Chapitre deux

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En début d'après-midi, les amies décidèrent de descendre au rez-de-chaussée quand leurs ventres crièrent famine. Johan était installé près du bar et avait les yeux rivés sur son smartphone. Il leva la tête vers elles quand elles posèrent les pieds sur le parquet.

 - Vous faites un de ces bouquant ! grogna-t-il.

 - Pas de ma faute si les marches grincent, répondit Léane. Tu comptes faire quelque chose de ta journée ?

 - Et toi ? rétorqua-t-il.

 - Nous sommes le huit janvier, je suis encore en vacances !

 - Et moi je suis au chômage technique. Je ne sais pas si tu as remarqué mais il neige, donc impossible de faire un match avec les collègues.

  Léane leva les yeux au ciel. Pour elle, les journées de son frère se résumaient à jouer au rugby avec ses copains et à faire le beau devant ses groupies. Ce du lundi au samedi. Pas de changement notable pour le dimanche cependant, ils étaient dédiés aux matchs importants. Si les conditions météorologiques avaient été plus favorables en ce samedi, ils se seraient donc rendus au stade de rugby d'un des parcs de la ville pour courir après un ballon. C'était l'évidence même.

  Vivianne avait ouvert le Frigidaire et farfouillait à l'intérieur avec l'espoir de dégoter quelque chose à manger. Léane passa la tête dans l'encadrement de l'ouverture menant au salon.

 - Kévin n'est pas redescendu ? demanda-t-elle.

 - Non, pas vu, répondit distraitement Johan alors qu'il s'était reconcentré sur l'écran de son téléphone.

 - Je vais aller voir s'il a faim.

  Son amie se redressa rapidement et se cogna la tête sur l'une des étagères du réfrigérateur. Elle grogna et posa une main dans sa chevelure noire.

 - Tout va bien ? demanda Johan sans même prendre la peine de se retourner vers elle.

 - Oui, oui, miaula Vivianne.

  Elle adressa un regard sans équivoque à l'attention de Léane. La jeune femme savait que son amie détestait se retrouver seule avec Johan. Elle haussa les épaules et lui rendit un regard espiègle. Elle monta les marches en courant sous l'expression paniquée de la jeune femme. Arrivée au premier palier, toutes traces de bonne humeur l'avaient quitté. Elle n'avait jamais su dire pourquoi, mais cet étage de la maison l'avait toujours rendu mal à l'aise. Il était pourtant agencé de la même manière que le sien : trois chambres et une salle de bain. Plus jeune, elle redoutait les nuits où elle avait besoin de rejoindre ses parents quand elle était malade. Ceux-ci dormaient dans la pièce voisine de celle de Kévin.

  Une fois devant la porte de son frère, elle s'apprêta à frapper quand elle entendit sa voix. Il semblait être au téléphone et la discussion avait l'air assez tendue. La jeune femme se ravisa, la curiosité piquée à vif. Elle posa son oreille contre le bois.

 - Ecoute-moi bien, je ne remettrais plus les pieds en Italie, c'est fini !... Attends, après tout ce que tu m'as montré, il faut être au moins aussi fou qu'eux pour savoir ça et vivre avec !... Oh mais ne t'inquiètes pas, je ne retournerais pas non plus à Ouneiro raconter tes petits forfaits aux autres.

  Ouneiro... ce mot frappa Léane de plein fouet. Il faisait écho aux paroles du spectre dans son rêve. Pourtant, elle n'avait jamais entendu le nom de ce qui devait être une ville nulle part. Kévin n'en avait lui-même jamais parlé lors de ses comptes rendus de voyage par mail.

 - Ce que je veux, c'est protéger ma famille, ma sœur. Le reste, je m'en fou !... Le pire dans tout ça Eloïse, c'est que je t'ai fait confiance... Le livre ? Oui, il est avec moi. Eh bien qu'ils viennent, ils n'auront rien !

  Léane réalisa que la conversation était définitivement terminée quand elle entendit un bruit sourd provenant du mur juste à côté de la porte. Les battements de son cœur s'étaient considérablement accélérés. Jamais elle n'avait entendu son frère s'adressait à qui que ce soit de la sorte. Elle ne lui connaissait pas ce timbre de voix si tranchant et dur.

  Tout à coup, et alors qu'elle avait à peine eut le temps de décaler sa tête de la porte, cette dernière s'ouvrit à la volée. Elle laissa Léane apercevoir le regard fou de rage de son frère. Il tremblait de colère, presque comme s'il était en transe. Quand Kévin réalisa que sa sœur lui faisait face, l'expression de son visage se radouci à peine.

 - Qu'est-ce que tu fais là ? gronda-t-il.

 - Je... je venais voir si tu avais faim. Vivianne et moi allons préparer à manger et...

 - Non, merci, la coupa-t-il en reculant dans sa chambre.

  Il poussa le battant pour refermer l'accès avant de le rouvrir rapidement.

 - Tu as écouté ma conversation téléphonique ?

  Surprise, Léane ne put que secouer la tête négativement. Il répondit avec une moue dubitative :

 - J'espère.

  Il lui caressa la joue du bout des doigts et referma la porte définitivement. Léane fut incapable du moindre mouvement pendant plusieurs secondes. La bouche ouverte, elle battait mollement des paupières, comme pour essayer de chasser le souvenir de cette conversation, qui n'en était pas véritablement une. Elle ne le reconnaissait pas. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'il change de comportement de la sorte ? Lui qui était jadis le sourire de cette famille, ne semblait être à cet instant qu'un amoncellement de colère et de tension. Léane secoua la tête et se dirigea vers la cuisine. Vivianne et Johan étaient accoudés au bar et regardaient le téléphone du jeune homme.

 - Soeurette, viens voir ! On a trouvé une nouvelle vidéo de chats rigolos. Tu vas mourir de rire ! Il dort encore Kév' ?

 - Ouais... j'ai pas osé le réveiller, mentit Léane avec un sourire.

 - Bon, tant pis pour lui ! Moi j'ai faim, s'exclama Vivianne.

  Elle sauta du tabouret en fer forgé et attrapa le paquet de pâte qui reposait sur le plan de travail.

 - Pâte carbo, ça vous va ? proposa-t-elle.

 - Oh, oui ! C'est parfait, se réjouit Johan.

  Léane s'installa en face de son frère, elle observa Vivianne attraper l'un des casseroles dans le placard et la remplir d'eau. Bien que préoccupée par son autre frère, elle ne put s'empêcher de sourire en remarquant que Vivianne connaissait sa maison aussi bien que si c'était la sienne. Elle soupira en posant son menton dans le creux de ses mains.

 - Qu'est-ce que tu as ? demanda Johan.

 - Rien... rien. Dis-moi, tu connais une Eloïse ?

 - De Brive ? Non, je ne crois pas. Pourquoi ?

 - Comme ça... répondit-elle de façon évasive.

  Vivianne continua à préparer le repas tandis que Johan mettait la table. Perdu dans ses pensées, Léane ne les aida même pas. Une fois les pâtes prêtes, ils mangèrent en discutant de tout et de rien. Après quoi, Vivianne émit l'idée de faire une promenade dans les bois.

 - Parfait ! Tes pâtes étaient tellement bonnes que j'ai besoin de faire de l'exercice pour les éliminer. Mon coach va m'arracher la tête si je prends du poids pendant la trêve hivernale, s'écria Johan.

 - A mes yeux, tu es parfait comme ça, déclara Vivianne.

  Léane tourna vivement la tête vers son amie dont le visage se colorait de rouge. Elle s'était certainement rendu compte qu'elle venait de penser à voix haute. Son frère, après un léger raclement de gorge, eut l'extrême galanterie de ne pas relever et de prétexter devoir aller chercher un pull.

 - Oh mon dieu... gémit Vivianne.

 - Ne t'inquiète pas, si ça se trouve il n'a pas entendu, tenta-t-elle de la rassurer.

 - Tu crois vraiment ?

 - Non... je suis désolée. Il a entendu, admit Léane.

Son amie s'effondra sur la table, la tête cachée dans ses bras. Léane lui pressa affectueusement l'épaule.

 - Ce n'est pas si grave, tu lui as pas dit que tu étais amoureuse de lui non plus. Tu as le droit de le trouver mignon.

 - Franchement... qu'est-ce que je peux être bête !

  Léane lui adressa un sourire compatissant. Elle lui attrapa la main et l'entraîna dans le vestibule pour enfiler leurs manteaux et leurs écharpes. Elles poussèrent la lourde porte en bois et en verre et sortir sur le perron. L'air extérieur était froid et humide. Des volutes de buée blanche sortaient de leurs bouches à chaque expiration. La neige s'était arrêtée de tomber. Un calme absolu régnait autour d'eux. Aucun bruit de voiture sur la nationale en contre-bas de la forêt ne se faisait entendre. Même la nature semblait endormie. La jeune femme inspira profondément, se nourrissant de cette sensation de sérénité. Quelques instants plus tard, Johan les rejoignit. Léane remarqua qu'il faisait exprès de ne pas regarder Vivianne. La jeune femme fixait son attention sur ses pieds.

  Ils descendirent les quatre marches du perron qui menaient à la cour et longèrent la maison jusqu'à dépasser les garages. Aucun d'entre eux ne prit la parole, ils semblaient tous être absorbé par le crissement de la neige sous leurs bottes. Une ouverture entre les arbres leurs indiqua qu'ils s'approchaient du petit sentier de promenade. Dans le sous-bois, la couverture neigeuse était bien épaisse qu'ailleurs. L'air y était également bien plus frais. Léane sortit ses gants de la poche de sa doudoune beige et les enfila. Au bout de quelques mètres, la jeune femme décida de briser ce mutisme gênant.

 - Comment vont tes parents Vivianne ?

Un léger sursaut anima le corps de son amie, comme si Léane venait d'interrompre le fil de ses pensées. Johan, qui marchait quelques mètres devant elles, se retourna.

 - Bien, ils vont bien, répondit-t-elle.

 - Bon, on peut tous arrêter de se regarder en chien de faïence ? s'agaça Léane.

 - Comment ça ? demanda Johan.

 - Bah je ne sais pas, personne ne parle depuis tout à l'heure, râla la jeune femme.

  Son frère ralenti et plaça son bras autour des épaules de Léane. Il planta ses iris dans celles de Vivianne.

 - Ouais, c'est vrai ça. Je ne vois pas pourquoi, il n'y a aucune raison, s'exclama-t-il.

 - Aucune ? l'interrogea Vivianne en soutenant son regard.

 - Aucune, confirma-t-il.

 - Donc, s'il n'y a aucune raison pour que l'ambiance soit étrange, on peut donc se comporter normalement ?

  Vivianne sourit timidement. Léane savait que sa meilleure amie avait toujours éprouvé une certaine attirance pour son frère. Cependant, Vivianne n'avait jamais fait la moindre allusion devant Johan. D'ordinaire, elle évitait même de se retrouver seule avec lui. La réaction qu'elle avait eu laisser penser à Léane qu'il y avait peut-être plus qu'un simple petit béguin. Pour autant, elle n'aurait su dire si la réciproque était vraie pour son frère. Il était d'un caractère assez discret en ce qui concernait ses sentiments. Du plus loin qu'elle se souvienne, elle n'avait jamais rencontré aucune de ses copines. Dieu seul savait combien il en avait eu. Même au sein de la fratrie, il se mettait souvent de côté. Si Kévin était très démonstratif, Johan, lui, n'avait jamais dit à Léane qu'il l'aimait. Elle n'en doutait pas, ses actions le démontraient clairement, pourtant il se tenait à l'écart. Au fil des ans, Léane s'était dit que ce comportement était normal entre frère et sœur et n'avait pas cherché à reproduire la relation fusionnelle qu'elle avait avec Kévin.

  Ce moment d'embarras derrière eux, ils firent une promenade d'une heure à travers la campagne corrézienne. Quand leurs nez et leurs oreilles furent gelés, ils rentrèrent se mettre à l'abris du vent qui s'était levé. Vivianne les salua et rentra chez elle alors que la nuit s'était déjà installée. Quelques minutes plus tard, les phares d'une voiture se reflétèrent à travers la fenêtre du salon. Léane était allongée de tout son long sur le canapé d'angle, emmitouflée dans un plaid en laine. Elle mit un petit coup de pied à son frère qui était à portée de jambe. Ce dernier releva la tête de son téléphone et lui lança un regard de travers.

 - Je crois que papa et maman sont de retours, dit Léane.

  La porte d'entrée s'ouvrit.

 - Bonsoir mes chéris ! s'écria la voix de leurs mères depuis l'entrée.

 - Salut m'man, répondit Johan depuis le salon.

  Léane se leva pour rejoindre sa mère. Cette dernière était en train de poser son bonnet et son écharpe. Elle détacha ses longs cheveux blonds qui tombèrent en cascade dans son dos. Elle braqua ses yeux bleu-gris sur sa fille et s'avança pour la serrer dans ses bras.

 - Décidément, vous avez tous décidez de rentrer plus tôt ! Je croyais que vous ne deviez revenir que dans la nuit ? demanda Léane.

 - Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a de la neige partout dehors. On ne voulait pas se retrouver bloqués sur la route, donc nous sommes revenus plus tôt.

  Un homme entra à son tour dans la maison et posa deux valises sur le sol.

 - D'autant plus que l'avion que je devais prendre pour Washington mercredi prochain a été avancé à demain, dit-il de sa voix grave.

 - Pourquoi ça ? demanda Léane en l'embrassant sur la joue.

 - Ils annoncent une tempête de glace en début de semaine, répondit-il.

 - Donc, tu ne seras encore pas là de la semaine ?

  L'homme attrapa les lunettes qu'il avait sur le bout du nez et essuya les carreaux rectangulaires avec son pull. Léane aperçu une lueur de malaise dans son regard bleu acier.

 - En effet... Mais j'aurais le temps d'aller chercher les jeans que tu voulais tant comme ça.

  Les yeux de Léane s'écarquillèrent. Elle n'arrivait pas à croire qu'il essaye d'amoindrir l'effet de son absence en lui promettant un cadeau. Pour autant, cela ne devrait plus l'étonner, il avait toujours ce genre de réactions quand ses enfants se plaignaient de ça. Sa mère due s'en rendre compte car elle leva les yeux au ciel.

 - Maximilien... franchement.

 - Oui, Lucy ?

  Johan s'avança à leurs rencontres. Il embrassa ses parents. Soudain, les épaules de la mère de Léane se relevèrent et son regard s'illumina :

 - Pourquoi tu as dit que nous aussi étions aussi rentrés plus tôt ? Qui est là ?

 - Kévin est revenu depuis ce matin, maman. Il est dans sa chambre, expliqua Johan.

 La mère n'écouta même pas la fin de sa phrase, elle s'élança dans les escaliers et disparut rapidement de leurs vues. Léane sourit. Elle ne savait que trop bien combien son fils lui avait manqué.

 - Il ne devait pas revenir en mars ? s'étonna Maximilien.

 - Si, mais on n'en sait pas plus que toi. On ne l'a pas vu de la journée, dit Johan en haussant les épaules.

  Leur père s'avança dans la cuisine et se servit un verre d'eau. Il semblait agacé par le retour de son fils. Sentant la tension monter au sein de la maison, le frère et la sœur s'installèrent autour du bar en silence. Léane redoutait la rencontre entre les deux hommes. Avant le départ de Kévin, il y avait eu une violente altercation entre eux. Maximilien n'avait jamais accepté que son fils reporte ses études pour aller découvrir le monde. Pour lui, il était plus important d'avoir une situation stable et des revenus, plutôt que de gâcher de potentielles opportunités au profit de voyages oisifs. A la connaissance de Léane, ils ne s'étaient pas adressés la parole depuis ce jour.

  Lucy et Kévin descendirent au rez-de-chaussée. Le jeune homme s'avança vers son père et lui tendit une main hésitante. Maximilien l'embrassa sur les deux joues. Léane remarqua cependant son regard sombre.

 - Eh bien ! même ça tu n'as pas réussi à le faire jusqu'au bout...

 - Max, arrête tout de suite ! s'écria Lucy. Ne l'écoute pas Kévin, nous sommes tous ravis de te revoir. Tu nous as tellement manqué !

  Les épaules de Kévin s'affaissèrent tandis que ses poings se serraient. Léane retint son souffle, il était évident que ses retrouvailles ne se passeraient pas bien.

 - Ne te fatigue pas, maman. Le message de mon très cher père est parfaitement clair. Pour être honnête, je repars dans peu de temps. Je vais chercher un travail et dès que j'aurais assez d'argent, je repartirais. Et tu ne me reverras pas de sitôt, fulmina Kévin.

 - Espérons que cette fois-ci tu ailles au bout de ce que tu entreprends, répondit platement le père.

 - Tu cherches quoi à la...

 - Et si on préparait le dîner au lieu de s'écharper ? les interrompit Léane. Je vais à la cave chercher de quoi manger, quelqu'un veut quelque chose en particulier ?

  Elle n'eut qu'un silence pesant en guise de réponse. Lucy regardait son mari de manière furibonde tandis que les deux hommes se jaugeaient avec colère. Léane emprunta la porte sous l'escalier et descendit les marches en bois qui descendaient au sous-sol. Arrivée en bas, elle actionna la lumière à l'aide de la corde qui descendait du plafond. Une odeur de terre et d'humidité lui empli les narines. La cave était aussi grande que le reste de la maison, plusieurs rangées d'étagères lui faisaient face. Sa mère adorait jardiner. Elle cuisinait tous les légumes du jardin et les stockait à cet endroit pour la saison hivernal. Sauce tomate, ratatouille, haricots, confitures et bien d'autres préparations emplissaient les rayonnages. La maison aurait pu être en état de siège qu'ils auraient pu manger convenablement pendant plusieurs mois. Johan la rejoignit alors qu'elle se dirigeait vers les bocaux de confit de porc et de pâté. Il s'appuya contre la rambarde des escaliers en soupirant.

 - Moi qui croyais que le temps les aurait calmés tous les deux...

 - Visiblement pas, répondit-elle plus sèchement qu'elle l'aurait voulu.

  Il ne répondit pas et resta silencieux. Les épaules de Léane s'affaissèrent.

 - Tu veux manger quoi ? demanda-t-elle sans se retourner.

 - Prends deux bocaux de confits, je crois qu'il reste de la salade là-haut. Ça devrait faire l'affaire.

 - OK, mais je prends quand même du pâté !

 - Ce n'est pas bon pour ce que tu as, ricana Johan.

 - Va donc ch...

  La porte d'entrée claqua violemment juste au-dessus de leurs têtes. Elle tourna un regard étonné vers on frère, attrapa les bocaux et se rua à l'étage derrière lui. Elle sortit rapidement sur le perron pour apercevoir la voiture noire de Kévin sortir en trombe du garage malgré la neige qui recouvrait toujours le sol. Léane soupira avant de rentrer dans la cuisine. Le visage de son père était déformé par la colère. Lucy croisait les bras sur sa poitrine. La jeune femme s'approcha de l'évier et posa sèchement les bocaux sur le plan de travail. Maximilien l'interpella :

 - Toi aussi tu as un problème ?

  Elle lui fit face en plissant les yeux. Bien que surprise qu'il s'adressa à elle de la sorte, elle était trop en colère pour essayer de détendre l'atmosphère électrique de la pièce.

 - Max, tu arrêtes ! le mis en garde sa femme.

 - Quoi ? Vous allez tous me prendre la tête ce soir ? Il ne pensait quand même pas qu'après presque un an sans nouvelle et en étant parti comme un voleur envers et contre l'avis de tous, que tout allait bien se passer ?

  Léane avait rarement vu son père perdre son calme de la sorte. Cependant, cela faisait trop longtemps qu'elle désirait lui dire ce qu'elle pensait, elle ne put s'empêcher de lui répondre :

 - Envers et contre ton avis, pas le nôtre ! Tu savais que c'était son rêve depuis gamin, il ne s'en est jamais caché ! Il ne vous a rien demandé et a travaillé dur pour avoir ce qu'il désirait. Et tu n'as même pas montré la moindre fierté par rapport à ça ! En outre, il n'y a que toi qui n'a pas eu de nouvelles. Tout les autres en ont eu ! Et qui pourrait l'en blâmer vu la façon dont tu l'as jeté dehors comme un malpropre !

  Le silence s'épaissit autour d'eux. Devant presque assourdissant. Léane haletait. Jamais elle n'aurait cru avoir l'audace de lui parler de la sorte. Les disputes n'étaient pas courantes au sein de cette famille, quand s'était malheureusement le cas et qu'elle n'était pas concernée, elle préférait fuir plutôt que d'ajouter de l'huile sur le feu.

  Maximilien resta stoïque, le regard rivé dans celui de sa fille. Il semblait chercher quelque chose au fond de ses yeux. Il reprit la parole sur un ton calme et posé, glaçant :

 - Est-ce que c'est ce que vous pensez tous ?

  Personne ne répondit, ce qu'il prit comme un aveu.

 - Très bien.

  Il quitta la pièce sans un regard pour quiconque. Léane eut l'impression que son cœur ne commença à battre qu'à cet instant. D'un martèlement lourd dont elle perçu l'écho jusque dans ses oreilles. Elle sentit cependant un poids quitter son estomac. Peu importait les conséquences de ses paroles, la vérité était dite et cela la soulageait.

  Lucy quitta la pièce à la suite de son mari. La jeune femme décida de tout de même préparer le dîner. Elle attrapa le tire-languette dans l'un des tiroirs pour ouvrir les bocaux. Se faisant, elle remarqua le tremblement de ses mains. L'un d'entre eux lui échappa et se brisa au fond de l'évier.

 - Fait chier ! jura-t-elle.

Johan s'approcha rapidement de sa sœur, vérifia qu'elle n'avait rien et la prit dans ses bras. Il posa son menton sur le dessus de son crâne.

 - Ça va aller, sœurette... Tu as bien fait de lui dire.

 - Pourquoi ne m'as-tu pas soutenue ? Pourquoi tu n'as rien dis ?! s'énerva-t-elle en le repoussant.

  Il maintint l'étreinte à la force de ses bras.

 - Il me fait peur quand il est comme ça... avoua-t-il, honteux.

  Léane leva la tête vers lui et remarqua qu'il ne mentait pas. Son père n'était pas quelqu'un de violent, il n'avait même jamais levé la main sur aucun d'entre eux. Cependant, il avait un côté glaçant peut-être plus terrifiant que n'importe quoi d'autre. Un seul regard de sa part suffisait à calmer les ardeurs de ses enfants, et ce, depuis leur plus tendre enfance.

  La jeune femme se força à retrouver son calme. Elle se recula doucement.

 - Au moins, maintenant... il ne peut plus dire qu'il n'est pas au courant... finit-elle par dire.

 - Non, c'est clair...

 - On bouge ? proposa Léane.

 - Mais... la route est pleine de neige ! râla le jeune homme.

 - Je conduis si tu veux, mais c'est justement pour ça que je veux rejoindre Kévin. Il conduit comme un furieux... je veux m'assurer que tout va bien.

  Johan souffla. Il se concentra quelques instants sur l'extérieur sombre à travers la fenêtre.

 - D'accord... mais on s'arrête au Mcdo, j'ai faim !

 - Et ton régime ? le nargua-t-elle.

 - Pour ce soir, je vais y faire une entorse.

 - Le Macdo c'est plutôt comparable à une fracture, non ? ricana-t-elle.

  Le jeune homme lui ébouriffa les cheveux. Elle lui tira la langue et prit la direction de sa chambre pour récupérer son sac et ses clefs de voiture. Au niveau du premier palier, elle vit sa marche assise sur les marches.

 - Vous partez ? lui demanda-t-elle d'une voix absente.

 - On va essayer de retrouver Kévin et manger un bout en ville.

 - D'accord, soupira-t-elle.

  Léane grimpa une marche de plus avant que sa mère ne l'interrompe.

 - N'en veux pas à ton père, il a aussi beaucoup souffert du départ de ton frère.

 - Tu m'excuseras mais... ce n'est pas flagrant, rétorqua-t-elle sur la défensive.

 - Non, c'est vrai. Pourtant je t'assure que c'est la vérité.

  Léane redescendit au niveau de sa mère. Elle était une femme magnifique. Les traits de son visage reflétaient la douceur de son caractère. Elle était d'un calme olympien en presque toutes circonstances. Presque, car quand il s'agissait de ses enfants, elle pouvait devenir une véritable lionne. Léane se souvint d'une réunion parents-enseignants au collège. Le professeur de mathématique, M. Alriche avait ouvertement insinué devant elle que Johan n'arriverait à rien dans la vie, qu'il était trop bête pour réussir. Etant elle-même dans l'éducation nationale, elle s'était indignée devant le manque de pédagogie évidente de l'homme. Johan pouvait être distrait voir turbulent, c'était une réalité dont elle avait conscience. Cependant, cela n'excusait en rien le désengagement du professeur envers son élève. Aussi, elle ne s'était pas retenue de lui dire le fond de sa pensée. Léane avait le souvenir de la tête de M. Alriche à la fin de sa tirade, il avait été plus honteux que contrarié. Du haut de ses un mètre soixante, cette femme avait réussit à rabattre le caquet du plus suffisant des enseignants de l'établissement. Depuis ce jour, la jeune femme avait un profond respect pour sa mère.

  Pourtant, en cette soirée du moins de janvier, Léane eut l'impression que la flamme de sa mère s'était éteinte. Elle dégageait une aura de tristesse et d'angoisse qu'elle ne lui connaissait pas. Elle posa doucement sa main sur l'une de ses épaules :

 - Tout va bien, maman ? Ne t'inquiète pas, ce n'est pas la première fois qu'on se chamaille. Tout finira par rentrer dans l'ordre.

 - Non, ce n'est pas ça... enfin si je n'aime pas voir notre famille se déchirer. C'est juste que... J'ai fait un horrible cauchemar la nuit dernière et depuis j'ai un très mauvais pressentiment.

  La déclaration de sa mère étonna la jeune femme. Elle pensa instantanément à son propre rêve.

 - Tu as rêvé de quoi ? demanda-t-elle avec une voix inquiète.

 - C'est bien le problème... je ne m'en souviens absolument pas. Je suis angoissée depuis mon réveil, c'est tout... Bon, ne fais pas attendre tes frères. Faites bien attention sur la route, elle est glissante.

  La mère se leva et caressa la joue de sa fille avec tendresse. Léane resta immobile quelques secondes. Lucy avait toujours été une femme pleine d'intuition, capable d'anticipé les bêtises de ses enfants avant même qu'il n'y pense eux-mêmes. La jeune femme fronça les sourcils et réprima un frisson. Elle se demanda quand cette journée infernale allait enfin se terminer.

  Une fois qu'elle eut récupérée ses affaires et qu'elle se fut habillée, elle rejoignit Johan sur le perron. Ce dernier était en train de terminer un appel.

 - C'était Kévin, il nous rejoint au Mcdo. Il veut nous parler apparemment.

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