Chapitre 05 - La disparition des clés
La nuit a été interrompue à plusieurs reprises par des pensées persistantes, des interrogations…
« Dois-je l’épouser ? Il est beau, riche, charismatique, et un amant exceptionnel… Il a tout pour lui. Mais ai-je vraiment envie de passer ma vie avec lui ? Ce que je ressens, est-ce vraiment de l’amour ? L’amour avec un grand A ? »
Ce matin, Amélia se réveille avec les paupières lourdes et la sensation d’avoir la tête prise dans un étau. Les rideaux tamisent la lumière du soleil, et ses yeux s’habituent doucement à l’éclat du jour. Lorsqu’elle retrouve pleinement sa vision, une touche de rouge attire son attention : une rose, délicatement posée dans un petit vase. À côté, une enveloppe repose devant un écrin de velours.
Amélia s’assoit, s’adosse contre son oreiller et contemple cette scène, le tableau idéal dont rêvent tant de femmes. Elle devine déjà ce que contient le mot : des phrases soigneusement choisies pour la convaincre de dire oui…
Elle se remémore chaque détail de la veille. Elle le revoit, agenouillé sur le seuil de sa porte, les yeux pleins d’espoir, l’embrassant avec passion, puis ces mots qui résonnent encore dans son esprit : « Je veux t’avoir chaque soir, rien que pour moi. »
Ses poings se serrent, ses yeux se plissent, et elle secoue la tête. Non, ce n’est pas possible. Amélia n’ouvre ni l’enveloppe ni l’écrin contenant la bague hors de prix. Sa première réaction est de saisir son téléphone et de commencer à écrire :
« Je suis désolée, mais je ne me sens pas prête. J’ai besoin de prendre du recul pour me retrouver. S’il te plaît, ne me rappelle pas. Pardonne-moi… »
Amélia relit la phrase une dizaine de fois avant d’appuyer, le cœur lourd, sur le bouton envoi. Ses yeux s’humidifient. Pourquoi se sent-elle si mal ? Si c’est vraiment ce qu’elle veut, elle devrait se sentir soulagée, non ? Pourtant, un sentiment de culpabilité commence à peser. Elle brise un rêve, un espoir... qu’elle ne partage pas. Elle ne veut pas le blesser, mais elle doit aussi penser à elle.
L’esprit embrouillé, Amélia se dirige vers la salle de bain afin de prendre une douche, espérant que cette dernière lui permette d’éclaircir ses idées et surtout oublier le temps de quelques minutes Ethan. En vain, il ne sort pas de son esprit.
Une fois terminée, elle entame sa routine matinale de soins du visage. C’est à ce moment-là qu’un souvenir de la veille refait surface. Quelques bribes floues lui reviennent. Certains détails de son reflet l’avaient troublée : la couleur de ses lèvres ne correspondait pas, le couvercle d’un de ses pots de crème semblait différent. Mais plus encore, elle avait eu cette étrange sensation que ce reflet n’était pas le sien, comme si c’était celui d’une autre personne.
Elle se fixe à nouveau dans le miroir et secoue la tête, agacée.
- N’importe quoi ! Et en plus, j’ai salué mon propre reflet… Pff, je deviens vraiment folle ! Cela ne peut être vrai, ce n’est que le fruit de mon imagination.
Sur ces mots, Amélia quitte la salle de bain pour se préparer. Coiffée, maquillée et vêtue de son habituelle jupe tailleur, elle est prête. Pourtant, une appréhension la gagne. Et si elle croisait Ethan ? Il est son patron, après tout. Elle pourrait le voir lors d’une réunion ou même dans l’ascenseur… Que se passerait-il ? Que devrait-elle dire ? Et surtout, quelle serait sa réaction ?
L’angoisse monte, et Amélia ne pense plus qu’à cette éventuelle rencontre. Devant la console de l’entrée, elle enfile ses escarpins, plonge la main dans le vide-poche, saisit son trousseau et sort. Elle insère la clé dans la serrure pour verrouiller sa porte d’entrée, puis tend son bras en direction de son véhicule et appuie sur le bouton du clip. La voiture ne réagit pas. Rien. Aucun phare ne s’allume pour signaler le déverrouillage. Elle appuie une deuxième fois, plus fermement. Mais toujours aucun signe.
- C’est pas vrai !! râle Amélia, il n’y a plus de pile.
Légèrement, énervée, elle retourne sur ses pas, dépose rapidement ses clés dans le vide poche puis se dirige vers le tiroir dans lequel sont rangés les piles. Elle en sort une plate puis retourne dans son entrée.
Lorsqu'elle revient vers ses clés, sa surprise est immense : deux trousseaux sont posés devant elle. Le sien, mais aussi un autre qu'elle n'a jamais vu. Elle les examine de plus près et constate qu'ils sont presque identiques. La télécommande de voiture, les clés de la porte d'entrée et celles de la boîte aux lettres sont exactement les mêmes, seule la breloque diffère. Une petite voiture miniature d'époque accompagne l'autre trousseau, avec une gravure qui attire son attention : « Pour la femme de ma vie, Émélie, pour toujours ».
Ces clés ne peuvent pas appartenir à Ethan. Elle ne lui a jamais donné celles de sa maison, et surtout, elle ne s'appelle pas Émélie. Pourtant, ce prénom résonne en elle – c'était celui de sa grand-mère paternelle. Un détail troublant, certes, mais qui reste étrange. Alors, à qui appartiennent ces clés ?
Elle se dirige vers sa voiture, un jeu de clés dans chaque main. D’un geste, elle tend la main droite, celle qui tient la clé ornée d'une petite voiture gravée, et appuie sur le bouton. Rien ne se passe. Elle essaie alors avec l’autre ensemble, enfonçant son pouce dans le bouton. Cette fois, la voiture réagit : les feux clignotent et un clic signale le déverrouillage. Celui-ci est bien le sien.
Perplexe, Amélia fixe les deux objets qu'elle tient. Ils sont presque identiques, à l'exception du porte-clés. Celui-ci ne lui appartient pas. Comment a-t-il pu atterrir chez elle ? Dans son vide-poche ?
Ne sachant que faire, les yeux rivés sur ses mains, elle rentre chez elle. Elle dépose tout sur le meuble de l’entrée, puis retourne au tiroir pour y replacer la petite pile ronde prise peu de temps avant. L'esprit encore préoccupé, elle va pour récupérer son bien, mais au moment de le prendre, le jeu avec le porte-clés gravé a disparu. Que cela soit derrière le meuble, en dessous ou sur les côtés, impossible de le retrouver.
Amélia fixe ses clés, l’esprit confus. Entre ce reflet étrange dans le miroir hier soir et maintenant ce porte-clés mystérieux, elle ne sait plus quoi penser. Un frisson la parcourt.
Est-ce qu'elle perd pied ? Ces événements ne semblent pas rationnels. Elle ferme les yeux un instant, essayant de reprendre le contrôle. « Peut-être que je suis simplement fatiguée... ou trop stressée par tout ça. »
Pourtant, elle a bien vu son reflet changer.
« Non, je dois arrêter », se dit-elle, en secouant la tête.
Elle essaie de mettre de l'ordre dans son esprit, mais tout semble embrouillé. La sonnerie de son téléphone brise net ce tourbillon mental, la ramenant à la réalité.
- Mademoiselle ; Vous avez rendez-vous dans 45 minutes et vous n’êtes toujours pas là. Est-ce que tout va bien ?
Rappelle Cindy sa secrétaire.
- oui je pars de la maison tout de suite. J’arrive
Amélia s’installe dans la voiture. Avant de démarrer, elle laisse son regard traîner sur sa maison, comme si elle cherchait à y lire une réponse. Puis, elle tourne la clé et met le moteur en marche.
***
Une semaine s’est écoulée depuis qu’elle a envoyé ce message à Ethan. Depuis, c’est le silence complet. Aucune réponse, et pas une seule réunion où leurs chemins se sont croisés. L’inquiétude grandit peu à peu. Comment a-t-il réagi ?
La nuit est tombée tôt. Dans son bureau, debout devant la baie vitrée, du haut de l’immeuble, Amélia contemple la rue en contrebas, illuminée par les lumières urbaines. Les enseignes clignotantes déploient leurs publicités, tandis que les phares des voitures inondent la chaussée de teintes rouges et jaunes. La vie urbaine, dans toute sa frénésie des heures de pointe. Toute son équipe est rentrée depuis longtemps, il ne reste plus qu’elle, seule devant ce ballet lumineux. Amélia aimait évader son esprit devant ce spectacle captivant.
Mais ce soir, tout est différent. Ethan.
A t’elle fait le bon choix ? Elle aimait être avec lui de temps à autre mais pas pour toute la vie. Elle craint qu’Ethan ne comprenne pas, qu’il le prenne mal. Son cœur se serre de l’avoir éventuellement blessé.
Des larmes inondent doucement ses yeux noisette. Seule, son armure se fissure. Plus besoin de jouer la femme fatale, celle qu’on lui envie tant. Ici, dans l’intimité de son bureau, ses fragilités refont surface.
Ses pensées s’interrompent brusquement lorsqu'un fracas retentit, la faisant sursauter. Elle se retourne vivement et voit la porte de son bureau rebondir contre le mur. Puis, la main sur le chambranle, et le dos courbé, Ethan se tient là.
Le cœur d’Amélia manque un battement.
— Eth... Ethan ? bégaye-t-elle.
En guise de réponse, il lève sa tête. Ses yeux brillent d'une rage folle, presque hors de leurs orbites. D’un geste brusque, il sort une fiole d’alcool de l'intérieur de sa veste et avale la dernière goutte. Un grognement lui échappe, frustré par l'absence de ce liquide ambré, et il lance violemment la bouteille contre le mur. Son regard sombre se pose alors sur Amélia.
Chancelant, il s’avance vers elle, un pas mal assuré après l’autre. Dos à la fenêtre, Amélia peut sentir l’odeur âcre d’alcool qui émane de lui. Elle reste silencieuse. Elle a de la peine pour lui, sachant trop bien pourquoi il en est arrivé là. Le visage de son ex-amant est marqué par la douleur qui le dévore.
Plus il avance, plus elle recule, jusqu’à ce que son dos rencontre la surface froide de la vitre. Le contact glacé la traverse, son cœur s'emballe. Ethan continue d’avancer, si près désormais que sa respiration saturée d'alcool effleure ses lèvres. La peur la saisit : allait-il lui faire du mal ? Une larme, née de cette angoisse grandissante, roule lentement le long de sa joue.
Ses yeux, rougis par l’alcool et la peine, s’attardent sur la bouche d’Amélia, avant de remonter vers son regard. Ce visage, si enragé quelques instants plus tôt, se transforme, laissant place à une immense tristesse. Avec une lenteur laborieuse, il réussit à articuler quelques mots.
- Qu’es je fais ? Pourquoi ? Pourquoi ne veux-tu pas de moi ?
Ethan colle sa joue contre celle d’Amélia. Il est si proche, qu’elle sent chaque battement de son cœur résonner contre sa poitrine. Ses longs doigts glissent doucement le long de sa cuisse, remontant lentement vers son nombril.
Il murmure, presque suppliant
— Ne t’ai-je pas déjà fait assez de cadeaux ? Si tu veux plus, je peux te donner tout ce que tu désires... Allez, demande-moi.
C’est la première fois qu’elle le voit ainsi, si vulnérable. Son patron, son ancien amant, cet homme toujours charismatique, solide comme une statue de marbre, est méconnaissable. Amélia ressent une pointe de tristesse, mais elle sait qu’elle a pris la bonne décision. Leur histoire devait se terminer.
Doucement, elle pose ses mains sur son torse ferme, ses doigts tremblants tentant de créer une distance. Mais il ne bouge pas, ancré là comme une montagne. Malgré l’alcool, sa force reste intacte. Amélia sent la panique monter. Elle doit trouver un moyen d’apaiser la situation avant que tout ne dérape. Elle inspire profondément, sa gorge serrée par l’émotion, et murmure, cherchant ses mots
— Ethan... Je...
Sa voix tremble légèrement. Elle sait qu’elle marche sur une corde raide, cherchant à ne pas le brusquer davantage.
— Je suis désolée. J’ai aimé tous les moments que nous avons partagés, je t’ai aimé à ma manière. Mais tu sais comment je suis... L’attachement, le mariage... ce n’est pas moi.
Elle marque une pause, ses mains moites sur son torse. Sa gorge est sèche, chaque mot plus difficile à prononcer que le précédent.
— Tu as tout pour plaire, mais... je ne t’aime pas comme tu voudrais que je t’aime.
Il la fixe, et Amélia ne parvient pas à lire dans ses yeux. Son regard est vide, distant. Lentement, il recule, jusqu’à se cogner contre le bureau. Les larmes coulent silencieusement sur ses joues, sans qu’il ne dise un mot. Puis, sans un bruit, il quitte la pièce.
Amélia reste là, immobile. Ses mains tremblent toujours. Le silence pèse et en est presque étouffant. Un éclair éclate dans le ciel, illuminant la pièce et la sortant de son état de torpeur. Elle essuie rapidement son visage, ramasse ses affaires et se précipite dehors.
La tempête fait rage. Les éclairs déchirent le ciel. Le chaos extérieur semble résonner avec ce qu’elle ressent à l’intérieur. Une angoisse l’envahit, et ne pouvant plus supporter, Amélia s’effondre en sanglots dans sa voiture.
De retour chez elle, trempée de pluie et de larmes, elle lance ses clés dans le vide-poche et se dirige vers la salle de bain. D’une main tremblante, elle attrape une serviette pour essuyer ses cheveux, sans même penser à prendre une douche. Elle se traîne ensuite jusqu’e sa chambre, s’allonge en position fœtale, et les larmes redoublent. La culpabilité l’étreint. Elle revoit le visage d’Ethan déformé par la douleur.
Le sommeil ne vient pas. Elle va alors se rafraichir le visage et lorsqu’elle lève les yeux vers le miroir, quelque chose l’arrête. Son reflet semble différent, presque flou. Elle se fige, se remémorant ce qui s’est passé plus tôt. La même sensation de décalage l’envahit. Comme si ce n’était pas vraiment elle dans le miroir.
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