Rencontre en haut lieu

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  Jean se réveilla dans un lit. Il sentit tout de suite qu'il n'avait pas atterri dans un hôtel 4 étoiles. Le sommier laissait à désirer... Il n'avait pas pour autant le désir de se lever. Son corps était écrasé de fatigue et ses pensées évoluaient dans une mélasse que la chaleur n'expliquait pas. L'esprit encore remplit de rêves agités, il ne comprenait pas ce qu'il faisait ici. La réalité reprenait péniblement sa place. Il se souvînt qu'il était mort et que d'une façon inexpliquée, il vivait encore. Le corps qu'il habitait à présent, ressemblait en tous points à celui qu'il avait connu sur terre. S'il n'était pas réel, l'illusion était parfaite. La moindre faille dans cette reconstitution, l'aurait rendu fou. Il se sentait fiévreux, harassé. Il se demanda s'il ne revivait pas ses derniers instants.

Le lit se trouvait dans un coin d'une pièce de modestes dimensions, aux murs blanchis à la chaux.

Le toit, une simple brassée de branches aux longues feuilles, se laissait voir au-delà des poutres qui structuraient l'ensemble.

Il tourna doucement la tête et découvrit qu'il n'était pas seul.

Un homme dans la quarantaine, installé au fond de son fauteuil, le fixait avec curiosité. Á ses pieds, un long chien noir sans collier dormait paisiblement.

Il émanait de son hôte une autorité incontestable, propre à tout emporter sur son passage. Jean sut que cet homme n'avait rien d'ordinaire et qu'il avait accompli de grandes choses au cours de son existence terrestre.

Saisi malgré lui par un élan de déférence, il tenta de se redresser pour lui témoigner son respect , fasciné par sa présence.

— Calmez-vous mon brave et gardez vos forces pour d'autres combats !

La voix chaude et volontaire occupait toute son attention. Par mimétisme, il s'adressa à lui dans un langage plus châtié que de coutume :

— Monsieur, j'ignore bien qui je suis et ce que je fais ici. J'ai fait un terrible cauchemar, j'étais mort et mon âme, pour laquelle je n'étais rien, se défaisait de moi comme on jette un habit usagé.

— Vous avez bien un nom ?

— Mais veuillez me pardonner, votre Altesse... Je suis Jean ...

L'inconnu, reconnu, esquissa un demi-sourire, exprimant à la fois de la compassion pour le pauvre hère qu'il avait recueilli et une once d'orgueil.

— Ainsi, vous savez qui je suis ! De quel bataillon faisiez-vous partie ?

Son cœur manqua un battement. Le peu de souffle qui l'animait encore le quitta. Après un long moment pendant lequel il se demanda s'il allait parvenir à la prochaine inspiration, il parla à nouveau.

— Je suis mort, n'est-ce pas. Ceci n'était pas un cauchemar, mais la réalité ...

Le Puissant, sourit avec compassion.

— Vous auriez fait un bon général ! Vous avez de la chance et un bon soldat doit avoir de la chance !

— Hélas, je suis mort et vous aussi et depuis bien plus longtemps que moi !

— Intéressante compagnie ! Vous êtes mort en quelle année mon brave ?

— 2034, votre Altesse...

— Quant à moi, j'ai péri en l'an 18...

— 1821 ...

L'altesse, lui jeta un regard noir :

— Vous m'avez interrompu ! Ne recommencez jamais.

Jean se sentit comme un enfant pris en faute. Pourtant il se dit qu'un homme qui a tué tant de gens, ne méritait peut-être pas tant d'égards. Sa grande faiblesse et la précarité de sa situation lui disctèrent de n'en rien dire.

— Mon trépas est intervenu au terme d'une longue captivité sur une île perdue au milieu de l'océan, au large des côtes d'Afrique... Mes ennemis me craignaient trop pour me donner la mort, il attendirent lâchement qu'elle advienne par l'usure du corps ! Finalement l'impatience les gagna : J'ai été empoisonné !

Jean sentait bien que l'homme portait toujours en lui les stigmates de sa chute.

- Plus dure sera la chute, pensa-t-il.

Il décida d'obtenir de cette rencontre improbable, le plus d'informations possibles sur sa condition.

— Puis-je vous demander, comment vous avez pu échapper au traitement que les âmes réservent au commun des mortels ?

Ravi de l'attention de son auditoire, fut-il réduit à une personne, le grand homme ne se fit pas prier.

— Soit mon brave, je vais accéder à votre demande : Je ne l'ai pas permis, voilà tout !

Il portait le masque de la plus profonde satisfaction.

— Pas permis ? Mais comment avez-vous fait... Pour ne pas le permettre ?

Jean, en dépit de sa faiblesse, se trouvait à l'exact point d'équilibre entre extase, fascination et ravissement. Cet homme avait vaincu la mort !

L'empereur lui parla comme on instruit un enfant :

— Ces âmes comme vous les appelez ne sont que des parasites dont Dieu n'a pas voulu. Ils sont créatures du Diable et comme telles faibles et imparfaites. C'est une question de volonté mon brave ! La chose est encore en moi - il se frappa la poitrine d'une façon martiale - Je la tolère parce qu'elle porte mon esprit au-delà de la mort ! Mais je la méprise et elle sait qui est le maître !

— Je .. Je n'ai pu lui résister ! la honte lui brûlait la gorge.

— Il faut pourtant que vous ayez fait preuve d'audace pour être encore là malgré tout !

Une lueur blanche au scintillement électrique apparut au centre de la pièce.

— Vous avez de la visite, soyez brave et ne laissez pas cette ordure vous dicter sa loi !

  L'âme s'empara sans difficulté de Jean. Il avait beau la repousser de toute la force de son dégoût. Même son instinct de survie ployait le genou devant cette attaque d'un autre monde. Elle le fouillait sans ménagement, lui arrachant des cris de douleur à chaque mouvement de ses bras intangibles. Il comprit alors qu'un morceau d'âme s'était trouvé séparé du reste de l'entité au moment où elle l'avait quitté et que c'était bien ce fragment qu'elle recherchait.

  Mais Jean refusait de perdre cette salissure en lui qui le faisait vivre alors qu'il aurait dû tout perdre. Après une lutte âpre, il sentit que son esprit se trouvait à présent arraché et fusionnait avec celle qui avait été son âme pendant toute une vie.

Emporté dans un maelstrom de couleurs, d'odeurs et de sensations vertigineuses, il perdit tout repère

Alors son âme lui parla pour la dernière fois :

— Tu l'as bien cherché ! et son rire l'accompagnait au moment où sa tête sortit du col de sa mère.

Pour la seconde fois de sa vie, il venait de naître !

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