Retour de flammes (pt II)

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Après quelques années éprouvantes passées à se battre avec la ferveur d'un guerrier contre les ombres menaçantes de ses propres démons, Simon avait succombé. La solitude grignotait son âme tel un rongeur affamé s'acharnant sur un morceau de bois tendre. Simon était seul depuis le naufrage de sa dernière relation amoureuse. La vie du jeune homme était une forteresse de silence et de retenue. Il s'interdisait de trop peser sur ses amis, une image qui avait été cruellement renforcée quand Amanda lui avait jeté cette accusation à la figure avec tant de férocité. La plaie de son cœur s'était rouverte un après-midi pluvieux, alors qu'il était aux prises avec ses pensées Au Café du Coin.

Là, par la vitre embuée, il l'avait vue. Hailey, aussi radieuse que douloureusement inaccessible. L’éclat de son rire était comme le reflet du soleil sur l'océan, magnifique, mais dévastateur pour celui qui était condamné à le contempler de loin. La flamme dans ses yeux lorsqu'elle riait à une blague de Matthew, le nouvel homme de sa vie, le transperçait. Simon avait essayé de se convaincre que cela ne l'affecterait pas. Mais le mensonge ne prit jamais racine dans son esprit ravagé par la jalousie et la résignation. Il avait réalisé avec une amertume empoisonnante qu'Hailey ne lui reviendrait jamais. La vérité était là : Hailey était un astre désormais hors de son orbite.

Il luttait déjà pour donner sens à sa solitude, sans parents proches depuis le décès de son père l'année passée et une mère jamais présente, maintenant confronté à cette indifférence crue d'Hailey, l'univers de Simon rétrécissait comme peau de chagrin. En quittant le café ce jour-là, une détresse froide l'envahissait, lui rappelant son vide affectif. C'était dans ce moment de faiblesse que ses pas l'avaient porté vers les vieilles connaissances, celles qui ouvrent les portes de paradis artificiels et fugaces.

Simon, laissé à sa solitude et à présent submergé par l'ampleur de ses regrets, déambulait le long des rues déserte. Au prochain croisement, il sait qu'il tournera à droite. Obstiné à suivre ce trajet quinzaine après quinzaine, à la même heure précise, il se rendait à ses rendez-vous hebdomadaires censés l'envoyer au septième ciel. Le jeune homme de vingt ans ignore encore la surprise qui l'attend à cet endroit précis.

Alors qu'il achève son poteau, il fut soudainement happé par une force mystérieuse qui l'envoya au sol. Son arcade droite saignait abondamment, mais il était trop désorienté pour s'en apercevoir. Son flash est si intense que, cumulé à son agression, il en perd connaissance, et à son réveil, son incompréhension est totale. Simon a l’air hagard et le teint blafard.

Attaché, les bras en l'air et les jambes écartées, il arbore un sourire béat tout en demandant, d'une voix incertaine :

— On est un peu trop vieux pour jouer aux cow-boys et aux Indiens, non ?

Il n'obtient qu'un rire à peine dissimulé. Simon, tressaille en sentant sa peau se tendre près de ses côtes. Il reste impassible lorsque la ceinture en cuir est attachée autour de son nombril, alignant le seau de métal sur son abdomen.

— Quelle jolie souris !

— C’est un rat bichon, rectifie calmement son assaillante.

Simon, encore sous l'effet des stupéfiants, avait beau essayer, les sons qui se formaient dans sa tête ne sortaient de sa bouche que comme un murmure inintelligible. Cependant, il lui semblait reconnaître cette voix, une voix familière, mais il était trop stone pour en faire plus qu'un simple rapprochement.

— Non mais t'es malade ? On avait dit pas les proches !

La jeune femme se retourne, irritée par cette intervention rudement prévisible.

— Tu as mis 1 h 20 pour te pointer, tu me déçois, riposta-t-elle.

Et en effet, déçue, elle l'était. Tout ne tournait qu'autour de miss pétasse parfaite et elle ne le supportait plus. Le propriétaire des lieux se contient difficilement. Ayant passé une journée horrible, espérait au moins que cette idiote se tiendrait à distance. Il avait tort.

Le garage se trouvait plongé dans une obscurité quasi totale, éclairé de manière sporadique par une unique ampoule suspendue au plafond, qui pendait nue au bout d’un fil sinistre, balancée légèrement par les courants d’air infiltrant les craquelures de la structure décatie. Cette source de lumière vacillante jetait sur les murs décrépits et les outils corrodés une chorégraphie d'ombres indistinctes, la cadence de leur danse macabre exacerbée par la faible lueur tremblotante. Une régularité inquiétante rythmait l’espace confiné : le goutte-à-goutte lancinant des infiltrations d’eau qui s’écrasaient sur le sol de ciment, brisant ce qui aurait pu être un silence complet. Ce battement d’eau était comme un tambour funèbre, soulignant subrepticement les ricanements sourds des oppresseurs.

L’atmosphère était saturée d'une odeur âcre de moisissure et de pétrole rance, un mélange suffocant qui se mêlait à l'arôme aigre de la sueur mêlée à la peur. L'air, chargé de ce parfum toxique, enfermait chaque respiration dans une boucle de détresse et de révulsion. Isolé, le vieux garage se terrait dans une fissure de la ville, hors de portée de la lumière des lampadaires, témoin d’une urbanité qui s'estompe. Aux abords de ce sanctuaire de l'oubli, la vie de la cité bourdonnait, un contraste éhonté avec ce qui se jouait derrière les murs d'abandon. Autour, le relief urbain était scarifié par des décombres et des détritus disposés en remparts improvisés, repoussant l’œil curieux à distance. Là, s'érigeaient des édifices fantômes, des carcasses de l'ère industrielle s'effaçant doucement dans le crépuscule de l'histoire.

Dans cette enclave délaissée, les plaintes de Simon rebondissaient, prisonnières des barrières de béton et d'acier épaisses, absorbées par l'obscurité tout envoûtante. Son isolement était presque tangible, chaque cri de désespoir se réverbérant sans écho dans l’indifférence brutale de la mégalopole qui s'étendait, indolente, au-delà de ce vide.

Il avait du mal à respirer, sa gorge semblait anesthésiée par la peur, la confusion prenant le contrôle de son corps. Il déglutit difficilement et manque de s'étouffer avec sa propre salive.

— J'ai... Il tousse faiblement. J'ai mal...

— Normal, le rassure l'une des ombres qui flottent au-dessus de lui, tu peux crier si tu veux.

Du coin de la pièce, l'écho d'une mélodie faible se fait entendre, s'infiltrant dans la tension du garage délaissé. Simon la connaît, cette chanson. C'est "T.U.E.R" d'Alex Paradoxe, un étrange choix pour une si bizarre mise en scène, mais elle s'impose malgré lui à son esprit. Les paroles s'infiltrent, incongrues, tranchant avec le cauchemar qu'il vit.

"Bonsoir et bienvenue dans l’au-delà

Vous avez été malencontreusement assassiné

Tous nos collaborateurs sont occupés pour le moment

Veuillez patienter ou nous recontacter ultérieurement"

Sa respiration augmente brutalement, peu aidée par la peur qui prend peu à peu possession de son corps. Pris de tremblements, il passe d'un état joyeux à une dépression pure et dure. Inquiet, il demande :

— Il... Il est passé où l'animal ? Détache-moi s'il te plaît. C'est plus... Très drôle.

"Il ne faut pas tuer les gens (Non, non)

Il ne faut pas tuer les gens (C’est mal)

Tuer ? Non, Non !"

La voix éraillée d'Alex Paradoxe semble narguer ses propres démons, cinglante et cruelle à travers les crachements du vieux poste radio écorné. La jeune femme qui a orchestré sa capture se met à fredonner la chanson, en rythme avec les grésillements de l'appareil, comme si elle entonnait une berceuse macabre pour son captif.

— Chut, tout va bien. Sur ton ventre, dans le seau, tu sens ?

Simon sentit alors, des gouttes de sueur battant sa peau comme des avertissements de ce qui était à venir. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front. Il tremble d'une manière robotisée, amusante même, au vu de ses entraves et de ses nombreuses blessures. Elle pourrait presque entendre son rythme cardiaque s'accélérer, s'interrompre quelques secondes puis repartir plus précipitamment encore.

Les paroles de la chanson se mêlaient à la cacophonie de la scène, taillant à vif dans l'esprit de Simon un contraste absurde avec son calvaire. Avec chaque battement de son cœur terrorisé, la réalité semblait se désagréger, se raccrochant désespérément à l'humour noir comme à la seule bouée dans le naufrage de son esprit.

— Vous savez, c'est un peu comme cette vieille blague du chat... commença-t-il, une pointe d'ironie morbide dans la voix malgré la douleur.

Mais son auditoire était sourd à son appel à la pitié. Les rires et les mots des agresseurs étaient des coups de couteau supplémentaires dans son intégrité déjà lésée.

— Tu sais pourquoi tu es ici, Simon ? souffla l'un d'eux, la voix chargée de haine et de réclamation.

Chaque mot était une dalle supplémentaire sur sa poitrine compressée, chaque accusation une pierre jetée pour lapider son âme déjà malmenée. Dans la sombre chorégraphie de sa fin, alors que la danse du désespoir prenait corps, chaque regard de ses bourreaux, chaque geste, prenait une signification terrifiante, annonciatrice de l'épilogue sanglant qui se dessinait à la lueur des lames aiguisées par la vengeance.

Dans les derniers soubresauts de lucidité, Simon comprit. Toutes les luttes intérieures, la quête éperdue de compassion, d'amour et d'acceptation s'étaient évanouies dans une réalité brutale et fatale. C'était ici, dans l'abattoir de ses illusions, que tout se terminait – dans un garage froid et abandonné, orchestré par une symphonie de haine et marqué par l'indélébile empreinte de la violence humaine.

— Il a vraiment cru qu'il allait s'en tirer facilement ?

Simon tentait de rassembler ses esprits, mais la confusion et la peur l'empêchaient de réagir de manière significative. L’homme semblait déterminé à lui faire comprendre la gravité de la situation. La jeune femme, investigatrice de ces événements, regarde l'heure sur sa rolex incrustée de diamants.

— Tu as fini ? Lui demande bruyamment la jeune femme.

— La ferme ! Répond-il en égorgeant le misérable Simon sans aucune pitié. Je suppose que je vais devoir nettoyer maintenant.

— Je te laisse ce plaisir, j'ai un rendez-vous avec Lùca dans 10 minutes.

Sans attendre une réponse, elle l'embrassa sur la joue et quitta les lieux, fredonnant de nouveau la chanson.


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