Chapitre 04 - Espoir et désillusion
! trigger warning ! Une scène peut atteindre la sensibilité de certaines personnes :
soumission sexuelle non voulue
C'est une courte scène en italique dans le texte
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Monde 2 : Terra
Emelie
Émelie est déconcertée, incapable de comprendre ce qui vient de se produire. Est-ce son imagination qui lui joue des tours ? La fatigue a-t-elle brouillé son esprit ? Elle n’a pas seulement vu son reflet bouger, elle l’a aussi entendu parler. Ce phénomène lui échappe totalement. Si sa fille n'était pas intervenue à cet instant précis... Peut-être que...
Émelie reprend rapidement son calme, reléguant cet étrange incident au fond de sa mémoire se disant que cela devait sûrement être son imagination. Elle se recentre alors sur son objectif de la soirée. Le choix de cette nuisette est loin d'être anodin : elle veut tenter un dernier geste pour raviver l'intérêt de Jack, son mari. Malgré les tensions récentes entre eux, elle s'accroche à l'amour qui les unit depuis le début. Elle essaie d'oublier ce qu'elle a découvert plus tôt dans la soirée sur la messagerie de Jack. Il lui reste encore un mince espoir, celui de sauvegarder sa famille.
L'orage s’apaise lentement, ne laissant derrière lui qu’un lourd silence. Après avoir calmé ses filles, Émelie, le cœur encore battant, s’engage dans le couloir menant à leur chambre. Sous la porte principale, un mince filet de lumière vacille. Serait-il déjà rentré ? Elle l’espère. Si oui, c'est l'occasion. Elle pourra enfin tenter de raviver cette flamme vacillante entre elle et Jack. D'un pas feutré, elle avance dans le couloir. La porte est légèrement entrouverte. Sans un bruit, elle la pousse. Jack est là, adossé à la tête de lit, son ordinateur portable posé sur les genoux, absorbé par l’écran. Ses doigts parcourent machinalement sur le clavier. Ses vêtements pour le lendemain sont déjà disposés, minutieusement, comme chaque soir sur un valet de chambre.
Émelie l’observe, le cœur lourd. Ce n’est pas le travail qui accapare son attention. Un frisson la traverse, glaçant ses veines, alors qu’elle comprend : il lit les messages de l’autre. Chaque mot qu’il reçoit semble empoisonner l’air, rendant leur lit plus froid, plus distant. Mais elle est là, elle. Sa femme.
Appuyée contre le chambranle de la porte, Émelie laisse ses cheveux effleurer ses clavicules, tandis que le rouge satiné de son déshabillé épouse chaque courbe de son corps. Elle se positionne, languide, irrésistible, dans un dernier effort pour capter son regard. Elle irradie une beauté que Jack ne pourra ignorer. Il doit la voir.
Pourtant, il ne lève pas les yeux. Son regard reste figé sur l'écran. Ignorant la réalité.
- Chéri ? susurre-t-elle d'une voix douce et envoûtante.
Jack lève les yeux et reste un instant figé, surpris. Ses paupières se plissent légèrement tandis que son regard caresse lentement les courbes voluptueuses d'Émelie. Un désir inattendu monte en lui, un désir qu'il n’avait plus ressenti depuis longtemps envers sa femme. Il humecte ses lèvres, referme doucement l’écran de son ordinateur et le pose sur la table de nuit, sans la quitter des yeux. Son attention se fixe sur le décolleté provocant de la nuisette.
- Déjà de retour ? murmure-t-elle d’une voix mielleuse.
- Euh… oui, j’ai juste fait un aller-retour, balbutie-t-il.
La pomme d'Adam de Jack monte et descend nerveusement.
Émelie avance lentement, s’assoit au bord du lit, puis d’un geste délicat, elle effleure de son doigt le long du genou de son mari, avant de remonter, millimètre par millimètre, jusqu’à sa cuisse. Elle atteint enfin son caleçon, qui peine à dissimuler le désir grandissant de Jack. Habituellement, il aime avoir le contrôle, mais ce soir, Émelie a une autre idée en tête. Elle veut inverser les rôles, le surprendre. Se penchant vers lui, elle effleure son lobe d’oreille de sa langue, puis laisse ses lèvres descendre lentement le long de son cou, déposant des baisers brûlants. Il se laisse emporté par la chaleur du souffle de sa femme.
Ravie de l'effet qu'elle suscite, Émelie poursuit son ascension, ôtant lentement le caleçon devenu trop étroit avant de le laisser tomber négligemment au sol. Elle s'apprête à aller plus loin, mais Jack, submergé par un désir brûlant, ne peut plus attendre. L'excitation est trop intense, impossible à contenir.
Sans réfléchir davantage, il la saisit brutalement par les épaules, ses yeux fiévreux de désir. D’un geste sec, il la retourne, prenant aussitôt les rênes de la situation. Ses mains s’enfoncent fermement dans les hanches d’Émelie, ignorant totalement ses besoins et son envie de complicité. Il se livre, sans réserve, à sa propre satisfaction, ne cherchant qu'à répondre à sa pulsion.
Avant même qu’elle ne puisse la sentir couler, une larme solitaire se perd dans la taie d’oreiller, silencieuse. Le visage d’Émelie, enfoui dans le coussin, se secoue au rythme de mouvements qu’elle subit, encore une fois. Elle se laisse dominer, impuissante. Un bref instant de solitude, d’amertume et de honte la traverse. Comment a-t-elle pu croire, ne serait-ce qu’un instant, que ce geste pourrait rallumer une flamme éteinte depuis longtemps ? Quelle naïveté. Quelle illusion cruelle.
Elle se rend compte de son erreur. Ce moment n'était rien d'autre qu'un acte brut, primaire, dépourvu de douceur ou de cette complicité qu’elle cherchait tant. Ce n’était pas l’étreinte qu’elle espérait, mais une simple collision de corps, dénuée d'âme et de sens, là où elle rêvait d’un échange tendre, empreint de passion et de complicité
Quant à lui, Le sourire aux lèvres, béat, Jack savoure cet instant où il se sent plus léger. Affalé contre elle, il murmure :
— Hum... Tu as été exceptionnelle... Tu devrais faire des efforts comme ça plus souvent. J'ai adoré...
Émelie reste silencieuse. Non pas par gêne, mais parce qu'elle lutte pour contenir une colère sourde qui menace de la submerger. Elle pourrait fondre en larmes tant l'émotion est forte, mais elle refuse de pleurer devant lui. Allongée à ses côtés, elle l'entend déjà ronfler. Depuis quand Jack a-t-il cessé de la voir ? Lui qui, autrefois, répondait à ses désirs ?
Aux premières lueurs du matin, alors que le soleil effleure doucement sa joue, Émelie ouvre enfin les yeux sur la réalité. Après une nuit passée à fixer le plafond, elle doit se l’avouer : la petite flamme qui illuminait leurs débuts s'éteint lentement. Les papillons, les regards complices, leur premier baiser, leur première nuit... Tout cela est révolu.
Son cœur, accablé de fatigue et de chagrin, se résigne à accepter ce qu’elle redoutait depuis longtemps : leur couple n'existe plus. Elle aurait voulu se battre, mais aujourd'hui, elle n’en a plus la force.
Aujourd’hui, c’est un jour d’école pour les filles. Alors, Émelie enterre son rôle d'épouse, trop épuisée pour continuer à y croire, et reprend celui de mère. La mère de famille observe Zoé et Léa, ses jumelles pleines de vie qui s'amusent et se chamaillent. Leurs éclats de rire résonnent dans la maison. Un sourire feint sur les lèvres, tandis que son cœur se serre. Elle fait tout pour dissimuler son tourment, prenant soin que rien dans son attitude ne trahisse son désarroi. Et elle réussit : les enfants ne le remarque pas, absorbés par leurs jeux. Mais en elle, la douleur persiste, invisible à leurs yeux innocents.
Tandis que Jack, un café en main, dépose un baiser sur le front de ses filles, prend sa mallette, puis sort sans jeter un regard à sa femme.
***
La Santé Mentale d’Emelie
Le cœur brisé, Emelie se reconcentre sur ses tâches. Elle termine les box repas du midi, les range dans les cartables et une fois toutes les trois prêtes, elles prennent la voiture en direction de l’école. Dix minutes de route suffisent pour arriver devant le portail de l’établissement scolaire, devant lequel se trouve déjà Justin, son meilleur ami avec Cloé qui attend avec impatience ses amies.
Les traits fatigués d’Émelie, malgré le sourire qu'elle affiche, ne passent pas inaperçus aux yeux de son meilleur ami.
Il sait que quelque chose ne va pas. Il la connaît trop bien pour être dupe. En repensant à la scène de la veille, il se souvient de l’attitude déplacée de Jack envers elle. Cela expliquerait probablement son état aujourd'hui. Émelie a toujours su masquer ses soucis derrière une façade impeccable. Elle affiche une "bonne figure" devant le monde, refusant de laisser transparaître ses soucis personnels. Mais Justin, lui, sait lire entre les lignes. Il connaît les petites failles, ces détails invisibles aux autres, mais qui ne peuvent pas le tromper. Il veut connaître les raisons du mal être de son amie.
Une fois les enfants bien entrés en classe Justin invite Emelie à boire dans le tout nouveau salon de thé du coin.
Sur des chaises de style victorien, assis juste en face d’elle, il observe son amie en silence et constate la pâleur de son visage. Des cernes légèrement camouflés par un anticernes, ourlent ses jolis yeux noisette.
Depuis plusieurs minutes, Émelie fixe la vapeur qui s'élève lentement de sa tasse de thé, perdue dans ses pensées. Le silence devient pesant, et Justin décide de l’interrompre.
— Comment vas-tu, ma belle ?
Émelie sursaute légèrement, tirée de sa rêverie.
— Ça va, commence-t-elle, mais elle sait qu’elle ne peut plus se cacher devant lui. Elle hésite, puis finit par murmurer,
— Je…
Justin, instinctivement, pose une main réconfortante sur celle d’Émelie.
— Que se passe-t-il ? demande-t-il doucement.
Elle soupire longuement, ses yeux fuyant les siens avant de se poser sur la table.
— Mon couple... je crois qu'il est fini.
— Comment ça ? demande Justin,
Émelie acquiesce et lui raconte, la voix brisée, sa découverte du message de la maîtresse de son mari. Ce qui ne surprend pas vraiment Justin. L'attitude désagréable de Jack envers elle n’avait rien de celle d’un homme amoureux de sa femme.
Soudain, Émelie relève la tête, ses yeux brillants de colère.
— Tu sais quoi ? Je suis furieuse, mais pas contre lui... contre moi. Je suis persuadée que ça dure depuis un moment, et moi, dans ma petite bulle de femme au foyer, je n’ai rien vu venir ! Pire, je pense que j'avais déjà des doutes, que je me mentais à moi-même pour ne pas l’affronter... Comment ai-je pu me laisser berner comme ça ? Pourquoi n’ai-je pas vu plus tôt ?
Ses phalanges deviennent blanches sous la pression de ses poings serrés.
— C’est un vrai salaud, ce mec... Je l’ai bien senti hier, quand il t'a mal parlé…
— Tu nous as entendus ? demande Émelie, surprise, la terreur dans la voix.
— Oui, admet Justin en hochant la tête. Je n’ai rien fait... Je me suis dit qu’il avait passé une longue journée de travail et qu’il était fatigué.
Tête baissée et d'une voix basse, Émelie murmure :
— Désolée, je ne voulais pas que tu voies ça…
— Ce n’est rien… mais tu m’inquiètes. Tu es si pâle…
— Moi aussi, je m’inquiète pour moi, ajoute Émelie.
— Ça va aller, lui assure Justin, essayant de la rassurer. Ce n’est qu’un mauvais moment, il faut juste tenir le coup, être forte le temps que cela passe.
— Ce n’est pas seulement ça, continue-t-elle, sa voix tremblante. Je crois que je déraille... Toute cette histoire commence vraiment me déstabiliser.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas toi, c'est lui ! Il ne se rend pas compte de ce qu’il est en train de perdre ! s’indigne Justin, se levant brusquement, les poings posés sur la table.
— Non, ce n’est pas ça… souffle Émelie. Il faut que je te parle de ce que j’ai vu…
Justin se rassoit, calme sa colère, et oriente toute son attention vers elle.
— Dis-moi, qu’est-ce que tu as vu ?
Émelie baisse encore la voix, presque en chuchotant, comme si elle redoutait ce qu’elle allait révéler. Elle explique en détail ce qu’elle a perçu après sa douche la veille au soir. Comment la couleur du couvercle reflétée dans le miroir était différente de celle qu’elle tenait en main, et cette sensation étrange : son reflet n’était pas tout à fait, elle. Pire, elle avait l’impression qu’il lui avait parlé.
— Je crois vraiment que je perds la tête, Justin...
— Écoute-moi, dit-il d’une voix ferme mais douce. Tu as toujours été une personne sensée, la plus organisée que je connaisse. Tu es celle qui m'a aidé dans toutes mes démarches et tu sais très bien de quoi je parle. Et surtout, tu es une mère exemplaire. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi équilibré que toi, ma belle. Alors, oui, peut-être que c’est juste de la fatigue, ou autre chose... Mais, par pitié, arrête de penser que tu perds l’esprit. C’est impossible pour toi.
Justin jette un coup d'œil à sa montre. Cela fait déjà une heure qu'ils discutent dans ce salon de thé tout neuf.
— Oh, je suis désolée de couper court à cette conversation, mais je vais devoir y aller.
Annonce Justin, un peu gêné de devoir laisser son amie seule.
— Tu sais qu’hier j’ai passé un entretien d’embauche, ils veulent me revoir ce matin. Il me reste une petite heure pour me préparer, donc je vais devoir filer. J’aurais tellement envie de rester avec toi pour continuer notre conversation.
Ils se lèvent et s’enlacent.
— Ne t’en fais pas. Je suis tellement heureuse pour toi ! Je suis sûre que tu vas décrocher ce poste ! Va, je m’occupe de l’addition. Merci d’être toujours là pour moi, Justin.
Au moment de partir, Justin lui murmure à l’oreille : « Je crois en toi alors toi aussi, crois en toi. »
***
Il retourne vers sa voiture pendant qu’Émilie se dirige vers le comptoir pour régler les boissons, en attrapant un donut au passage.
Le petit sachet de papier d’une main et ses clés de l’autre, Emelie avance l’esprit plus léger après avoir partagé ses doutes et ses peines à son meilleur ami. Elle rentre dans sa voiture, pose la vienoiserie sur le siège passager puis démarre la voiture.
Après un court trajet, dont elle ne se souvenait que par bribes tant son esprit était ailleurs, elle se gare devant chez elle.
À peine entrée, elle dépose ses clés dans le vide-poche métalique de l’entrée. Son regard s’attarde, rempli de nostalgie, sur le porte-clés : un cadeau de Jack pour leurs deux ans de mariage. Sa gorge se serre en voyant la miniature en argent du véhicule de leurs noces, une Rolls-Royce cabriolet des années 50, avec une inscription dorée : « Pour la femme de ma vie, Émélie, pour toujours ». Son cœur s’alourdit. Elle ferme les yeux, prend une profonde inspiration, puis se dirige vers la cuisine et se dit que tôt ou tard, elle devra se débarrasser de cet objet qui aujourd’hui n’a plus aucun sens.
Elle commence son rangement matinal, quand elle se souvient avoir oublié le donut qu’elle a acheté plus tôt, laissé dans sa voiture. Elle soupire et fait demi-tour, se dirigeant machinalement vers le pot argenté de l’entrée. Sans réfléchir, elle y plonge la main à tâtons, cherchant ses clés. Cependant, ses doigts ne rencontrent que quelques pièces éparses. Frustrée, Émelie lève les yeux et constate, à sa grande surprise, que le récipient est presque vide. Le trousseau n’est pas là.
Elle s’étonne. Les a-t-elle fait tomber ? C’est étrange... Elle aurait sûrement entendu le bruit des clés s'entrechoquant sur le carrelage. Intriguée, Émelie déplace la console sur laquelle repose ses affaires, espérant les retrouver derrière. Elle se penche, scrutant attentivement le dessous du meuble. Mais toujours rien. Les clés ont disparu.
L’incompréhension d’Émelie grandit. Est-elle vraiment en train de perdre la tête au point d'oublier où elle a laissé ses clés ? Malgré les paroles réconfortantes de Justin, elle ne peut s'empêcher de douter de plus en plus d'elle-même. L'inquiétude quant à son état mental s’installe peu à peu, s'insinuant dans chacun de ses gestes.
Où sont ses clés ?
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