Cinquième jour, troisième semaine, huitième mois,

année cent quarante neuf après la Guerre Civile

Alan,

Te souviens-tu ? Te souviens-tu où tout a commencé ? Plutôt comment tout a commencé ?

Il y a plus de cent cinquante ans, lorsque nos deux familles sont arrivées dans la vallée. Cent cinquante ans de compétition de quelle famille sera la meilleure ; meilleure récolte, meilleur commerce, meilleure industrie, oh ! et aussi plus beau palais ! Cent cinquante ans que les patriarches se vouent une haine que l’on assume. Cela a commencé avec une chèvre, aujourd’hui cela prend des proportions inimaginables.

Demain nous allons mourir.

Demain sera rendu un verdict sans appel : la mort ou la réconciliation.

Je n’arrive pas à croire que les heurts sont allés si loin. Et que mon destin est entre les mains de la justice de la ville. Pire encore, entre les mains de mon père. Pardon, de nos pères.

Demain nous nous reverrons au tribunal puis sur la grande place. J’espère pouvoir t’enlacer une dernière fois. Si c’est à faire devant tout le monde, c’est pour cela qu’on est condamné après tout, je le ferai. J’espère qu’il en est autant pour toi.

Toi.

J’ai peur de la mort. J’ai peur des Gardiens comme j’ai peur d’aller en Enfer. Mais si c’est avec toi que je parcours l’obscurité de la mort, alors l’Enfer sera radieux, chaleureux. Il sera comme mon rêve de passer toute ma vie près de toi.

Te souviens-tu ? Main dans la main courant dans la rue du marché, c’est le souvenir que je garde de notre enfance. Te souviens-tu ? Nos mères échangeant ce regard qu’on a appris à reconnaître : entre le contentement de nous voir ainsi et la peur de la réaction de nos pères concernant notre relation.

Pourquoi en fut-il ainsi ? pourquoi nos frères ont commencé à s’étriper ?

Pourquoi ton frère a amené ses mercenaires et le mien la Légion ?

Pourquoi en cette année cent quarante neuf un nuage noir s’est arrêté au-dessus de la ville ?

Nuage de discorde et d’intolérance, nuage de haine et de règlement de compte.

La mort ou la réconciliation ? Je connais mon destin, jamais père ne fera cela.

Richard

PS : Si je meurs et que tu découvre cette lettre, frère ou sœur. Fait la conserver par la ville, discrètement. Mon espoir est de n’être pas mort en vain. Adieu.