Mise en place
Emily avait fini la nuit dans mon lit. Elle avait commencé sur le canapé du salon, de petites caresses, langoureuses, avant de passer à des choses plus sérieuses. Je ne sais pas si c’était dû au stress accumulé, mais je sentais chez elle un débordement d’énergie qui ne demandait qu’à se déverser sur moi. Je ne lui avais jamais demandé à quoi elle occupait ses journées avant de fuir Las Vegas, mais je pouvais imaginer qu’elle passait du temps à des activités sportives, des séances de danse ou des choses comme ça. Depuis trois jours, elle était confinée à mes côtés et hormis le court moment à la plage, elle n’avait pas eu d’occasions de se dépenser physiquement.
Le sommeil est une arme. J’avais besoin de dormir un peu avant de passer à la seconde phase de mon plan. Le réveil sonna à huit heures trente. Juste le temps de prendre une douche et de me faire un café avant de parler à Long John. Dès que je fus levé, Emily vint occuper la place que j’avais libérée, bras et jambes écartées, me laissant le loisir d’admirer son corps nu.
Long John était ponctuel. Il me confirma que les opérations financières s’étaient bien déroulées sans accroc.
— Les codes d’accès n’ont pas été modifiés, il n’y a eu aucune transaction depuis cette nuit. Pas de connexion ce matin.
— Parfait, on va en profiter et le prendre au saut du lit. Tu vas l’appeler en te présentant comme mon représentant et mettre en place le protocole de transfert des fonds. Je ne pense pas qu’il souhaitera procéder à un virement bancaire. Est-ce que tu es en mesure de te procurer le cash nécessaire ?
— Je pense pouvoir l’avoir pour demain dans la journée.
— C’est bien, ça va me laisser le temps de faire la route jusqu’à Las Vegas et de trouver un terrain favorable. Je vais demander à Mark de me trouver un peu de renfort. Je ne peux pas y aller sans soutien sur mes arrières. On va proposer un échange dans quarante-huit heures. Je préciserai les modalités demain soir et la transaction se fera le lendemain matin. Tu pourras m’apporter l’argent à Las Vegas ?
— Aucun problème, on se retrouve demain en fin de journée. Tu sais où tu seras ?
— J’ai une proposition de contrat au Bellagio. Ils mettent une suite à ma disposition pour 3 jours. Je te communiquerai le numéro.
Je raccrochai avec l’idée de me faire un autre café. En passant devant la porte de la chambre entrouverte, j’entendis la voix d’Emily. Je n’ai pas pu entendre toute la conversation, mais je captai distinctement les mots colline et Glendale. Cette fille n’avait décidément pas de jugeote. Elle se croyait déjà libre, pourquoi pas chanter La Reine des Neiges pendant qu’elle y était. Je poussai la porte.
— Je dois te laisser, dit-elle à sa correspondante.
— Qui est-ce que tu appelais ?
— Nina, je voulais lui dire que tout était réglé.
— Tu lui as dit où tu étais ? J’ai bien entendu Glendale ?
— Ben oui, fallait pas ?
— Tu as déjà oublié que la dernière fois que tu lui as téléphoné, les hommes de Pablo ont rappliqué vite fait ?
— Mais tu m’as dit hier que c’était arrangé !
— Ce n’est pas parce que j’ai parlé à Pablo que tout est arrangé, il ne sera pas du genre à tirer un trait sur tout ça aussi facilement. Il me faut encore du temps pour régler le problème définitivement, en attendant je n’ai pas besoin que tu me compliques la tâche.
— Excuse-moi mon chou, tu dois me trouver idiote, je n’avais pas imaginé les choses comme ça.
Je me gardai de lui confirmer ce que je pensais.
— De toute façon, on va bouger rapidement.
— On va où ?
— Excuse-moi, mais pour notre sécurité, je préfère ne pas te le dire maintenant.
— Ce n’est pas gentil. Tu n’as pas confiance en moi.
— C’est ça ! Considère-moi comme ton garde du corps pour le moment.
— Cool, comme dans le film Body Guard ? Toi, tu es Kevin Costner et moi Whitney Houston !
Emily se mit à fredonner « I will always love you » *.
— Oui, si tu veux, mais pour le moment, tu fais ce que je te dis et tu cesses de raconter ta vie au téléphone, sur Facebook ou ailleurs.
— C’est compris, mon chou. Je ne le referai plus.
— Tu me l’as déjà dit, allez va ranger tes affaires, j’ai encore un coup de fil à passer et on s’en va.
Dès qu’elle eut franchi la porte de la chambre, j’appelai Boris pour lui demander de confirmer mon accord au Bellagio, et faire réserver une chambre pour le soir même. Puis je contactai Mark. Il me demanda comment se déroulait l’opération. Je lui donnai les grandes lignes, sans entrer dans les détails. Quand je lui ai demandé des renforts, il m’a suggéré deux noms d’anciens militaires reconvertis dans la sécurité privée à Las Vegas.
— Si tu es d’accord, je les contacte de ta part, ils peuvent te retrouver à Vegas ce soir. Ces gars là sont fiables et ils ne poseront pas de question. En plus, ils ont de l’équipement !
— OK, demande leur de me consacrer les trois prochains jours. Je paierai le prix qu’il faut. Qu’est-ce que je dois faire des clés du bungalow ?
— Laisse-les dans la boîte aux lettres, quelqu’un passera dans la journée.
— OK, tu enverras la note à Long John.
— Ne te préoccupe pas de ça pour le moment.
Lorsque j’ai fermé la maison, il était presque onze heures. Le soleil commençait à taper fort. J’avais fait un prélèvement sur les réserves du bungalow, un pack de bouteilles d’eau, des bières et quelques sandwichs emballés. De quoi tenir durant les quatre heures de route jusqu’à Las Vegas. Je n’avais pas roulé beaucoup avec la Ford, le réservoir était encore à peu près plein. Je n’aurais donc pas à m’arrêter sur le chemin.
Dès la limite de l’état franchie, en plein désert, les premiers casinos se dressaient, carcasses hideuses au milieu de nulle part. Un peu à l’écart, l’immense centrale électrique solaire déployait ses hectares de capteurs. Ces terres n’étaient pas faites pour les hommes, et pourtant le Nevada continuait de fasciner les individus du monde entier. J’avais moi-même parcouru cette route des dizaines de fois et c’était à chaque fois un choc.
À mes côtés, Emily faisait la gueule. Le retour à Las Vegas ne l’enchantait pas.
— Tu m’as reproché de parler de Glendale, et voilà que toi tu reviens à mon point de départ. Ça aura servi à quoi tout ce cinéma ?
— Je reviens ici pour finir le travail. Ensuite, tu pourras aller où tu voudras, je te donnerai assez d’argent pour repartir sur de nouvelles bases, recommencer une nouvelle vie.
— Pourquoi est-ce que je pourrais pas rester avec toi ?
— Parce que je suis un loup solidaire, a poor lonesome cow-boy.
En prononçant ces mots, j’avais en tête « Wanted dead or alive » ** de Bon Jovi.
Je n’étais pas spécialement enchanté à l’idée de ramener Emily avec moi à Vegas, mais je ne voyais pas trop quelle autre solution j’aurais pu adopter. Je ne pouvais pas la laisser livrée à elle-même, sans ressources ni logement, à Los Angeles et je ne voulais pas faire courir de risque à ma mère en lui confiant cette fille. Je comptais sur l’un des « soldats » de Mark pour jouer le baby-sitter, quand j’aurais besoin de sortir de l’hôtel.
Arrivé à Las Vegas, je remontai le Strip *** jusqu’au Bellagio et confiai les clés de la Ford au voiturier. Une enveloppe m’attendait à la réception avec les clés de la chambre ainsi que tous les éléments concernant mon engagement pour trois soirées. Nous n’avions pas beaucoup de bagages, mais il me fallut quand même céder au rituel du groom qui nous accompagna jusqu’à la suite, insistant pour nous faire visiter chaque pièce. Je finis par lui donner cinq dollars pour qu’il nous laisse tranquilles.
J’utilisai l’un des téléphones anonymes pour appeler ma mère et la rassurer. Il n’y avait pas eu d’incident de son côté, elle était toujours chez son amie à Santa Barbara. Je lui suggérai d’y rester encore les deux jours à venir. Je confirmai ensuite mon installation à Boris. Celui-ci proposa de passer me voir dans la soirée, mais je déclinai. Je ne souhaitais pas qu’il se retrouve mêlé aux événements qui allaient suivre.
Le coup de fil suivant fût pour Mark, qui me confirma l’arrivée des deux gros bras en début de soirée. Je lui donnai le numéro de ma chambre en suggérant qu’ils montent directement. Je ne voulais pas que l’on puisse établir un lien entre eux et moi trop facilement.
Comme le sandwich avalé sur la route était déjà loin, je proposais à Emily de passer une commande au room service. Nous avions juste terminé notre en-cas lorsque l’on frappa à la porte. Je jetai un coup d’œil par le judas avant d’ouvrir aux deux hommes. Hormis le fait qu’ils avaient à peu près le même âge, le même que moi, ils étaient aussi dissemblables que l’on puisse imaginer, du moins en apparence. Ils se présentèrent comme John et Jack. Je ne souhaitais pas en connaitre plus. John était grand et mince, les cheveux longs avec le look négligé d’un guitariste de rock. Jack était plus petit et plus trapu, dégageant une impression de force brute. Il était vêtu d’un costume de prix sur une chemise blanche. En les regardant, j’eus l’impression de voir les Blues Brothers, mais en guise de CV, ils se contentèrent de préciser qu’ils avaient tous les deux appartenu aux Bérets Verts ****. Je les briefai rapidement sur la situation et leur donnai les grandes lignes de mon plan, puis je leur confiai la garde d’Emily pour me permettre d’aller m’entretenir avec le manager en charge des parties privées au casino.
— Elle peut faire ce qu’elle veut, tant que ça reste dans la chambre et qu’elle ne touche ni au téléphone ni à Internet.
— Tout ce que je veux ? demanda Emily avec un sourire candide.
* I will always love you : chanson de Whitney Houston, extrait de la BO du film Body Guard
https://www.youtube.com/watch?v=3JWTaaS7LdU
** Wanted Dead or Alive : chanson de Jon Bon Jovi
https://www.youtube.com/watch?v=SRvCvsRp5ho
*** Le Strip : nom populaire de Las Vegas Boulevard, le long duquel tous les grands casinos sont installés.
**** Bérets Verts : forces spéciales de l’armée de terre américaine
Annotations
Versions