tendis la main afin de saisir le contenant. Alors qu’avant la bouteille était à la hauteur de mon regard, une fois proche, je remarquai qu’elle était plus haute que je l’avais estimé. Je ne pus prendre la bouteille simplement, mais du m’agripper à la caisse pour pouvoir ne serait-ce qu’espérer la prendre. Un coup d’œil vers la créature : elle attendait, ses yeux brillaient d’un espoir infini, en une tentative, en un geste, j’étais devenu son sauveur. Je continuai de tenter de prendre cette flasque, étrangement, la caisse sur laquelle elle reposait n’était pas poussiéreuse, ni la caisse, ni la bouteille. Poussé par ces yeux mystérieux pétris d’un espoir presque enfantin, je fis un dernier effort et réussis à toucher l'objet de verre du bout des doigts et le laissai tomber.

 Sans bouchon pour contenir le liquide, ce dernier se déversa pendant la chute et doucha l’étrange créature. Bruits de verre se brisant plus loin, reflets et projecteurs sur les environs ; écho dans le bâtiment. Effrayée, la bestiole commença à courir, ou, du moins, ce qui y ressemblait le plus, et chercha un recoin sombre dans lequel se dissimuler. Tout s’est passé trop vite pour. Je restai là, hébété, au milieu de débris de verres se mélangeant avec le liquide noir.

 Je ne sais combien de temps je suis resté immobile, à fixer ces fossiles de verre englués de leur sang semblable à du pétrole. J’avais l’étrange impression d’être face à un cadavre, une charogne que même les vers refusaient de manger. Je m'interrompis dans cette contemplation lorsque j'entendis une voix aiguë surgir de derrière-moi.

  • Je dois te remercier… Plus précisément, je viens te remercier en personne pour cette douche si chaleureuse. Donc, en toute humilité, merci, merci pour cet accident qui a fait jouer le hasard en ma faveur.

 Je me tournai vers la provenance de la voix et vis la créature. Ses excroissances étaient passées du bleu foncé au noir. Elles semblaient mouillées, visqueuses. et lui affinaient quelque peu sa silhouette. La bestiole semblait avoir grandi de quelques centimètres. La différence était à peine perceptible, peut-être était-elle inexistante, ou était-ce un effet d’optique dû aux reflets provenant des tentacules « mouillées ». Malgré l’improbabilité de cet être et son apparente fragilité, il en émanait une prestance, insoupçonnable au premier coup d'œil, une aura solennelle et intemporelle, que seule une créature extraordinaire, au sens propre, pouvait avoir. Son existence était une injure à nos lois de logiques, physiques et évolutives. Elle ne pouvait qu’exister dans les songes d’un poète ou dans les rêves d’un fou. Mais elle était là, face à moi, était-ce une rencontre d’un troisième type avec une entité venue d’un autre monde, échappant à notre réalité biologique ?

 Elle était pourtant là. Paradoxalement, c'était son aura irréelle qui l'imposa dans mon monde comme un être acté. Pour mon esprit, elle n’était plus une chose oubliable, elle n’était plus une curiosité du vivant, elle était devenue une rencontre, de celles qui changent une vie. Plus elle me devenait réelle, plus elle s’imposait à mon esprit et plus j’avais l’impression d’entrer dans un morceau de rêve. Son remerciement fit le pont entre le non-être et l’entre-être. Elle était devenue. Par cette simple phrase, elle existait.

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