L'examen
Les minutes suivantes furent les plus angoissantes que le militaire n’avait jamais connues. Ils se trouvaient dans le vaisseau ældien, tous les deux. Seuls. Brüder avait disparu, les laissant dans un sas étrange, qui semblait palpiter d’une vie exogène et terrifiante, les poussant à se tenir l’un contre l’autre, loin des limites de leur prison. L’air était moite et lourd, comme dans une serre hydroponique. Mais les environs étaient sombres. Si sombres que Sorj se trouvait incapable de voir à plus de quelques mètres, ou de dire pourquoi, au juste, ce corridor alien lui paraissait si menaçant.
Puis une lumière violacée fusa, obligeant les deux humains à protéger leurs yeux. Lorsqu’ils purent enfin les ouvrir, l’horreur les saisit. Les parois dévoilèrent leur vie grouillante et miroitante, faite d’entrelacs palpitants de rétinal. Ils étaient bien dans une serre. Une sorte de sylve extraterrestre.
Quelqu’un venait vers eux.
Sorj éprouva une lueur d’espoir en constatant que la silhouette était anthropomorphe. Un visage lisse et souriant, des cheveux blonds et courts, soigneusement coiffés ; un corps svelte et athlétique revêtu d’un uniforme propre et bien coupé. Brüder.
— On se détend, commença l’IA. Vous allez passer un petit examen de contrôle, avant d’intégrer les quartiers d’habitation du vaisseau.
Sorj lui jeta un regard par en dessous.
Ils veulent savoir si la viande est saine, comprit-il. Même les ældiens refusaient de prendre le moindre risque de contamination biologique.
— On commence par vous, le mâle. La femelle viendra après.
— Je ne suis pas une femelle ! protesta Andei.
Brüder tourna un sourire de cire vers le jeune. L’expression figée de son visage étouffa les mots dans la bouche d’Andei.
— Deux tributs, un mâle, une femelle. C’est toujours ainsi. Et les examens débutent avec le mâle. Exécution.
Jetant un regard entendu à son compagnon, Sorj s’avança, les mains toujours entravées.
Ne fais pas de vague. Ici, notre vie ne vaut pas bien cher.
— Très bien. Suivez-moi jusqu’à la salle d’examen. Vous, attendez ici. Je reviendrai vous chercher.
Sorj jeta un dernier coup d’œil à Andei. Puis celui-ci resta seul, dans le noir, la menace et l’inconnu.
Sorj s’attendait à recevoir toute la batterie habituelle – analyse sanguine, scanner bactériologique et atomique. Cependant, le robot lui désigna la paroi opposée à lui, un mur lisse sur lequel deux glyphes inconnus.
— Déshabillez-vous. Puis posez vos mains sur les symboles.
Sorj quitta sa combinaison, peu rassuré. C’était sans doute normal qu’on lui demande cela, après tout : l’ældien voulait voir l’état de sa chair.
— Vous êtes très poilu, pour un homo sapiens sapiens, remarqua l’IA. Et vous ne semblez pas porter de modification apparente.
— J’ai un implant de connexion neuronale et un poumon artificiel, c’est tout, lui confirma Sorj.
— Parfait. Allongez-vous là, fit la voix mécanique en lui montrant une vieille table d’examen rouillée, à l’aspect peu avenant, dont la vétusté détonnait avec le reste du décor.
Il l’a récupéré dans une épave, c’est pas possible, songea Sorj en posant un regard méfiant sur l’objet. Ce qu’il vit par la suite exacerba ses craintes.
En apercevant les bracelets de coercition aux quatre coins, le militaire déglutit. Ce qu’il vivait avait tout l’air d’un récit de capture par un vaisseau-laboratoire korridite. Les machines qui parlent, l’absence de présence organique en dehors de cette écœurante colonie de lichen mouvants qui les avaient accueillis, les examens intrusifs… et si tout cela était un leurre ? C’était peut-être un bâtiment korridite déguisé en cair ! L’ennemi était capable d’une telle ruse : il s’adaptait constamment.
— Je… pourquoi ? eut-il la force de demander.
— Vous n’êtes pas autorisé à parler, répliqua l’androïde. Si vous ouvrez encore la bouche sans autorisation, vos cordes vocales seront enlevées.
Cette menace suffit à faire taire Sorj. Il grimpa sur la table avec une docilité nouvelle.
— Écartez les cuisses.
Cette fois, Sorj jeta un regard alarmé au robot. On voulait l’examiner, soit… mais pourquoi lui faire écarter les jambes ?
— Obéissez. Tout de suite.
Il n’avait pas le choix. Ce n’était qu’une intelligence artificielle, très limitée, en outre… il n’y avait pas quoi avoir honte. Il obéit.
Les mains du robot s’immiscèrent entre ses cuisses pour tâter ses bourses. C’était désagréable, pour ne pas dire douloureux. Sorj se mordit la lèvre : s’il émettait le moindre bruit…
— Vos organes génitaux semblent fonctionnels. Vous êtes-vous déjà accouplé ? Vous êtes autorisé à répondre.
Sorj leva un sourcil, décontenancé par la bizarrerie de la question.
— Euh… J’ai déjà eu des rapports sexuels, oui.
— Avec des femelles humaines ?
— Oui. Et des robots.
Surtout des robots, ajouta-t-il mentalement.
— Des robots ?
— Des droïdes de plaisir.
Brüder le contempla en silence. Son expression amena un léger sentiment de satisfaction à Sorj.
La question suivante le prit encore plus de court :
— Qu’en est-il des mâles ?
Sorj fit mine de se redresser. Brüder le repoussa sur la table, d’une poigne ferme. Le toucher compact, puissant, rappela à Sorj la force monstrueuse des androïdes.
— Hein ? Vous voulez savoir si j’ai déjà eu des rapports avec des partenaires du même sexe ?
Le souvenir de Andei lui traversa le cerveau. Andei… subissait-il la même chose que lui, en ce moment ?
— Répondez. Avez-vous déjà été sailli par un mâle ?
Un signal d’alarme s’alluma dans l’esprit déjà bien éprouvé de Sorj.
— Non ! Je suis hétérosexuel. Enfin, je crois.
Il en était même sûr. Les hommes ne l’avaient jamais attiré.
L’androïde lâcha enfin ses testicules. Sorj prit une goulée d’air frais.
— Maintenant, retournez-vous et passez à quatre pattes.
— Quoi ? Je…
— Vous n’êtes plus autorisé à parler, coupa Brüder de sa voix synthétique.
Livide, Sorj fit ce qu’on lui demandait. Une goutte de sueur glissa le long de sa tempe lorsqu’il sentit le robot boucler les entraves sur ses chevilles et ses poignets. Pourquoi l’attachait-on dans une posture si humiliante ? Ses pires craintes furent vérifiées lorsqu’il sentit un instrument froid pousser à la porte de son anus.
— Pas ça, non… !
C’était plus fort que lui. Il l’avait dit. Brüder mit une fin immédiate à ce qu’il était en train de faire. L’androïde reposa son outil dans un bruit épais et métallique – qui n’inaugurait rien de bon – et vint se positionner devant lui. En le voyant sortir une scie laser de son avant-bras droit, Sorj se raidit.
— Si on pouvait éviter ce type d’examen…
— Vous n’êtes pas autorisé à parler.
La main froide de l’androïde lui enserra la mâchoire, pour lui ouvrir la bouche de force. Sorj comprit qu’il était inutile de tenter de lui résister : tous les robots, même les modèles anciens comme celui-là, étaient d’une force incomparablement supérieure à l’homme. Cependant, encore une fois, il ne put s’en empêcher. C’était un instinct de survie archaïque, une injonction du cerveau reptilien qui court-circuitait la pure logique rationnelle. Avec la rage froide des IA contrariées, Brüder lui introduisit un ouvre-bouche en métal, qu’elle vissa sur le dernier cran. Puis, de sa main libre, il lui broya les bourses.
Le choc coupa le souffle à Sorj, l’empêchant de crier. Livide, le corps trempé par une sueur glaciale, il se figea. La scie laser se rapprocha dangereusement de sa gorge.
— Cela ne prendra qu’une seconde, lui assura vicieusement l’IA.
Une voix inhumaine résonna soudain dans la pièce. C’était une voix terrifiante, venue du fin fond de l’univers. Mais son ton était sans équivoque : il s’agissait d’un ordre. Et le robot se figea immédiatement. La scie laser repartit dans son avant-bras.
Tétanisé, Sorj déplaça ses prunelles au coin de ses paupières, tentant d’apercevoir la provenance de la voix. Il ne vit que les ténèbres.
Brüder revint se placer derrière lui. Cette fois, Sorj aperçut l’instrument : il s’agissait du plus énorme godemiché qu’il n’avait jamais vu. La chose avait la longueur d’un bras d’enfant. Même dans les lupanars orbitaux le plus dépravés, on en faisait pas des comme ça. Long et fuselé, aussi brillant qu’une coque de vaisseau d’apparat, il était muni d’une sorte de poignée qui permettait à l’IA de le tenir en main.
Avec une horreur grandissante, Sorj comprit que l’insensible machine prévoyait de lui enfoncer ce braquemart du diable dans l’anus.
Le robot en activa le fonctionnement en appuyant sur un bouton : aussitôt, l’horrible instrument s’ouvrit, prenant une épaisseur en plus. Il s’agissait en fait d’un spéculum, un outil d’examen cauchemardesque, issu de l’imagination d’un esprit tordu et sadique. Après l’avoir remis à sa taille initiale, Brüder l’enduisit généreusement d’un liquide épais et gluant, avant de le positionner entre ses muscles fessiers. Du lubrifiant… comme s’il était une vulgaire pute !
Pourquoi vous me faites ça ? faillit hurler Sorj.
Heureusement, l’ouvre-bouche laissé en place l’empêchait d’articuler la moindre parole intelligible. C’était une très bonne chose : il avait bénéficié de la clémence de son bourreau une fois, nul ne pouvait prédire s’il y en aurait une seconde.
Sorj poussa malgré tout un cri animal, sorti du fond du ventre, lorsque Brother enfonça les quarante centimètres de métal poli dans son rectum. Un hurlement qui résonna dans tout le vaisseau.
Dans l’ombre, son nouveau maître ne perdait rien de la scène, impassible.
Andei, qui attendait dans le corridor vivant, entendit le hurlement de Sorj se répercuter dans le silence moite du vaisseau. Une acoustique de cathédrale militaire… Paniqué, il tira sur ses entraves, sans succès.
Lorsque l’IA reparut enfin, le jeune Terrien tenta d’attraper le regard de son congénère, que l’androïde ramenait. Mais Sorj évita le regard d’Andei. Ses entraves furent sanglées au mur, dans une boucle de métal ouvragée dissimulée parmi les lichens, puis l’IA vint se planter devant le jeune.
— À votre tour.
Andei s’allongea sur la table d’examen avec une appréhension exacerbée. Qu’est-ce qu’on avait fait au militaire pour qu’il hurle comme ça ?
Le jeune homme s’attendait à ce qu’on le déshabille. Après tout, on n’habillait pas les cochons de ferme. Mais, à l’instar Sorj, il fut surpris lorsque Brüder lui demanda de mettre les pieds dans les étriers. Et lorsque le robot lui sangla les chevilles, il eut le réflexe de se redresser. L’IA le repoussa sur la table et vint lui attacher les poignets.
— Restez immobile. Je dois vous examiner.
Andei fixa le plafond, tentant de calmer sa respiration. Comme tout ce qu’ils avaient vu jusqu’ici, cette pièce était tristement humaine : elle ressemblait à n’importe quelle salle d’examen médical de station spatiale, en plus vétuste. Cette table d’examen archaïque, notamment...
Le jeune Terrien ramena son regard sur l’IA, qui était en train d’enfiler un doigtier. Il fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que…
— Vous ne devez parler que pour répondre à mes questions. Sinon, vous serez insonorisé, comme le mâle arrivé avec vous.
Insonorisé… Ce terme choqua plus Andei que le qualificatif de « mâle » attribué à Sorj. Qu’est-ce qu’on lui avait donc fait ?
Andei eut un début de réponse lorsque l’index recouvert de polymère vint s’immiscer sous ses testicules. Insidieusement, le doigt fouilla sous les deux gonades atrophiées, avant de s’enfoncer brutalement dans la fente minuscule qui se cachait dessous. Andei geignit.
— C’est très étroit, remarqua l’IA, contrariée. Ce vagin a-t-il déjà servi ?
— Ce… n’est pas un vagin, gémit Andei en tentant de retenir ses larmes. Je suis intersexe, et je m’identifie au genre mâle.
— Êtes-vous apte à la reproduction ? continua le robot, impitoyable.
— Non, je suis porteur de gènes mutants ! Je n’ai pas le droit de me reproduire.
— Je vais procéder à une échographie pelvienne pour tenter de trouver votre utérus.
— Je vous en supplie, ne faites pas ça !
Mais l’IA ne l’entendait pas. Elle s’empara du même spéculum qui avait servi à torturer Sorj, retiré de la centrifugeuse, et après l’avoir soigneusement enduit de lubrifiant, elle l’introduisit dans le vagin inachevé d’Andei.
Comme l’avait fait Sorj, Andei laissa échapper un cri guttural à la pénétration. L’IA lui jeta un regard rapide.
— Votre orifice est très étroit. Il faudra sûrement l’ouvrir, pour que vous puissiez être sailli et inséminé. Mais vous avez bien un utérus.
Sailli ? Inséminé ? Par qui ? Par quoi ?
— Le Maître décidera de ce qu’il faut faire, statua finalement Brüder en lui retirant l’instrument de torture. Voyons l’état de vos glandes mammaires, maintenant.
Incrédule, Andei vit le robot s’approcher pour lui torturer vicieusement les tétons.
— Inexistants. Il faudra sans doute les stimuler hormonalement, à moins que des saillies répétées par voie vaginale suffisent à les éveiller.
— Mais qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? cria Andei à travers ses larmes de rage et de douleur. Je suis un homme ! Personne ne va me saillir !
L’IA ne prit pas la peine de lui répondre. Elle se tourna vers le fond de la pièce, semblant attendre quelque chose. Puis, de nouveau, elle fit face à Andei.
— L’examen est terminé pour aujourd’hui.
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