Cœur de Monstre
La jeune fille savait où son père l’emmenait : elle avait été promise au monstre de la montagne, et ce, sans son consentement. Elle pleurait toutes les larmes de son corps depuis le petit matin. Souvent, dans son village, on racontait les pires horreurs sur le monstre de la montagne : il dévorait ses proies vivantes, se délectait de leur sang encore chaud, s’amusait avec comme s'il ne s’agissait que de vulgaires jouets… La jeune promise avait peur. Rapidement, ils arrivèrent à destination. Elle pensait qu’elle allait mourir quand son père la laissa là, seule, dans le froid.
— Le monstre de la montagne va venir te chercher, ne bouge pas d’ici.
Il la jetait dans la gueule du loup et demandait à sa fille de rester sage et obéissante.
Tandis que le père s’éloignait sans même souhaiter bonne chance ou dire au revoir à son enfant, une ombre immense fit son apparition derrière la jeune fille. C’était lui. Le monstre de la montagne. Il était laid à faire peur et dégageait une odeur de pourriture qui souleva le cœur de la jeune fille qui baissa les yeux à sa vue. La voix de la créature résonna alors doucement, ce qui la surprit.
— Tu es celle qui m’est promise ?
La jeune femme avait envie de hurler, de nier, mais le monstre l’entraînait à présent vers sa demeure sans qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit. Et elle fut d’autant plus surprise que la terrifiante créature habitait une immense bâtisse de pierre. C'était un véritable château à l'architecture médievale qui se trouvait face à elle. Trois grandes tours s'élevaient gracieusement vers le ciel. La fiancée s'attendait presque à voir sortir des grandes portes de l'entrée valets et serviteurs. Dans son esprit, elle pensait qu'il habitait une simple grotte dans la montagne.
Durant les premiers jours, le monstre la laissa seule avec ses pleurs incessants. Pourtant, il faisait tout pour que sa compagne jouisse d’un grand confort : il ramenait des viandes et des poissons qu’elle n’avait encore jamais vus, des pierres brillantes de mille feux et de grande valeur, des fourrures d’une chaleur incomparable avec tout ce qu’elle avait connu.
Elle avait tout pour être heureuse, mais ce n'était pas le cas. Il s'agissait du monstre de la montagne, et elle en avait toujours gardé une peur bleue. Pire que tout, elle en était arrivée à le détester du plus profond de son coeur. Alors elle décida de s’en débarrasser définitivement. Et de plus, pensa t-elle, si jamais l'horrible créature venait à mourir, tout lui appartiendrait. Elle n'aurait plus qu'à retourner au village dans la maison de ses parents avec le trésor.
Le plan pour se débarrasser de la créature était simple : l'endormir à l'aide d'une boisson pendant le repas du soir, et la tuer, tout simplement. Pour la toute première fois, la promise prépara le repas de son futur époux. Ce dernier en fut surpris, mais cela lui fit grand plaisir. Après tout, la jeune fille n'allait pas rester enfermée à pleurer dans une pièce jusqu'à la fin de ses jours. Avec ce qui ressemblait à un sourire, il s'installa à la grande table.
— Hé bien, ma promise, cela est agréable de vous voir de meilleure humeur.
La jeune fille se retint de sursauter lorsqu'elle entendit que le monstre s'adressait à elle. Et alors qu'elle continuait de préparer le repas, elle lui répondit d'une voix qui se voulait la moins terrorisée possible.
— Il le faut bien, futur époux. Après tout, nous allons vivre ensemble pendant de longues années, alors autant me résigner et que notre relation se construise de manière agréable.
Le rire du monstre de la montagne résonna avec force dans la pièce, manquant de faire trembler les murs de pierre. Il était effrayant, et la jeune fille manqua de faire tomber la cuillère avec laquelle elle mélangeait la soupe. Elle se tourna vers son futur époux, se forçant à sourire, et lui demanda avec une voix aimable :
— Voulez-vous boire une coupe de vin le temps que je termine d'assaisonner la soupe ?
— Fort bien, cela me réchauffera.
La jeune fille lui servit alors une coupe de vin. Ce même vin dans lequel elle avait glissé un puissant somnifère. Le monstre de la montagne la remercia d'un simple signe de tête lorsqu'elle lui tendit la coupe et l'avala d'un trait. Il en redemanda rapidement, et la promise ne se fit pas prier pour le re-servir. Et lorsqu'elle termina de préparer la soupe, le monstre de la montagne s'était endormi.
L'énorme couteau de cuisine entre ses mains tremblantes, elle s'approcha de celui qu'elle voulait voir périr. L’odeur pestilentielle du monstre lui sauta à la gorge. Elle se retint pour ne pas rendre son maigre repas du midi. Alors elle s’avança, doucement, leva le couteau et le planta dans la gorge du monstre qui hurla de douleur. Et à chaque fois qu’elle plantait le couteau dans sa gorge, elle entendait un cri inhumain qui manquait de lui percer les tympans.
Au bout de quelques instants, le monstre de la montagne n’était plus. Il gisait sur son siège, sans vie.
Tout ce qui se trouvait là appartenait à la jeune promise. La demeure de pierre, les fourrures, les pierreries, les vaisselles d’or et d’argent… Tout lui appartenait à présent.
La jeune fille s’était mise à rire. Elle quitta la pièce pour se dépêcher de prendre tout ce qu'elle pouvait avant de repartir dans son village. Mais lorsqu’elle passa devant le grand miroir de la chambre du monstre, son rire s’arrêta net. Devant elle, se trouvait un autre monstre, encore plus laid que celui qu’elle venait d’assassiner.
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