Episode 58 : Embuscade
Il faisait vraiment froid cette nuit-là. Kami ressentit pourtant l’irrépressible besoin de sortir prendre l’air.
Un horrible cauchemar l’avait réveillée en sursaut un peu plus tôt. La présence et les paroles rassurantes de Kaleb, ainsi que ses bras réconfortants, finirent par la calmer, mais la jeune fille n’arrivait plus à retrouver le sommeil. Elle avait alors décidé de descendre à la cuisine pour boire un thé. Seule.
Et la voilà qui se retrouvait désormais plantée devant la porte d’entrée avec une furieuse envie d’aller à la voiture. C’était étrange, comme si une force mystérieuse l’attirait irrésistiblement à l’extérieur… Sans même s’en rendre compte, Kami déverrouilla la porte et sortit dans la nuit.
Elle n’était vêtue que de son pyjama. Le froid ambiant ne lui fit cependant aucun effet, alors qu’elle s’éloignait lentement du chalet et que ses pieds nus s’enfonçaient dans la neige. La jeune fille ne semblait même pas se rendre compte de ce qu’elle faisait. Il fallait juste qu’elle aille à la voiture…
« A ta place, je n’irais pas plus loin petite humaine », lança brusquement une voix qui la sortit de sa transe. Kami cligna des yeux, hébétée, mais surtout perdue. Elle n’avait aucun souvenir d’être sortie.
Juste devant elle se tenait Mo. Debout en plein milieu du sentier enneigé, elle la toisait avec froideur. Ses longs cheveux de jais flottaient doucement dans son dos, tandis que ses iris dorés brillaient dans la nuit.
Elle était vraiment impressionnante… et terrifiante.
Kami repensa à ce qu’elle avait fait à Leo et frissonna. La jeune fille ne savait plus très bien comment considérer Mo. La craindre ou en faire une amie ? Elle avait conscience que la situation était très difficile pour Mo. Que cet asservissement était insoutenable et qu’elle n’aspirait qu’à retrouver sa liberté. Kami s’était alors évertuée à tout faire pour qu’elle se sente un minimum bien avec eux.
Mais jusqu’à présent, toutes ses tentatives pour essayer de se rapprocher de Mo s’étaient soldées par de cuisants échecs. A chaque fois, cette dernière restait glaciale et distante envers elle, Kaleb et surtout Hana. Le seul avec qui elle acceptait plus ou moins d'interagir était Leo, mais leur relation étrange ne pouvait clairement pas être considérée comme… amicale.
« Retourne au chalet, petite humaine », répéta Mo, coupant court à ses réflexions. « Tu n’es pas en sécurité ici », murmura-t-elle ensuite en la fixant toujours aussi froidement sans bouger d’où elle était.
« Quoi ? » balbutia la jeune fille sans rien comprendre.
C’est à ce moment que plusieurs silhouettes surgirent de sous le couvert des arbres. Kami n’eut même pas le temps de crier que deux bras l'enserraient en étau. Une main gantée se plaqua brutalement contre sa bouche.
« C’était vraiment trop facile ! » ricana son agresseur alors que Kami essayait désespérément de se débattre. Mais en vain, la poigne de l’homme était trop solide. « Franchement, un charme pour attirer les démons, qui aurait cru que ça marcherait vraiment ?! »
« On a la fille, mais pas son frère… qu’est ce qu’on fait ? Pas question d’aller à la baraque pour se frotter contre Leo ! » grogna l’un de ses acolytes en apparaissant dans le champ de vision de Kami. Mais qui étaient ces gens ?! « L’autre folle va nous tuer si on ne revient pas avec les deux mioches ! Mais si on va au chalet, c’est Leo qui va nous faire la peau… Fait chier ! »
« T’inquiète, c’est le gamin qui va venir à nous… Ah ! quand on parle du loup ! »
Partagé entre le soulagement et l'horreur, le coeur de Kami tambourina encore plus fort dans sa poitrine lorsqu'elle vit Kaleb. Ce dernier fonçait droit sur eux, son regard rougeoyait littéralement de haine.
« Lâchez ma soeur tout de suite ! » rugit-il avec hargne en se jetant sur l’assaillant de Kami, un long couteau à la main.
Il fut cependant intercepté au vol par trois hommes qui l'empoignèrent et le jetèrent violemment contre un arbre. L’adolescent se releva aussitôt, les lèvres retroussées en un rictus bestial. Ses yeux luisaient faiblement dans le noir.
Non non non ! Kami essaya vainement de se défaire de la prise de son bourreau. Il ne fallait surtout pas que ces gens découvrent…
« Mais c’est quoi ce bordel, foutez-lui une balle ! » hurla celui qui la maintenait.
Mais Kaleb était déjà sur les trois autres, distribuant les coups avec rage. Il n’était malheureusement pas Leo, il n’avait même pas d’expérience en bagarre. Leur père ne les avait jamais préparés à ce genre de situation... Les trois autres n’eurent alors aucun mal à prendre l’ascendant sur le pauvre adolescent inexpérimenté qu’il était. Et ils s’en donnèrent à cœur joie.
Kaleb se retrouva bientôt à terre, vaincu et complètement vulnérable…
Kami voulut crier, mais la main gantée l’en empêchait. Les yeux écarquillés d’effroi, elle ne put qu’assister au laminage en règle de son frère. Chaque coup qu’il recevait vibrait au plus profond de son être. Elle ressentait la douleur, les os qui craquent, sentait le goût du sang dans la bouche… Elle partageait toute la souffrance de son jumeau, si ce n’est même plus. Le désespoir de ne pas pouvoir l’aider la consumait, elle n’était qu’un boulet inutile.
Si seulement, elle savait comment faire pour…
Les larmes dévalant ses joues, la jeune fille chercha Mo du regard. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle se rendit compte que cette dernière ne faisait absolument rien pour les aider. Elle se tenait juste à l’écart et observait la scène avec un détachement glaçant. Mais pourquoi ne faisait-elle rien ?!
Comme si elle se sentait observée, Mo tourna la tête vers Kami et leurs regards se croisèrent. Celui de la jeune fille était complètement dévasté.
« Pitié, aide-le » hurlait-elle intérieurement tandis que son corps était secoué de sanglots. L’échange ne dura qu’un millième de seconde, mais ce fut comme une éternité pour Kami. Le contact fut brutalement rompu lorsqu’une vive douleur lui vrilla le crâne. Son frère venait de se prendre un violent coup à la tête. Elle ne ressentit alors plus Kaleb, leur lien s’était-il brisé ?
Cette sensation la terrifia.
C'en était trop pour la jeune fille qui se sentit partir. Sa dernière vision fut celle de Mo disparaissant dans la nuit, puis ce furent les ténèbres.
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