Confession d'un monstre

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TW : Scène de torture extrêmement détaillée, meurtre

Maison d'arrêt de Villebrouch-sur-Mer,

15 mai 2023

À l'intérieur des murs froids et austères de la prison, Sami poursuit sa quête de vérité. L'endroit est un labyrinthe de couloirs étroits et de portes massives qui grincent sinistrement à chaque passage. Des gardes en uniformes impeccables patrouillent constamment, jetant des regards méfiants sur les visiteurs autorisés. Le permis, un bout de papier froissé portant le nom de Sami en lettres capitales, autorise une seule visite par semaine. Il est son laissez-passer vers les profondeurs de l'horreur.

La salle des rencontres est un espace déshumanisé, aux murs en béton nu et au sol carrelé usé par le temps. Les rayons de soleil créent un jeu d'ombres à travers les fenêtres à barreaux qui accentue l'atmosphère sinistre de l'endroit. Deux chaises en métal froid sont placées de chaque côté d'une table en acier ébréchée.

Sami pénètre dans la salle, un nœud serré dans l'estomac, son visage crispé par l'anxiété. En face de lui, le tueur en série entre dans la salle avec un sourire narquois, ses yeux pétillant d'une cruauté malsaine. Son regard contraste avec l'expression tendue de Sami. Les murs semblent résonner de leur tension palpable. Son interrogatoire avec cet homme est une épreuve difficile, mais nécessaire.

— Explique-moi, insiste Sami, sa voix oscillant entre supplique et exaspération, cherchant à percer l'impénétrable façade du tueur. Face à lui, l'homme qui a essaimé la terreur reste impénétrable, les yeux rivés sur un point imaginaire au mur, comme s'il visualisait une scène que seul lui peut voir.

— Je ne peux pas, murmure le prisonnier d'une voix rauque, presque étrangère. C’est un aveu simple, mais il résonne dans le silence suffocant de la salle d’interrogatoire comme un coup de tonnerre.

Sami est face à une énigme qui le dépasse, une énigme humaine dont les pièces disparates ne formeront jamais un tableau complet. C’est cette incompréhension vertigineuse qui le saisit à la gorge, qui noue son estomac et le rappelle à la dure réalité : il y a des créatures dans ce monde, brisées au point de devenir elles-mêmes artisans de la destruction, qui agissent au-delà de toute logique rationnelle, impénétrables, quasiment inhumaines.

Le détective observe le tueur, analysant chaque mouvement infime de son visage, chaque clignement d’yeux, cherchant dans ces gestes un indice, une clé qui pourrait lui ouvrir les portes de cet esprit tourmenté. Mais tout ce qu’il récolte, c’est le vide. Les expériences traumatisantes et les échecs, les rejets fréquents et la violence répétée qui ont jalonné l'existence de cet homme depuis son plus jeune âge ont eu pour effet de le blinder contre la douleur émotionnelle, telle une carapace se formant autour d'une blessure jamais guérie.

Sami repense à sa première rencontre avec Hailey.

— Salut.

— Salut.

— Quel est ton joli prénom ?

— Tu présumes qu’il est joli sans même le connaître ?

Sami avait ri en se grattant la nuque, Hailey avait trouvé son embarras charmant. Mais il est là, six ans plus tard, participant à ce sinistre entretien. Sami est pris de nausée, des images insoutenables lui traversent l'esprit. Secoué par la réalité de la situation, Sami est réveillé de sa torpeur par un simple claquement de doigts. Il méprise cet endroit, cet homme en face de lui et il commence à perdre patience. Il doit endurer le jeu cruel du prisonnier.

— Tu veux vraiment savoir ?

— Parle, réplique Sami.

— Je l’ai tenue captive pendant trois semaines, tu le savais ?

Le silence enveloppe la pièce.

— Quand tu visualises ta vie, tu ne penses pas à la façon dont elle s’arrêtera. Ni comment, ni par qui elle s’achèvera.

Le captif, un brun aux yeux métalliques, sait que Sami serait ailleurs s'il le pouvait, malgré toute l'attention qu'il porte à l'interrogatoire. Un sourire, probable mélange de tristesse et de démence, se dessine sur le visage du prisonnier qui revit les événements avec une clarté dérangeante.

2018

Ce jour-là, une chaleur écrasante s'était abattue sur la ville. Les rues étaient désertes et les rares personnes qu’ils croisaient se précipitaient dans les magasins climatisés longeant la promenade. Le corps d’une jeune femme, en partie décomposé, gisait sur une bâche plastique, baignant dans une mare de sang vif sur le quai de la gare. Elle était exposée aux regards des passants, sans pitié sur l’asphalte humide du petit matin.

Salle d'interrogatoire – 2023

— L’important n’est pas de savoir pourquoi, mais comment. Le corps humain est incroyable.

— Abrège, je n’ai pas le temps, contrairement à toi.

— En fait Sami, tu l'as. Tu veux des réponses, non ?

— Avant, dis-moi simplement pourquoi.

Le regard hautain du criminel serait presque fascinant si la situation n'était pas aussi terrifiante. Il pensait Sami plus malin que ça. Il prend alors un plaisir non dissimulé à le déstabiliser.

— Par curiosité peut-être ? Parce que c'était divertissant aussi. Ce n’est pas tant l’acte de tuer qui me satisfait, mais plutôt la manière dont elles s’en vont. Le reflet de leurs yeux dans les miens, leur dernier souffle. Ou le soulagement dans leurs regards lorsqu’elles acceptent leur fin.

— T’es un grand malade !

— Ce qui explique pourquoi je suis enchaîné et toi derrière cette vitre. Mais nous avons déjà abordé ce sujet. On continue ?

Sami acquiesce.

— C’est étrange comment les choses se déroulent parfois. Je ne savais pas qui elle était. J’aurais dû en profiter davantage.

Comme tous les jours à onze heures trente, une sonnerie retentit et deux gardiens s'approchent du prisonnier qui se lève lentement, s'étire, avant de leur offrir ses poignets avec désinvolture. Sami ne perd pas une miette du spectacle qu’on lui offre. Certaines choses changent, d’autres pas. C'est la réalité de la vie. Ses amis et lui attendent depuis trop longtemps les réponses qu'il espère aujourd'hui. C'est pourquoi il attend la fin du repas. Une fois de plus, il observe les gardiens ramener le monstre dans la salle d'interrogatoire et il s'en accommode. De nouveau, le prisonnier masse ses avant-bras endoloris par les fers, s'étire puis s'assoit.

— J’ai passé vingt et un jours à l’observer, à noter chaque changement sur son corps et dans son comportement. Mélina…

Il prononce son prénom avec délectation fixant son interrogateur.

— Elle m'a demandé son chemin et la façon la plus rapide d'y arriver. Mélina était très naïve, très innocente sur beaucoup de points. Elle venait de fêter ses vingt-cinq ans, tu le savais ?

L'homme, qui semble charmant au premier abord, prend une courte pause. Solitaire par dépit, la jeune femme n'avait pas beaucoup d'amis, ce qui avait grandement facilité la tâche du tueur. Celui-ci ayant prolongé son supplice durant cinq cent quatre heures. Il n'était qu'un prédateur jouant avec sa proie. Comme les chats le font avec les souris.

Mélina Clay, l’une de ses victimes retrouvées, murmurait la phrase "les cauchemars prennent fin" comme un mantra, alors qu'elle glissait inexorablement dans l’abîme de la folie. Elle était parfaitement consciente que mettre un terme à ses cauchemars signifiait également mettre un terme à sa propre existence, mais elle n'opposait aucune résistance. Son désir ardent pour la Mort était plus fort que tout ce qu'elle n’avait jamais ressenti, tandis que la Mort, impassible, l'observait s'éteindre lentement, un éclat après l’autre. Mélina se trouvait dans un état lamentable, son espoir ténu étant la seule chose qui la maintenait à la lisière de la vie, mais sans vraiment y appartenir. Elle était suspendue entre deux mondes, ni tout à fait vivante ni complètement morte. Cette phase intermédiaire qu’il avait prolongé de multiples façons, en l'honorant comme il pensait qu’elle le méritait.

Le criminel reprend :

— Elle était insatiable. Une heure passée depuis que j'avais laissé libre cours à mes envies, et elle en exigeait encore. Ses doigts graciles s'aventuraient sur mes avant-bras tandis que je la regardais faire. La faisant pivoter, j'accrochais ses jambes à mes hanches, recevant avec plaisir ses cris de protestation qui renforçaient mon désir.

D’un regard indéchiffrable et avec son sourire sarcastique habituel, il s’approche d’elle. Subitement, il la soulève et l'écrase contre le mur le plus proche avant de l'embrasser avec avidité. Il parsème son cou de petits bisous et de caresses, puis remonte doucement jusqu'à son oreille où il mordille le lobe qu’il a préalablement taillé, suscitant quelques gémissements de la part de cette pauvre fille. En réponse à ses plaintes étouffées, il laisse glisser sa main sous son t-shirt, déjà un peu soulevé. Il joue, s'amuse, danse sur le bord puis recule pour replonger, mais sans jamais toucher la poitrine de Mélina, déjà irritée.

Cela l'excite et il la trouve plus belle, plus désirable. Un simple appel pour explorer ses lèvres. L’homme commence par les lécher avant d’introduire de force sa langue dans la bouche de sa victime. Il a fini par la mordre tellement fort qu’il arrache un bout de sa langue. Tout en déplaçant de son visage des cheveux collants de sueur, il y dépose quelques baisers. Le corps de Mélina est pris de spasmes, un signe qu'il doit augmenter la dose de morphine qu’elle reçoit en continu.

Elle peine à détourner la tête, juste assez pour apercevoir la table à proximité, couverte d'outils maculés de son propre sang. Elle n'aurait jamais imaginé qu'un corps puisse endurer autant de souffrance et perdurer si longtemps. Couché sur ce qui ressemble à une table gynécologique, les jambes légèrement relevées, elle fixe, fascinée par l'horreur, les muscles déformés de son pied gauche, tordus dans une forme aberrante. Les phalanges, partiellement arrachées par une pince, révèlent une scène macabre. Sa peau jadis douce est maintenant déchirée et écorchée. Son genou, lui aussi démis, laisse apparaître un os préalablement sculpté et percé. Par un ajout artistique, le trou a même été orné d'une guirlande lumineuse, créant ainsi une œuvre morbide et perverse.

Ces nouvelles révélations laissent Sami sidéré, au point qu'il doit se raccrocher à la table pour éviter de chuter. Le criminel lui adresse la parole, mais il semble totalement incapable de l'entendre, perdu dans un abîme de choc et d'incompréhension.

— Je suis épuisé, reviens demain, conclue l’assassin.

Ces mots sonnent la fin de leur entretien. L’homme malsain retourne à sa cellule sous l'œil attentif des caméras de la prison. Sami prend un moment avant de partir. Toujours nauséeux, il retrouve sa voiture, s'installe dans la berline sombre, pose ses coudes sur le volant, son regard perdu dans le vide. Les mots du criminel résonnent encore cruellement dans son esprit. Les détails horribles de la torture qu’il avait infligée à cette pauvre fille. Il ne connaissait pas Mélina Clay. Tout ça était bien trop à assimiler.


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