3 – De la terre à la lune, Jules Verne / Tintin et le temple du soleil, Hergé
Un livre par jour, un texte pour accompagner, parce que ça m'amuse et que tant qu'à montrer des livres, autant aligner trois lignes par-dessus, si ça peut donner envie de lire ou de relire, ce sera toujours ça de pris.
Pas de nomination particulière mais j'invite absolument tout le monde à s'essayer à l'exercice. Ca dépoussière les étagères et ça permet de respirer.
Aujourd'hui, j'ai eu envie de parler de deux livres. J'étais parti sur le classique de Jules Verne, "De la terre à la lune", puis je me suis dit, mais bigre, comment parler de Jules Verne sans avoir évoqué un tant soit peu Tintin ?
Alors l'une des six-cent-soixante-six voix qui me parlent en permanence dans le tréfonds de mon crâne m'a glissé dans le creux de l'oreille : "On a dit qu'on montrait des livres, pas des bande-dessinées." C'est probablement ma voix la plus réac, on en a tous une bien cachée quelque part.
Et si tu veux bien, je m'autorise ici un aparté. Loin de moi l'idée de confondre la bande-dessinée et la littérature. Les objets sont similaires : des couvertures, des pages à tourner, du papier, des mots - même s'il existe des bande-dessinées muettes et des livres copieusement illustrés - mais la différence fondamentale qui les distingue, à savoir l'irruption de l'image et de la notion de découpage/montage dans la bande-dessinée, me semble suffisante pour ne pas confondre les deux supports. On ne lit pas Joe Hill de la même façon selon qu'il scénarise "Locke and Key" ou qu'il écrive "Horns". C'est pourtant le même auteur, le même cerveau. Eh bien, je préfère le scénariste au romancier, tout comme les scripts de son papa, Stephen King, s'avèrent pour le moins décevants lorsqu'on les compare aux romans originaux.
Distinguer bande-dessinée et littérature, oui, les hiérarchiser, non. J'ai toujours considéré que le plaisir que l'on retire à lire l'un et l'autre est égal. Moins intense pour un roman, plus court et ramassé dans le temps pour une BD ? Peut-être. Mais quid d'une nouvelle ? Ou d'une saga en bande-dessinée ? Ce sont des plaisirs différents, c'est tout. Aucun intérêt à en placer un au-dessus de l'autre.
Et c'est pourquoi, aujourd'hui, je veux également évoquer Tintin à travers mon album préféré, à savoir "Le temple du soleil."
J'ai d'abord découvert Tintin en espagnol, ma langue maternelle. J'avais lu "Objetivo luna", "La estrella misteriosa" et peut-être un autre. En arrivant en France, je me suis vu offrir "L'île noire", dont je compris bien plus tard qu'il s'agissait d'une sorte de variation sur "La mort aux trousses" de Hitchcock. Et cette île écossaise, ce gorille, cette ambiance gothique qui venait clore un récit à la Edgar Wallace... Lire Tintin à six ans, c'est devenir un aventurier de l'arche perdue ! Et j'ai commencé à collectionner les albums. Jusqu'au "Temple du soleil", le seul que j'arrive à relire à l'âge adulte sans éprouver d'ennui profond au détour d'une page. L'histoire flirte en effet avec des récits d'aventures hérités du XIXe, avec les délires de Sax Rohmer. Un road movie, une exploration, on finit par tomber dans une grotte, rencontrer des Incas, survivre à un sacrifice grâce à l'intelligence, à la culture et à un vieux journal.
Lorsque j'ai lu "De la terre à la lune", j'ai cru retrouver cette ambiance d'énergie contenue qui semble déborder des cases de Tintin. Une bande d'aventuriers, la science en toile de fond, mais c'est pas sérieux, pas trop, ça reste suffisamment crédible pour qu'on ait envie de continuer à enchaîner les chapitres sans trop se soucier de la véracité des faits. L'art de raconter une histoire et de susciter l'intérêt. Edgar Rice Burroughs parvenait au même résultat, Dumas également, Eugène Sue sans doute.
Mais ce livre particulier de Jules Verne reste pour moi fondateur. Il a marqué le lien entre deux formes d'art, jeté un pont entre la BD, banale, grossière, simpliste, facile d'accès, et la littérature si noble dans ses aspirations, tellement auréolée de sa propre gloire qu'on en oublie que la plupart des écrivains ne vivent pas de leur plume et que ceux qui ont forgé l'histoire de la littérature (Melville, Conrad, Kafka, Hemingway) écrivaient pour vivre tout autant qu'ils vivaient pour écrire. Je ne suis plus un lecteur de Jules Verne depuis plus de trente-cinq ans. J'ai dû lire deux ou trois de ses oeuvres, pas plus, avant de me rendre compte qu'il déroulait les principes du même schéma narratif. J'ai lu les "Mille et une nuits" dans la foulée - j'étais môme, j'aurais pas dû, j'ai tout oublié. Je remercie Jules Verne pour la fenêtre ouverte, la passerelle vers le reste et ce goût un poil scolaire, un tantinet dérisoire mais somme toute assez sain quand on n'a que 8 ans, pour la science, le progrès et la technique.
Plus tard, je remercierai Kubrick d'avoir jeté le même type de passerelle entre l'écriture et le cinéma - sans parler de créer d'indéfectibles liens entre des genres considérés comme antithétiques, la science-fiction et l'étude de moeurs, le pastiche et le récit d'épouvante, etc. Jules Verne, me dois-je aussi d'ajouter, m'initia probablement à la science-fiction sous ses dehors de roman épique exaltant l'aventure et les péripéties.
J'en arrive aujourd'hui à considérer que toute forme d'art est écriture et que la forme importe peu. Si j'écris un jour sur la musique - et je me permets de le noter ici pour m'en souvenir plus tard - il me faudra partir de là.
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