32. Upgrade
Je déjeunais avec Jane et son unité pour la dernière fois. La cafétéria était assez silencieuse. Ayant la tête dans le pâté, ça me plaisait que nous ne discutions pas. Lorsqu’elle eût terminé, elle se leva et posa un regard amical sur moi.
— Bon courage. Peut-être à un de ces jours.
— Sur une bataille épique ? souris-je.
— Exactement. Et je te sauverai les miches.
Je me levai et nous nous enlaçâmes. Caitlin sourit en arrivant :
— L’amitié entre une conductrice de char et une pilote. Les choses les plus rares sont les plus belles.
Jane opina du menton, puis elle suivit son unité. Caitlin me prit dans ses bras.
— Tu vas me manquer, Mademoiselle Frites.
— Toi aussi, Caitlin.
Les autres filles arrivaient et je fus surprise de voir Kirsten.
— C’est la deuxième fois que tu tombes du lit.
— Je n’allais pas te laisser partir sans te dire, au revoir, la Teigne.
Elle m’étreignit à son tour, puis j’ouvris mes bras à Sadjia.
— Vous saluerez Peter pour moi ?
— Oui, promit l’Allemande. Je lui donnerai l’aurevoir de Vingt-deux secondes.
Je me tournai vers Mercedes mais elle déclina le câlin :
— Je t’accompagne à l’infirmerie. On se dira au revoir après.
J’opinai puis emportai mon plateau vide.
— À un de ces quatre, les gonzesses !
Un peu avant huit heures, les dents propres et le bagage personnel posé à mes pieds, je me retrouvai à attendre près de l’infirmerie avec Mercedes. Il ne restait que quatre heures avant le départ. Me voyant monter et descendre sans cesse sur le flanc de mes chaussures, Mercedes devina :
— Stressée ?
— Je n’aime pas être nue. — Mercedes pouffa de rire. — Si c’est pour aller dans un ESAO, ça ne me dérange presque plus, parce que je sais pourquoi.
— D’accord. Je ne juge pas.
Héloïse arriva à la seconde où les smart-data affichèrent 8h00.
— Je vais commencer par Mercedes, ce sera moins long.
Elles disparurent toutes les deux derrière la grande croix verte et je soupirai en me demandant ce qui m’attendait pour que ce fût plus long. Il ne fallait rien de plus énigmatique pour faire croitre mon stress. Malgré les quatre heures qui nous séparaient du décollage, la crainte d’être en retard n’aidait pas à calmer mes nerfs. Je longeais les murs, observant mon smart-data toutes les trente secondes. Une partie de moi était également désireuse de retourner à bord de mon Furet. Deux jours sans piloter, c’était trop long lorsqu’on avait pris l’habitude.
Mercedes ressortit après dix minutes en serrant la boucle de sa ceinture. Héloïse cria depuis la seconde pièce :
— Suivante.
Mercedes me demanda d’une voix peinée :
— Je ne te revois plus après ?
— Non, je file au spacioport avec Héloïse.
— Tes conseils et ton calme vont me manquer. — Elle prit mes mains et posa sa joue contre la mienne — Bon vol.
— Merci. Bonne continuation.
Je rejoignis l’infirmerie, sans me retourner, et avançai jusqu’à la seconde pièce où Héloïse patientait.
— Je suppose que j’enlève tout.
— Le bas suffira.
Je me déchaussai, puis glissai mes jambes hors de mes vêtements. Sans qu’elle n’eût besoin de me le demander, je m’installai sur le fauteuil couché, et posai mes mollets dans les étriers. Elle leva brièvement mon t-shirt pour jeter un œil à ma poitrine, puis le tendit sous mon nombril. Elle s’assit, humecta de lubrifiant son index ganté et le posa sur le capuchon de mon clitoris, avant de tourner légèrement autour. Le contact troublant fit affluer le sang et réchauffer mon intimité. Je demandai :
— Tu fais quoi ?
— Je vérifie s’il n’a pas de lésion.
— Tu sais…
— C’est désagréable ?
— Non.
— C’est toi qui me dis.
La sentant vexée, je me redressai sur les coudes et l’avertis :
— Juste, ne t’attarde pas.
— C’est mon check up.
Elle tendit le bras vers la tablette et me montra la liste dont les flèches renvoyaient vers un schéma d’une vulve. Elle cocha OK pour le clitoris, puis reposa sa tablette. Je reposai ma tête.
— OK. Tu peux continuer.
Héloïse soulevât la capeline de mon rubis. Le contact de l’index me fît frissonner. Ses doigts quittèrent mon rubis pour étudier mes lèvres. Ensuite son majeur glissa dans mon intimité tapissée de cyprine. Ressentir une délectation à cette intrusion me prouva qu’en vingt jours, j’avais changé. Héloïse me confia :
— Depuis que j’ai fait la formation complémentaire pour devenir gynécienne, je trouve le sexe féminin fascinant.
— Si tu le dis.
Elle ajouta son index :
— Vas-y, contracte. — J’écrasai ses phalanges. — En tout cas, t’es opérationnelle.
Sa présence agréable me quitta, elle observa le mucus sur ses doigts en les passant contre son pouce, puis elle fit rouler sa chaise jusqu’à la paillasse d’un coup de talon. Elle revint avec sa tablette, cocha ses observations, puis alluma son projecteur de lumière noire. Elle fit apparaître le tatouage qui fit biper la tablette, avant de repartir vers sa paillasse. Lorsqu’elle revint, ce fut avec un speculum. J’interrogeai, anxieuse :
— C’est nécessaire ou c’est pour assouvir ta passion ?
— Je change ton catalyseur.
— Pourquoi ?
— T’as un catalyseur de seconde génération, très bien pour les recrues. Surtout vu le nombre qui se désistent. Je vais te mettre un catalyseur de cinquième génération avec cryptage militaire.
Je soupirai pour afficher ma résignation et elle glissa l’outil sans effort dans mon vagin. Elle l’ouvrit, puis s’empara d’un tampon du bout d’une pince qu’elle imbiba de désinfectant. Après avoir imprégné le col de mon utérus, elle jeta un œil avec sa lampe et me dit :
— Le col a l’air bien.
Elle apposa le canon pour lire au travers mon épiderme et régla l’image sur l’implant. Ensuite, elle prépara sa longue paille de verre qu’elle enfonça. Elle plaça une baguette munie de trois pinces miniatures, puis alla jusqu’à la rencontre du pied du catalyseur actuel. Puis, le maintenant en place, elle enfonça la paille, provoquant une douleur brève mais inattendue.
— Aïe !
— Pardon.
La tête conique du catalyseur s’écrasa dans le tube, et elle le retira à l’aide de la baguette. Elle m’abandonna et retourna à la paillasse récupérer la nouvelle épingle argentée ceinte d’anneaux blancs en son axe. Héloïse répondit à ma question sans que je la posasse :
— La tête est plus grande et sculptée en micro-vagues, ça améliore le contact avec les parois de l’utérus.
Elle le glissa dans le tube, puis le poussa. Les yeux sur l’écran, j’assistai à son arrivée dans la chambre utérine. Héloïse recula la baguette de verre et le cône ondulé se déploya. La tige se rétracta et la perle se logea dans le goulet. D’un coup de lampe, Héloïse se rassura sur son travail, puis elle retira le speculum.
— Ton nouveau matricule d’ESAO est TBK12.
Elle rinça ses outils. La potence posée sur mon bas ventre m’empêchait de bouger, alors j’attendis. Lorsqu’elle revint en roulant sur sa chaise, elle passa un linge sur ma vulve détrempée puis me libéra. Aussitôt, je me levai, ramassai ma culotte. Elle tourna la tête dans ma direction avec des yeux ronds.
— Tu ne l’as pas pris mal ? Le début de l’examen ?
— Je préfère être prévenue. Mais je n’ai pas trouvé ça désagréable.
— Ouf ! J’ai eu peur qu’on commence à bord sur un froid. Ce n’est pas facile pour moi, tu sais d’être au-delà des limites de l’intimité.
— Je sais bien que ça ne te déplaît pas.
Ses épaules tournèrent comme une petite fille prise la main dans le sac. Je posai une bise sur sa joue et lui dis :
— Tu es ma gynécienne, je sais très bien ce que tu dois faire. Et ça me plaît que ça soit toi et pas une autre.
— Qu’est-ce que j’ai en plus ?
— Un petit grain de folie.
— Ça je ne peux pas dire non.
Elle m’ouvrit ses bras et j’acceptai l’étreinte. Elle me supplia :
— Faut qu’on reste soudées à bord.
— Clairement.
Elle me tendit son auriculaire, et j’y accrochai le mien.
— Promis, lieutenant.
— Promis.
Nous quittâmes l’infirmerie avec nos sacs d’affaires personnelles, traversâmes, le hall, puis l’esplanade. L’odeur urbaine d’hydrogène brûlé chatouilla mes narines. C’était le dernier jour après cinq mois à y vivre des Burritos, c’était bizarre. Héloïse et moi montâmes jusqu’au quai aérien, et nous nous assîmes côte à côtes pour attendre le bus. Le vide de la rue nous renvoyait les musiques des commerces et le brouhaha des réacteurs des véhicules. J’étais heureuse d’être avec ma gynécienne. Je ne m’en étais pas rendue compte, tous mes neurones concentrés à l’apprentissage, mais elle était l’équipière idéale pour prendre la relève de Mako. Notre amitié pouvait devenir aussi forte, et contrairement à la première, elle était débordante de franchise. Je lui demandai du but en blanc :
— T’es attirée par moi ?
— Bah… Tu veux dire physiquement ?
— Oui.
— T’es mignonne, t’as un joli cul et une chatte splendide.
— Pourquoi je pose la question ? Et sentimentalement ?
— Si t’étais pas asexuée, j’aurais tenté ma chance.
Je souris, amusée par sa réponse sans détour. Elle s’étonna :
— Quoi ?
— Rien, j’aime ta franchise.
— Pourquoi je ne devrais pas dire ce que je pense ?
— Bonne question. Tu trouves que j’ai un physique à attirer les filles ?
— Pourquoi ?
— Avant-hier Sadjia voulait me lécher…
— T’as loupé quelque chose !
— … Hier, ma meilleure amie a essayé de me mettre la main dans la culotte, et toi, quand tu m’auscultais, je me posais des questions.
— Tu préfèrerais attirer des mecs ?
— Non, mais je me pose la question.
— T’es entourée que de filles, tu verras à bord du Gulo Gulo, tu vas aussi attirer les mecs. C’est juste que t’es super-mignonne. Tu parais froide au premier abord, et dès qu’on te connaît un peu, on a envie de fourrer ta jolie bouche à pleine langue. Et puis c’est aussi ta réputation d’asexuée qui fait le charme. Parce que du coup, celui ou celle qui réussira à te séduire se sentira unique.
J’opinai du menton car son dernier argument paraissait si logique qu’il en devenait imparable. Ma distance provoquait ce défi, ce mystère qui composait les attirances entres humains. Héloïse me dévisagea, puis une question traversa ses yeux. Le bus arrivant à quai, elle ne la posa pas. Nous nous installâmes au fond, puis lorsque notre transport décolla en direction du spacioport, elle quémanda :
— Tu réponds le plus sincèrement, d’accord ?
— OK.
— Si tu étais obligée pour sauver ta vie d’embrasser quelqu’un. Vraiment obligée, un roulage de pelle avec la langue pendant au moins une minute. Tu choisirais ta meilleure amie, Sadjia, Peter ou moi ?
— Une minute ? Tu n’as rien de plus dégoûtant ?
— Allez, réponds sincèrement.
— Pas Peter, c’est sûr, je ne le connais pas assez. Après… ça se vaut. Mako, elle se ferait des films. Sadjia, j’aurais peur que ça devienne obscène.
— Moi, alors ?
— Je n’en sais rien.
— Allez ! Tu dois choisir. T’as trois filles devant toi. Sadjia, Mako et la merveilleuse Héloïse.
Je réfléchis à celle qui me mettrait le moins mal à l’aise.
— Je choisirais celle avec qui je suis déjà trop intime… la merveilleuse.
Héloïse croisa les mains derrière son béret en s’appuyant sur la vitre et se pourlécha la lèvre de satisfaction. Je répliquai :
— Fais pas cette tête, ça n’arrivera jamais.
— Et tu préfèrerais qu’on s’embrasse, que tu me lèches la chatte ou que je te la lèche ?
Une femme leva un œil dans notre direction. Je répondis à voix basse, amusée de l’air choqué que l’inconnue affichait.
— Que tu me lèches, sans hésitation. Je n’ai rien envie de faire avec ma langue, ni entre tes cuisses, ni dans ta bouche.
Ses yeux ronds me dévorèrent, un sourire mutin fendit son visage, et elle questionna :
— Et si pour sauver la galaxie, tu devais me donner un orgasme, tu procèderais comment ?
— Franchement, si on me donnait des gants, ça ne me dérangerait pas. Je préfère devoir te doigter que t’embrasser.
Héloïse roula des yeux de gourmandise, mais je me gardai bien de lui dire que ça ne me déplaisait pas de la voir se tordre de plaisir. Elle posa ses coudes sur ses genoux pour se pencher vers moi et murmura :
— On se fait une promesse…
— Même pas en rêve !
Elle gloussa de rire en posant son front contre ma tempe. Elle n’insista pas, posa un baiser affectueux sur ma joue et conclut en se radossant :
— J’espère qu’il y aura des beaux mecs dans l’unité.
— Mais t’es de quel bord ?
— Les deux… surtout depuis Sadjia.
— Ton obsession des chattes ne date pas de Sadjia.
— C’est depuis que je suis gynécienne. Les bites, c’est pareil, c’est fascinant comment ça se transforme. Mais c’est un peu plus facile à gérer.
Je secouai la tête.
— T’es vraiment folle.
— C’est pour ça que je suis ton choix numéro 1.
— Ne fanfaronne pas. Il y a peut-être un bel officier qui prendra ta place.
— Non, je suis certaine que non.
Elle rit de bon cœur.
Le bus, lui, se rapprochait du spacioport, et croisait la route d’un vaisseau de transport civil aux deux-cent hublots.
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