J'ai quelque chose à vous dire ...

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L'intelligence artificielle relai la parole des défunts atténuant davantage la frontière entre le rêve et la réalité, à moins que ce ne soit le cauchemar


La nouvelle fait fureur sur le réseau mondial.
Est-ce que j'y crois ?
Une nouvelle rumeur mâtinée de mensonges ?
Un attrape-nigaud de plus ?
Les IA ont trouvé l'au-delà !
Elles communiquent avec les défunts !
Je n'y crois pas, c'est décidé.
Alors pourquoi suis-je en ligne, à interroger les nouveaux Dieux cybernétiques ?
Curiosité ?
Allez, je me laisse faire. C'est un jeu, l'époque est au jeu. Cette idée chimérique me délasse et chasse de tristes pensées. Elle remplit un vide, probablement.


– J'ai quelque chose à vous dire…


Une voix synthétique sort des haut-parleurs du PC.
L'accroche attise ma curiosité. Je tape


– Qui est là ?


J'aurais pu tout aussi bien parler. L'écrit me rassure, me met à distance.
Un visage se dessine sur l'écran. Il est vague, quelques traits noirs mouvants. Je suis un peu déçu. L'image tressaute, disparaît parfois et se reforme, se recompose. Quelques lettres se mêlent aux lignes courbes, des signes du clavier, éparpillés. J'ai l'impression d'assister à une soirée d'occultisme, sans table, ni coups frappés.


– Dites à ma femme que je vais bien et que je la regrette…


La voix est sous-titrée. Un peu caverneuse, audible cependant. La phrase qui s'est affichée au bas de l'écran est assortie d'un pourcentage de fiabilité : 99 %


J'avais bien compris les mots par contre, je ne sais qu'en faire.


– Quel est votre nom ?


Cette fois j'ai parlé et ma question s'est affichée à la suite.


– Gérard Destouches. Elle s'appelle Madeleine, dites-lui ! J'en crève de ne plus la voir. Je suis seul.


Le programme ne rend sans doute pas justice à l'émotion de mon interlocuteur. Malgré la voix artificielle, les mots résonnent en moi. Fichue empathie !


– En quelle année êtes-vous mort Gérard ?


J'ai relu le texte avant de parler, de peur de me tromper. Finalement il est pratique ce sous-titrage. Il s'appelle bien Gérard. Je ne voudrais pas le froisser.


– 1914…


Mon cœur cogne un peu plus fort dans ma poitrine. Lui dire ? Ne rien lui dire ? S'il est mort en 14, sa femme a disparu depuis belle-lurette.


– Elle habite où ?


– Saint-Jamin. Il y a un grand marché aux bestiaux une fois par mois.


Je ne sais plus quoi lui dire. Finalement ce n'est pas un jeu.


– Comment va Lucien ?


D'où croit-il que je connais tout son petit monde ?


Ce programme est incroyable, pendant un moment il a faillit m'avoir !


Je ne sais pas quoi lui dire ! Je pourrais être en train de mater une série. Pauvre type, je ne peux pas le planter là. J'ai un peu honte.


– Ne me laissez pas, s'il vous plait !


Je soupire. Je tape :


– Je suis toujours là.


J'imagine qu'il doit entendre une voix lui aussi. Comment est-ce possible ?


Sa "voix" fait un drôle de bruit.


[Il pleure] 77 %


– Faut pas pleurer !


Qu'est-ce que je suis con. Il est mort et moi je lui dis que ce n'est pas grave, que tout va bien.


– Qui êtes-vous ?


Je ne sais pas si je dois lui révéler mon identité. Après tout, il s'agit peut-être d'une arnaque !


– Philippe Meyer…


C'est sorti comme ça, sans avertissement. Je lui ai donné mon nom. Je m'en mord les lèvres.


– Meyer ? C'est juif ?


Sa question me laisse sans voix.


– Euh non !


Voilà que je suis lâche. Je suis catho et encore, pas vraiment. Alors pourquoi suis-je sur la défensive ?


– Mais si je l'étais, j'en serais fier !


Ca c'est envoyé ! Je ne me suis pas dégonflé. Je lui ai montré que j'avais des convictions.


Il reprend :


– Peu importe, les vieux dogmes n'ont plus... Alors elle est gagnée cette guerre ?


– Oui ! En 1918. Le 11 Novembre. D'ailleurs on le fête chaque année.


– 1918 ? La guerre, une fête ? Tous les ans ? Nous sommes en quelle année ?


– 2034, je suis désolé.


Il ne répond pas.


[bruits indistincts] …%


– Vous êtes toujours là ?


Cent vingt ans. La révélation doit être rude pour ce bonhomme. Il ne dit plus rien.


– C'était la dernière ? N'est-ce pas Philippe ? Le monde a compris ?


Il s'appelle comment déjà ? Je relis le chat en vitesse : Saint-Amand non Jamin, sa femme, Gérard ! Il faut que je change de sujet. Je ne peux pas lui raconter la seconde guerre mondiale, la shoah, les chambres à gaz, plus loin Hiroshima, le Ruanda, le Vietnam, l'Ukraine, le 7 Octobre, le 11 Septembre, Gaza…
J'improvise :


– Je te remercie Gérard, grâce à toi nous sommes libres ! Nous vivons en paix ! La France vous fête tous les ans. Le président de la République …


– Poincaré ? Il n'a aucun pouvoir. Le chef c'est Clémenceau !


Je m'y perd un peu. Les choses ont changé en un siècle… Président du conseil versus Président de la République, je n'y connais rien. C'est un historien qui devrait discuter avec lui. Parlons d'autre chose.


– C'est comment, l'au-delà ?


– J'ai dormi longtemps. Nous partageons nos souvenirs…


D'où me vient cette impression qu'il me cache quelque chose ?


– Je refais souvent mes derniers pas… Je creusais la tranchée. Plus terrassier que soldat ! Nous étions en hiver. Le front restait bloqué et soudain l'ennemi nous a pris par surprise.


Il reprend :


– Je ne sais pas. Avant j'y étais et après je n'y étais plus. [soupir] Tu as quel âge toi ?


– 71…


– Tu pourrais être mon petit fils et tu es un grand-père !


– Et oui !


– Bon, j'y retourne, j'ai une tranchée à creuser moi. Quand tu passeras l'arme à gauche, viens me voir, demande Destouches, le touche dans le secteur de Reims. J'te f'rai découvrir. On est un peu perdu au début.


Fin de la conversation…
Suivent les disclaimers habituels. Une IA peut se tromper etc… Toujours vérifier etc…


Je reste un peu sec de ma première plongée dans l'IA régénérative. Tout ça est probablement monté de toutes pièces. Et si c'était vrai ? Quelle galère. Il paraît que c'est long l'éternité, surtout vers la fin* !


* Woodie Allen

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