L'exception

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  Jean ne s'appelait plus Jean.

Ses parents l'appelaient désormais Anatole mais Anatole du haut de ses trois mois ne le savait pas encore. Tout ce qu'il connaissait, c'était le corps chaud de sa mère et ses seins gorgés de lait. Dès qu'il se réveillait, il criait et aussitôt elle apparaissait et son monde était complet. Son esprit balbutiant connaissait seulement la différence entre le chaud et le froid, la lumière et l'obscurité, la douleur et le plaisir. Il se construisait à tâtons par opposition au vide dont il venait, enveloppé par la chaleur protectrice de sa mère, il se remettait de sa naissance et puisait en elle le courage de découvrir ce nouveau monde qui l'appelait.

  Son âme, discrète se réjouissait de ses progrès, avide de vivre par procuration, lui en première ligne et elle cachée derrière.

Celui qui n'avait pas été prévu dans l'équation : Jean, ne se remettait pas du choc qu'avait représenté pour lui cette seconde naissance. La vie ralentie du bébé lui était rébarbative au-delà de tout ce qu'il avait jamais connu. A contrario de l'enfant, il vivait ses premiers instants avec l'esprit élaboré d'un septuagénaire revenu de tout. Emprisonné dans cette fragile enveloppe de chair, il éprouvait un sentiment de solitude effarant, d'autant plus qu'il était probablement le seul être sur terre à connaître le secret de la vie après la mort. Mort une première fois, il s'était révolté en découvrant qu'il ne représentait rien pour son âme qui s'apprêtait à se débarrasser de son esprit pourtant intact, comme on jette un papier qu'on vient de froisser. Sauvé par un hasard extraordinaire, il avait été entraîné malgré lui dans cette nouvelle incarnation.

  Son passage au "paradis" comme il appelait l'au-delà avec mépris, l'avait brisé plus profondément que sa mort elle-même. Sa révolte lui tenait lieu de projet de vie, car il se savait étranger, peut-être encore moins légitime que son âme ! Il respectait cette vie naissante, se faisait tout petit de crainte de l'effrayer, de lui voler sa vie.

  Alors que l'enfant grandissait, il garda le silence. Cependant quand son âme voulait lui instiller la peur, lui faire douter de lui-même, il le réconfortait sans se dévoiler, puisant dans ses souvenirs de père pour lui souffler des pensées de courage et de confiance.

L'âme de son côté l'ignorait totalement, le considérant comme une nuisance méprisable.

Lassée de cette cohabitation qu'elle avait elle-même initiée, elle décida d'écourter son séjour...

  Un jour qu'Anatole, âgé de sept ans, rentrait seul de l'école toute proche, perdu dans ses pensées, il ne regarda pas avant de traverser la rue. Il ne pouvait rien lui arriver, la voie bordait l'école et le passage piéton était signalé. Pourtant le destin décida de lui faire payer son inattention. Une voiture roulant à vive allure, rasant le trottoir, allait le faucher. Il avançait déjà une de ses petites jambes hors du trottoir protecteur. Sentant le danger, Jean ordonna au petit innocent de se jeter en arrière. Inconsciente de ce sauvetage, son âme le quitta, l'abandonnant à son sort.

  Jean repris alors sa place d'ange-gardien.

Vis ta vie mon garçon, chuchota-t-il dans l'ombre, nous trouverons bien une solution quand viendra l'heure !

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