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Je venais tout juste de passer la frontière allemande lorsque la fatigue se fit sentir. Cela faisait plusieurs heures que je roulais sans m’être arrêté une seule fois. Mon camion, un Super Ford-Nucleon, surchauffait à mort, à tel point que je craignais que son cœur atomique n’explosât. Mon cul me faisait un mal de chien ; il était aussi plat que le paysage insipide du nord de la France. Mes paupières ne voulaient plus que se fermer, ma nuque me picotait et ma tête était devenue aussi lourde qu’une boule de bowling. Je me souviens m’être dit un truc du genre : « Phil, il est temps de t’arrêter : la Sécu ne rembourse pas les accidents mortels. Arrête-toi à la prochaine aire de repos, recharge tes batteries, prends un café et quelques amphés. Lève le pied ; la Super Autoroute Eurasienne ne va pas s’envoler ! »
Ainsi donc, résolu à adopter un comportement de conducteur sage et responsable, je m’engageai sur la première bretelle de sortie qui menait à une aire de repos. L’endroit était un bouge classique comme j’en avais vu des milliers au cours de mon existence de routier : une croûte de béton qui flanquait la gigantesque balafre qu’était l’Eurasienne.
Il y avait là tout ce dont pouvait rêver un vieux routier dans mon genre : un changeur de moteur atomique qui vendait ses noyaux à vingt balles, assez de place pour accueillir une armée de routiers, une cafétéria avec des distributeurs d’excitants en tous genres, une nuée de putes qui tournaient autour des camionneurs comme les vautours tournent autour d’une carcasse pourrissante.
Je garai mon camion et me précipitai dehors, pressé de me dégourdir les jambes et de m’étirer. Il faisait une chaleur épouvantable ce jour-là. Le soleil faisait fondre l’asphalte du parking et les prostituées s’abritaient sous le porche de la cafétéria, seul endroit ombragé à l’extérieur. Alors que je me dirigeais vers la cafétéria, l’une des femmes abritées à l’ombre attira mon attention.
Ce n’était pas une prostituée, mais, à ma plus grande surprise, une religieuse. Je ne savais pas à quelle confession elle appartenait, mais la voir ici, au milieu des putes à moitié à poil et maquillées comme au carnaval, me troubla. Elle était vêtue d’une bure grise faite dans un tissu que je n’avais pas besoin de toucher pour savoir qu’il était inconfortable ; ses cheveux étaient en or vingt-quatre carats dont les pointes étaient légèrement recourbées ; le haut de son crâne était rasé – je savais que cette tonsure correspondait à une tradition religieuse, mais je ne savais plus à laquelle ; ses yeux bleus étaient comme deux diamants bruts jetant des lasers qui me traversaient la chair, les os et l’âme.
La religieuse fumait une cigarette sans se préoccuper du tableau surréaliste qu’engendrait sa proximité avec les prostituées. Elle me lança un regard amusé et m’adressa un sourire moqueur. Je remarquai soudain que je m’étais arrêté au milieu du parking pour observer la religieuse sans aucune discrétion. Quelque peu gêné de m’être fait prendre en flagrant délit de voyeurisme, je passai mon chemin sans lui accorder un regard à la nonne.
J’entrai dans la cafétéria et les bourrasques rafraîchissantes de la climatisation balayèrent cette étrange rencontre de ma tête. Je commandai un café à la machine ainsi que deux pastilles d’amphés. Je me posai ensuite à une table vide et ouvris un homéojournal.
J’appris donc que le président des États-Unis était un robot : la supercherie avait été découverte à cause d’un plantage Windows lors d’une conférence de presse. La princesse de Suède avait accouché d’un bébé mi-humain mi-éléphanteau, ce qui causait certaines discordes au sein de la famille royale au sujet de la succession. La dernière abeille était officiellement morte : elle avait été malencontreusement avalée par un gamin qui courait la gueule ouverte dans son jardin. Le gosse était actuellement jugé pour crime contre l’humanité. La police avait arrêté un dangereux terroriste indépendantiste auvergnat : 10 tonnes de Saint-Nectaire fourré au C4 avaient été retrouvées dans sa cave.
Après quelques minutes de lecture, les effets de la caféine et des amphés commencèrent à se faire ressentir. Je me décidai donc à reprendre la route. Je traversais le parking sans faire attention aux avances de ces dames qui squattaient le porche de la cafétéria.
Alors que je m’apprêtais à monter dans mon camion, je la vis. La religieuse était accroupie à quelques pas de moi, entre mon camion et un muret. Je pris un moment à comprendre qu’elle était en train de pisser. Je me souviens avoir émis un petit rire pour contrer mon embarras. Quant à elle, la situation ne semblait pas la déranger. Elle se contenta de dire nonchalamment :
« Merde ! Fais le guet, au lieu de me regarder ! »
Quel culot ! avais-je pensé. Elle pissait contre la roue de mon camtar et m’ordonnait en plus de la surveiller.
« Ma sœur, savez-vous qu’il y a des toilettes sur cette aire ? demandai-je en me retournant.
– Ouais, je sais. À cinquante centimes l’entrée. Malheureusement, j’ai fait vœu de pauvreté. Je suis fauchée comme les blés.
– Je vous les aurais donnés avec plaisir.
– Tu as un grand cœur, mon frère. »
Pendant un moment, on entendit plus que le ruissellement de son urine sur le sol. Je me marrai en silence ; la situation était bien trop grotesque pour que je pusse garder mon sérieux.
« Où est-ce que tu vas ? me demanda-t-elle.
– Je vais presque jusqu’au bout de l’Eurasienne. Je m’arrête à Séoul.
– Oh ! sacré voyage. Tu n’aurais pas une petite place pour moi ? Je veux aller en Asie. »
Devoir me coltiner la religieuse sur plusieurs milliers de kilomètres ne me tentait pas vraiment. Si j’aime ce métier, c’est parce qu’il me permet d’être seul et de parcourir le monde sans être emmerdé. Pas de femme, pas de gosse, pas de pote. Rien que la route qui s’étend à l’infini : voilà ce que j’aime dans ce boulot.
« Désolé ma sœur, mais ça ne va pas être possible. Je n’ai pas assez de place pour vous accueillir dans mon camion. Il n’y a qu’une seule couchette à l’intérieur.
– Ce n’est pas grave ; je n’aurai qu’à dormir sur le siège passager.
– Je suis navré, mais c’est non.
– Tu ne vas pas me dire que ton vieux bahut ne peut pas transporter une pauvre nonne bloquée sur une aire de repos en plein milieu de nulle part ?
– Mon vieux bahut ? »
Cette fois-ci, c’en était trop. Elle pouvait dire tout ce qui lui passait par la tête, mais sûrement pas manquer de respect à mon camion. Je me retournai en n’ayant plus aucune considération pour son intimité.
« Ce vieux bahut, comme vous dites, est plus qu’un simple camion : c’est une œuvre d’art ! Je l’ai moi-même amélioré alors qu’il était à l’origine un engin déjà ultra perfectionné. Vous n’oseriez jamais imaginer la vitesse qu’il peut atteindre. Cette merveille abaisse le Rafale au rang de simple trottinette électrique et le Black Bird à celui de voiture sans permis. Avec ce camion, on ne passe pas le mur du son ; on le pulvérise ! Alors un peu de respect, ma sœur. »
Mon petit discours semblait avoir affecté la religieuse. Elle regardait à présent mon camion avec un certain désir ce qui, je dois bien l’avouer, m’emplissait de fierté.
« La vantardise est un vilain péché, mon frère, finit-elle par dire. »
Je ne trouvai plus rien à rétorquer. Je profitai de mon hébétude afin de vraiment la regarder. Elle était si jeune ! C’était une môme : elle devait avoir vingt cinq ans à tout casser. Je me perdis dans la contemplation de ses pieds nus, de sa culotte tombée sur ses chevilles et de ses magnifiques jambes à moitié recouvertes par sa bure, qu’elle avait retroussée sur ses genoux. Elle était incroyablement attirante. La tonsure en haut de son crâne ne gâchait rien au tableau ; au contraire, ça ne la rendait que plus attrayante.
Lorsqu’elle remonta sa culotte, j’aperçus un bout de ses fesses, ce qui finit de me convaincre.
« OK ! montez ma sœur. Je vais vous montrer que je ne suis pas un vantard. »
J’avais espoir qu’une journée ou deux de route suffiraient pour que nous finissions tous les deux dans la seule couchette du camion. J’en avais plus qu’assez des prostituées d’autoroute, de leur corps mal dégrossi et usé par la vie. La religieuse, quant à elle, avait un corps de rêve que sa bure avait du mal à cacher. Je n’en avais rien à faire qu’elle fût une dévote. Après tout, j’ignorais qu’elle était sa religion : elle aurait très bien pu appartenir à l’Église Satanique. Je prévoyais de la larguer après l’avoir baisée pour ne pas me la coltiner tout le trajet.
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