"La chair est triste..."

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Grises étaient les heures. Blanche ma solitude. Pourquoi fallait-il que tu aies élu cette ville d’eau pour dernier refuge ? Car, après, il n’y aurait plus rien que le vide et l’absence. Le jour était une poussière sale, une chute de pluie sans fin, la perte du jour dans une faille si étroite qu’on eût dit l’extrémité d’une île, la pointe avancée de quelque septentrion qui, bientôt, serait pris de glace. Etonnante la dérive des êtres, leur soudain éloignement quand la césure a eu lieu. Tu sais, comme dans les alexandrins. Mais eux l’appellent, la césure, comme une pause, une respiration, le point d’équilibre de leur rythme. « Hémistiche », tel était le nom qui m’accompagnait, battant mon flanc avec la régularité de l’heure à s’écouler, entaillant mon âme de son scalpel. Pour moi, la césure était devenue abîme et, sur ses flancs, plus rien ne paraissait qu’un morne paysage privé de sons et de couleurs. L’exact contraire de la joie, l’amplitude de la tristesse lorsqu’elle confine à la mélancolie. Et, sous la pluie si fine qu’elle noyait en elle toute volonté de parution, aussi bien du ciel, aussi bien de la terre, voici que surgissait dans l’aire libre de ma tête le vers entêtant, le bourdon aux ailes mordorées avec son bruissement d’étoupe :

« La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. »

Oui, tous les livres, je les avais lus, depuis les Antiques, depuis Sappho la poétesse jusqu’à Proust le moderne, en passant par les romantiques, les réalistes, les naturalistes. Mais, de cela, que demeurait-il, sinon une phrase, une mélodie, un titre, l’évocation d’un paysage, le goût d’une « Petite Madeleine ». Que restait-il ? C’était, étrangement, Mallarmé qui survivait au naufrage. C’étaient ses vers si musicaux, son invitation au poème, son effroi de ne plus le voir paraître, cet « Ennui » majuscule qui appelait l’exil vers cette terre d’outre-poésie que, sans doute, l’âme du poète habitait lorsque le corps se serait absenté. Existe-t-il une lointaine Thulé où l’on se sustente de mots, où le vent est une ode, l’eau une cantilène, les nuages une prose légère ? Existe-t-il ?

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