6 – Le club des cinq se distingue, Enid Blyton

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Un livre par jour, quelques mots pour le plaisir d'écrire, une parenthèse pour ma charge mentale du moment, j'imagine qu'on en a tous besoin. Je ne nomine que celle ou celui qui veut bien, mais nulle obligation d'apposer son paragraphe. Je manque de temps toutefois pour rédiger un second billet aujourd'hui alors je me contenterai de quelques mots sur Enid Blyton. J'ai choisi ce roman en particulier parce qu'en cherchant une couverture quelconque, je me suis rappelé cet épisode précis. J'avais la même édition avec le même dessin sur la couverture cartonnée de la Bibliothèque rose.


Je l'ai perdu, ce livre. Ou vendu. Avec les trente ou quarante autres épisodes de la même série, plus le clan des sept, les six compagnons, Alice ou Fantomette. Je dévorais la Bibliothèque rose comme un drogué au stéréotype. Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Blyton, c'est plus ou moins le même schéma narratif déroulé sur un même nombre de pages, des personnages clichés, le tout nimbé d'une forme de machisme désuet, d'élans de racisme ordinaire, et de valeurs traditionalistes à faire pâlir de jalousie une Mme de Maintenon pourtant plus âgée de deux siècles.


Ouais mais putain Dagobert quoi.


Dagobert, c'était le nom du chien. Souviens-toi. A moins que tu aies eu la chance d'y échapper, si t'avais entre sept et douze ans – en gros la période durant laquelle je me suis vautré sans scrupule aucun dans la lecture fiévreuse et répétée des aventures du Club des cinq – tu ne pouvais pas ne pas te projeter dans l'un de ces personnages vraiment trop cools.


Je voulais être François, le plus vieux. Mais surtout je voulais être Claude, la chef, un peu plus jeune et comme on la décrivait comme un garçon manqué avec ses cheveux courts et son courage intrépide – bigre de bigre – un petit garçon comme moi pouvait s'identifier à elle sans se poser trop de questions sur la notion de genre ou la possibilité éventuelle de m'acheter des talons aiguilles pour ressembler à mon modèle. Non-non, Claude, elle était super méga cool. Elle parlait plus vite que les autres, elle avait le sens de la répartie, elle pensait plus vite que son ombre et en plus, nom d'une pipe en bois, c'était la propriétaire du chien !


Son frère s'appelait Nick. C'est pas cool, ça, d'avoir un frère qui s'appelle Nick ? Presque aussi cool que de s'appeler Nick, pas vrai ?


Je m'aperçois que, sous ses dehors émancipateurs, le personnage de Claude annonçait des héroïnes ultra-sportives du type de Tomb Raider ou la Veuve noire jouée par Scarlett Johanson dans les films de super-héros Marvel : des femmes sexy dont les attributs féminins ne manquent pas d'exciter le regard du mâle et dont les qualités mises en avant exaltent avant tout l'aspect masculin de leur personnage. La Veuve noire se bat « comme un homme » et parvient même à impressionner Tony Stark, et Claude, la chef du Club des cinq, est toujours introduite comme le garçon manqué de la bande dès son apparition dans les premières pages de l'histoire. L'autre personnage féminin, qu'on se rassure, est une « vraie » fille. Annie, la sœur de François, cousine de Claude et Nick. Elle porte des robes à volants, elle est jolie, charmante, émotive, etc, quand Claude est sportive et obstinée. Annie pleure d'émotion, Claude parle d'un ton dur et assuré. Pas étonnant qu'elle porte se nom-là, d'ailleurs. Claude fonctionne au masculin comme au féminin. Une sorte d'oxymore sémantique dont l'aspect transgenre tenterait de nous faire oublier qu'il sert la cause du sexe dominant.


Lire le Club des cinq, c'est un peu plonger dans la tête de Jean-Pierre Pernaut avec un côté « vieille dame anglaise » nostalgique de l'époque victorienne, voire de Disraeli.


Je ne le conseille à personne, même pas aux enfants. Mais si vous en avez sous la main et que vos gamins lisent plusieurs livres par semaine, ils sauront faire la part des choses et vous les verrez probablement se marrer de bon cœur. Lire un mauvais livre – quel que soit le sens que vous donniez à « mauvais », c'est-à-dire écrit avec des pieds-bots ou simplement vérolé par l'expression plus ou moins explicite de valeurs surannées si ce n'est carrément néfastes (et chez Enid Blyton, on a la chance d'avoir les deux en même temps) – peut sembler une perte de temps mais songez que vous affûterez votre esprit critique tout en développant une forme d'empathie envers ceux qui ne pensent pas comme vous. J'aime à croire que je saurais parler à Mme Blyton s'en forcément lui bouffer le nez si une Delorean m'envoyait à sa rencontre. J'aime à croire également qu'elle accepterait de me donner le change parce que, malgré tout ce que je pense de l'auteure, elle a su enflammer chez l'enfant fermé et solitaire que j'étais un goût prononcé pour mes semblables même si je préférais alors les observer de loin plutôt que de leur adresser la parole.


Disons que l'une de mes madeleines est de droite, bon, et alors ?

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