Conférence du Professeur Henry : Lectures et relectures de la Reine
Me voici en votre présence dans le magnifique Hôtel de ville. Je vous remercie de votre accueil et espère être à la hauteur de toute cette attention. Je prends la place de l'orateur à la suite de votre Maire, vous savez maintenant pourquoi, parce que je suis dépêché du Royaume de Axe et de sa capitale pour établir une Université en votre ville. Plus tôt dans la journée, le Maire et moi-même avons signés les actes de fondation et de propriété de la futur Université André Lor.
Certains d'entre vous reconnaisse ce nom. Peut-être êtes-vous de la prestigieuse famille André ? André Lor a été le premier Maire de votre ville, sans pour autant avoir eu ce titre. Il a été le guide des colons qui sont arrivés dans la Vallée dans la deuxième année après la Guerre Civile. Cent deux années après la fondation de sa ville, quatre vingt dix-sept années après sa disparition durant une chasse, nous avons estimé qu'il était nécéssaire de rendre hommage à ce nom plus qu'à quiconque. Cela n'enlève pas que vous avez bien d'autres héros. Rassurez-vous, l'Université aura bien des hall et des salles en demande de patronymes.
[rires]
Après ces plaisanteries, je vais terminer ces premiers mots par une annonce. Comme vous le savez, l'Université André Lor ouvrira ses portes à vous et vos enfants, pour que vous étudiez et appreniez et approfondissiez lectures et écritures ainsi que sciences. Mais l'Université va aussi chercher des professeurs. Tout le monde peut candidater à partir de maintenant. La sélection se fera à Axe et vous serez jugez par plusieurs épreuves.
[Silence]
Vous vous demandez ce que vous valez, mais surtout à quoi ressemble le métier de professeur d'Université maintenant, c'est bien cela ?
Ma conférence va servir à cela. Je vais à présent vous présenter le fruit de mes recherches sur la Prophétie de la Reine, un texte que tout le monde connaît pour l'avoir entendue de la bouche de bien du monde, parents, professeur d'école, anciens de famille, et bien d'autres personnes. Mais connaissez-vous vraiment le texte ? Savez-vous le lire ? Et plus encore, pensez-vous que ce texte se lit aujourd'hui avec le même regard que celui d'il y a plus de cent ans ?
Je m'amuse souvent à penser que dans les villages de la Terre d'È, surtout ceux de l'ancien Empire, la seule littérature connue des paysans est celle de la Prophétie de la Reine. Ne connaissant que cela si ces gens en viennent à devoir écrire quelque chose, leur premier réflexe sera d'écrire en vers.
[Rires]
Bref, laissez-moi aborder mon sujet.
La deux cent cinquante-sixième année du Premier Empire des Hommes est marquée par beaucoup d'événements tragiques. Les premiers sont dus à l'Enfer et l'apparition de la Première Porte. L'Est de l'Empire est ravagé, des hordes de Orgs sèment la mort en ravageant les villages, et une armée incommensurable s'en prend aux ville de Elbe, Eolt ou encore Arn dont les vestiges sont immergés sous les eaux de l'Avin. D'autres événements sensibles viennent du Sud, une population lasse de faire face à la montée des eaux de l'océan, prend les armes et met à bas les réglementations et le cadastre impérial.
La capitale, Elme, est sous le choc de ces tragédies. Le Roi, impuissant contre ces ennemis que rien ne préparait, est incapable d'agir. On peut le comprendre comme cela, la paix impériale était totale depuis des décennies et des décennies, le Roi d'alors n'avait jamais connu la guerre ou même une bataille, pas même de troubles de brigandages. Il est né sur une terre en paix et espérait mourir dans ce même monde sans jamais avoir quelque chose à faire. Sa cours était dans la même situation, le Roi n'avait aucun conseiller capable de prendre les décisions nécéssaires pour lever une grande armée contre l'Enfer et parlementer raisonablement avec les rebelles au Sud.
Mais il y avait à Elme un esprit novateur. Perché dans les nuages disent certains, peut-être, mais novateur puisque la Reine a su utiliser les moyens qu'elle avait pour changer l'état léthargique de l'Empire. Ecrivant comme une correspondance à tous les citoyens, elle prend une voix douce et sensée pour établir une défense de l'Ordre contre l'Enfer. Elle construit une croyance optimiste dans l'avenir qui a su saisir la motivation de beaucoup d'hommes et de femmes à travers toute la Terre d'È. Voici ce qu'est la "Prophétie de la Reine" : dans un monde accablé mais incapable de se ressaisir, un texte qui pose les bases du changement.
Après ces généralités, étudions de plus près quelques passages. Je voudrais discuter de ces passages prophétiques de la Reine, c'est-à-dire les visions de l'avenir qu'elle a eu. Il y a les Portes de l'Enfer bien sûr, dont la troisième et la quatrième se font attendre et la venue de l'Elu et ses épreuves. Enfin je voudrais terminer mon exposé sur la ville de Eter et sa Vallée qui sont toutes deux envisagées.
Il est assuré aussi bien par la légende que par les minces extraits historiques que nous avons que la Reine a écrit son oeuvre lors des événements de la Première Porte, aussi les annonces de la Deuxième Porte, de la blessure du Général Edmon et de l'apparition des Nains et des Elfes sont prophétiques. L'utilisation dans la narration du futur est aussi une clef de compréhension que les événements conté sont à venir. Cependant, en l'état de certains manuscrits où des traces d'écritures supérieures sont visibles, on pourrait suggérer que certains passages ont été réécrit dans les semaines et mois après. L'hypothèse ultime suggérerait que la Reine a pu reprendre son oeuvre jusqu'à sa mort. Mais seule une vraie étude de l'ensemble des manuscrits du Rêve de la Reine permettrait d'établir la vérité sur l'instant, ou les instants, d'écriture de l'oeuvre. Cette étude est attendue mais demande un effort musclé tant il demeure des tensions politiques entre les différentes anciennes provinces de l'Empire. L'accès libre aux manuscrits dispersées dans toutes les villes de notre Terre d'È est essentielle pour cela.
Parlons aussi rapidement de l'Oraco. L'Oraco de la Deuxième Porte est abatu, comme il est raconté, par les Elfes et les Nains. Il s'est écroulé quelque part en formant un grand crâtère. La Reine demande ensuite deux choses, d'une part de bâtir une ville dans le cratère de cet Oraco, la seconde de faire forger des pointes de flèches à partir des os du monstre. Malheureusement les événements furent différents. Les Chroniques de la Guerre Civile, oeuvre fondamentale de Axe et continuée de nos jours sous le noms de Chroniques du Royaume de Axe, rapportent que les tireurs elfes ont touchés à maintes reprises l'Oraco durant une soirée de combat. L'Oraco se serait dirigé vers le Nord ensuite pour ne plus jamais reparaître. Suivant la Prophétie beaucoup d'explorateurs sont partis à la recherche du cadavre du monstre. Mais comme personne ne fut capable de passer le fleuve Fyl avant la construction de son pont par les Nains, la découverte du cratère de l'Oraco et de son cadavre s'est fait cinq ans après les événements de la Deuxième Porte. Un questionnement a secoué Axe pendant longtemps : doit-on suivre la prophétie à lettre ? Bâtir une ville dans le cratère n'était pas une entreprise sans risque puisque ce cratère est mal situé. C'est au Nord-Ouest d'ici, et pour ceux qui y sont allé parmi vous, la région demeure aujourd'hui encore sauvage et hostile. La terre n'est pas bonne pour la culture et le temps est souvent lourd et étouffant. La proximité des Steppes arides de l'Ouest est visible. Puis il y a la question de la forge de pointe de flèche. Cinq années sont passées et le cadavre de l'Oraco s'est trouvé enseveli en partie sous la terre et caché par la verdure. On parle de la dégradation des os par l'acidité de la terre et par l'inéxorable temps. Aussi le nombre de flèches viable construites à partir des os du monstre se compte sur... le bout des doigts. Une question se pose ainsi : quelle réalité donner aux visions de la Reine ?
Enchaînons avec les événements de la Troisième Porte. Je vous cite deux strophes :
La troisième porte / Et ses milliers de cohortes / Dévasteront une ville nommée Eter / Et tous les repères
La vallée idéale / Sera repère spécial / A la préparation de sa venue / L’être infâme retenu
Posons la question cruciale : Où est cette "ville nommée Eter" ? Puisqu'aucune ville du vivant de la Reine n'avait ce nom, pas même un village. Plus difficile encore, cette Eter serait dans une vallée et serait symbole de quelque chose de "spécial" pour reprendre le terme. Ce sont là bien des mystères qu'il faudrait éclairer.
Aussi, de quoi parlons-nous. Est-ce que la Prophétie de la Reine investit dans cette vallée des symboles particuliers pour la venue de l'Enfer, prophétisant ainsi la destruction de la Vallée, ou bien la vallée d'Eter sera bien avant l'heure venue une vallée prospère et dôté d'une grande réputation dans toute la Terre d'È ? La nuance peut être grande. C'est pourquoi, par ailleurs, depuis quelques années des cités nouvelles ici ou là sur la Terre d'È prennent le nom de Eter. Lorsque l'on questionne les Maires, leurs conseils municipaux ou même les habitants, une majorité s'accorde à dire qu'elle reprenne simplement la Prophétie. Et ces gens parlent avec optimisme, oubliant la destruction annoncée. Mais peu de ces "Eter" sont fondées dans des vallées. Quand on pose cette question, la description et la délimitation de la "vallée" sont farfelues. Il est même visible que les habitants ne croient pas en leur ville.
Et d'un autre côté, il y a des localités comme la vôtre qui se trouvent au fond d'une belle vallée, qui semblent être tout à fait prospère mais qui ne se nomment pas Eter. Pourtant vous avez un grand avantage par rapport aux autres de ces "candidats", appelons les ainsi, votre proximité avec les Nains. Rappelez-vous que la destruction de la Troisième Porte se fera par les Orcs et les Nains :
Ils creuseront les murs d’Eter / Et la ville prise à l’envers / En un tour de main / Et la porte détruite par les nains
Et ce serait passer avec cet autre passage, deux strophes après :
Le nouvel Empire couronné / Gouvernera à partir de la montagne libérée / Les nains auront demeure dessous / Les elfes tiendront conseils dans le bois debout
Biens des questions peuvent être soulevées avec ces vers. Notamment une faisant écho à mes précédents interrogations. Quand la Prophétie dit que les "Nains auront demeure dessous", faut-il comprendre qu'ils se bâtiront une demeure dans le sol sous la ville ? L'utilisation du futur est une fois de plus essentielle dans cette hypothèse. Mais on peut aussi suggérer qu'ils aient déjà demeure sous la ville et que, finalement, ils ne feront que reprendre leur habitation.
C'est tiré par les cheveux vous me dire. Je comprends votre étonnement et je ne voudrais en aucun cas induire tout ce public en erreur. Mais à force de saisir des petites déformations entre le texte et la réalité, je commence à croire qu'un détail concernant l'habitat des Nains dans la Prophétie pourrait exister. Je vous ai parlé de l'histoire du cadavre de l'Oraco, je pourrais aussi vous citer l'apparition des Orcs : La Prophétie de la Reine nous laisse croire que les Orcs n'apparaitront pas sur la Terre d'È avant les événements de la Troisième Porte, que les Humains les prendront d'abord pour des Bêtes de l'Enfer pour ensuite leur faire plus ou moins confiance. Très bien. A ma connaissance, cependant, la Troisième Porte n'est toujours pas arrivée alors que je compte parmis mes connaissances quatre Orcs qui habitent Axe depuis des années. Ici, votre ville compte parmi ses ouvriers certains Orcs. Les gardes de vos marchands sont souvent des Orcs.
D'un autre côté, la méfiance des Humains envers les Orcs est tout à fait vrai. L'université de Axe aurait eu le privilège de compter cette année parmi ses professeurs le premier Orc de l'histoire si une pétition de la population et d'une partie des étudiants n'avait pas fait pression sur la direction. Cela est une autre histoire.
Bref. Comme je ne souhaite pas terminer sur ces pensées, disons, négatives, je vais terminer ma conférence en reprennant la recherche de professeur pour l'Université André Lor.
Parlons du salaire : quand l'Université verra le jour, elle commencera avec une trésorie de cent mille pièces d'or, du jamais vue dans le monde universitaire. Une partie de cette dotation servira à l'acquisition de livres, même si on compte et espère sur la donation de certains philantropes, une autre partie servira à l'invitation et à la réception d'invités prestigieux pour des journées d'études particulières et exceptionnelles. Mon réseau permet déjà d'envisager quatre à cinq de ces événements par mois pour mettre en route des amitiés entre les universités et des coopérations. Enfin, le trésor de l'Université permettra de payer ses professeurs à hauteur de cinq pièces d'or par heure de cours donnée en plus de l'argent perçu des élèves.
Je pense, j'estime même, que l'offre est alléchante. Si tel est le cas, ma conférence de ce soir aura servit la cause et j'espère revoir certains d'entre vous dans les couloirs de l'Université comme élèves, comme professeurs et bien sûr comme amis.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite la bonne continuation.
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