Chapitre 09 - Sa main traverse le miroir

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Monde 2 : Terra

Emelie

La couverture se soulève doucement au rythme de la respiration paisible des enfants, tandis que leurs petites lèvres roses, entrouvertes, laissent échapper un souffle léger. Les jumelles, sûrement en plein rêve, sont loin d'imaginer le bouleversement qui s'apprête à frapper leur famille. Emélie sait qu’elle n’en est pas responsable, mais un sentiment de culpabilité l'envahit. C'est le cœur lourd qu’elle quitte la chambre de ces deux petites âmes innocentes.

 Les yeux humides, Emelie se dirige vers sa salle de bain. Elle ressent un besoin viscéral de se détendre pour ne penser à rien le temps de quelques minutes.

« Prends-toi un bon bain, avec du gros sel et quelques huiles essentielles, cela va t’aider à te détendre. » Me conseille Justin, disant que cela venait de sa grand mère. « cela enlève toutes les ondes négatives »

 Elle se rend dans la salle de bain, ouvre le robinet d’eau chaude et commence à remplir la baignoire, suivant les conseils de son ami. Emélie ne sait pas vraiment si cela fonctionne, mais elle s’y conforme toujours, ne serait-ce que pour se détendre.

 Elle allume quelques bougies pour tamiser la lumière, essuie la buée sur le miroir et croise son regard. Les visions étranges qui l’ont troublée récemment lui reviennent : le rouge à lèvres d'une couleur différente, le couvercle du pot de crème qui ne correspondait pas. Était-ce vraiment son reflet dans le miroir ? Elle en doute encore. Plus troublant, la disparition momentanée de ses clés. Ce jour-là, elles avaient disparu de la coupelle avant de réapparaître sans explication. Dans sa vie ordonnée, ces petits incidents laissent un malaise grandissant, comme si une autre réalité s'imposait à la sienne.

 Et avec les tensions actuelles avec son mari, elle met cela sur le compte de l'épuisement émotionnel, pensant que son cerveau est simplement fatigué.

 Le cœur lourd d’incertitudes, Emélie entre doucement dans l’eau chaude, repose sa tête contre un coussinet fixé à la baignoire et ferme les yeux. Pour la première fois de la journée, elle laisse la pression s’échapper.

 Le son d'une notification retentit, signalant l'arrivée d'un SMS. Son téléphone est bien trop loin pour qu'elle puisse l'attraper, mais qu'importe, elle sait déjà ce qu'il dit. C'est un message de Jack, prétextant une réunion ce soir. Comment a-t-elle pu être aussi naïve ? Elle sait pertinemment qu'en réalité, il se dirige tout droit vers les bras de sa maîtresse.

 En silence, une larme solitaire glisse sur sa joue, indifférente aux éclairs qui déchirent le ciel orageux à l’extérieur.

***

Monde 1 : Terre

Amélia

 Amélia se dirige vers la salle de bain, ignoran l’orage à l’extérieur. Les branches des arbres s’entrechoquent contre le toit, le vent siffle à travers les interstices des fenêtres, et la pluie s’abat bruyamment sur la baie vitrée du patio. Pourtant, une seule pensée l’obsède : Ethan. Après la scène qu’il lui a faite plus tôt au bureau, elle peine à concevoir un avenir dans la même entreprise, où il lui faudra participer aux réunions, négocier de nouveaux contrats, et travailler côte à côte avec lui. La situation va vite devenir compliquée. Jamais elle ne l’a vu aussi abattu, aussi vulnérable.

 L’orage redouble d’intensité, et après un coup de tonnerre retentissant, la maison plonge dans l’obscurité. Amélia allume des bougies et les dépose de part et d'autre dans la salle de bain. Elle ouvre le robinet de la baignoire et laisse l’eau chaude couler, ajoutant du sel de bain et quelques gouttes d’huile essentielle de jasmin, dont le parfum embaume déjà la pièce. Un sourire se dessine sur son visage anticipant la chaleur recouvrir son corps. Elle attendait cet instant depuis le début de la soirée, une pause bienvenue pour oublier sa journée, et surtout, chasser Ethan de ses pensées.

 Mais soudain, un éclair illumine la pièce, la faisant sursauter. La main sur sa poitrine, elle respire profondément pour calmer son cœur. Cependant, ce n'est pas cela qui va l'arrêter. Elle n’a pas l’intention de renoncer à son bain, même si l’éclairage ne provient plus que des bougies et des éclairs d’orage.

  Au moment où son orteil effleure la surface de l'eau, quelque chose attire son regard dans le miroir. Étonnée, elle plisse les yeux afin d’être certaine de ce qu’elle voit. Elle constate, avec effroi, que la surface est différente, comme si elle s'était volatilisée. Elle agite la main devant la paroi, cherchant à voir si le reflet se forme, mais rien n'y fait, il n'y en a pas. À la place de son image, c’est une pièce identique à la sienne qui apparaît, avec une légère différence, comme la couleur d’une serviette, la position d’un pot de crème ou même sa baignoire, dans laquelle une jeune femme lui ressemblant étrangement se repose. Elle se fige. Est-elle en train de rêver ? Et pourtant, tout semble si réel.

 Son incertitude grandit lorsque la silhouette bouge légèrement. Amélia recule, étouffant un cri derrière sa main. Puis, l’intrigue prenant le dessus sur la peur, elle avance à nouveau. Lentement, elle tend la main vers le miroir qui, à cet instant, ne semble plus en être un. Son doigt s'approche, tremblant. Au lieu de toucher la surface vitrée, sa main la traverse. Cette fois, elle pousse un cri et recule vivement. La jeune femme, de l’autre côté, ouvre les yeux.

***

Monde 2 : Terra

Emelie

 La tête posée sur le petit coussin de la baignoire, les yeux fermés, Emélie pouvait enfin se lâcher. Sans un bruit, de lourdes larmes coulaient le long de ses joues. Elle ne pouvait s’empêcher de penser aux écarts de son mari. Pourquoi ?

Suis-je si inintéressante ? Que faudrait-il faire pour qu’il daigne me regarder ? J’ai pourtant fait tant pour lui. J’ai géré la maison comme un maître d’hôtel, nos enfants sont en bonne santé et éveillés. Et j’ai même organisé à plusieurs reprises des diners pour lui, d’affaires ou d’anniversaire… J’ai tant sacrifié également. Même mon corps je l’ai entretenu pour lui, pour qu’il me regarde, pour lui plaire. Finalement pour rien.

 Une rage monte en elle. Elle réalise qu’elle n’a vécu que pour lui et non pour elle.

 Elle n'a pas le temps d'approfondir ses pensées sur Jack qu'un cri perçant la tire brusquement de sa rêverie. Surprise, elle ouvre les yeux, s'assoit d'un bond et scrute les environs. Ce cri, si proche et si puissant, ne peut provenir que de sa propre maison. C’est une femme qui a hurlé, mais à part elle, personne n'y vit. Et cela ne peut pas être ses filles, leur voix serait plus aiguë… Alors, qui a bien pu crier de la sorte ?

 Sortant précipitamment du bain, elle enfile son peignoir. Prudemment, elle ouvre la porte de la salle de bain et jette un coup d'œil à gauche vers l'escalier, puis à droite, vers les chambres. Rien. Elle reste figée quelques instants, tendant l'oreille à la recherche du moindre bruit suspect. Mais à part le grondement de l'orage, tout est calme. La maison semble déserte. Elle retourne alors dans la salle de bain.

 Juste au moment où elle s'apprête à se replonger dans l'eau chaude, quelque chose d'étrange attire son attention. Son miroir. Son reflet ne lui semble pas... normal. Hallucine-t-elle encore ? Elle se frotte les yeux, fixant la surface glacée. Ce qu'elle voit la glace. Ce n'est pas elle. Enfin, si, mais… ce reflet ne reproduit pas ses mouvements. Il vit sa propre vie.

 Elle s'approche lentement, le souffle coupé, jusqu'à ce que la vérité la frappe : ce n'est pas son reflet. La jeune femme de l'autre côté ne fait pas les mêmes gestes qu'elle. Puis, soudain, cette figure parle.

 — Mais, c'est quoi ce bordel ?

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