Chapitre 12 - Envie de partir

5 minutes de lecture

Monde 2 : Terre

Emelie

 Jack se tient droit devant elle, les muscles tendus comme un arc. Ses yeux brûlent de suspicion.

 — À qui tu parles ? Il y a quelqu’un ici ?

 Sans attendre de réponse, il jette un coup d'œil derrière le rideau de douche, se précipite vers la baignoire. Puis, dans un geste brusque, plonge sa main dans l'eau sans même retrousser sa manche, espérant trouver une preuve de sa paranoïa.
Emélie sent une vague de colère, mais aussi une profonde tristesse, monter en elle, comme si des mois de frustration explosaient à la surface. Elle serre discrètement la demi-batte de baseball, son bois rugueux contre sa paume, cachée derrière son dos. Quand elle parle, sa voix est ferme. Pour une fois, elle ne craint pas de s’exprimer.

 — Tu crois vraiment que je cache quelqu’un dans l’eau ? Tu es complètement parano!

 Jack, déconcerté par ce ton inhabituel de sa femme, s'avance vers elle d'un pas lourd et menaçant. Il se poste si près qu’Emélie est envahie par l’odeur âcre du vin qu’il a bu plus tôt, mêlée à un parfum féminin étranger. Ce détail, infime mais révélateur, fait exploser la boule de rage qu’elle retenait jusque-là.

 Elle lève la main et le pousse du bout des doigts sur le torse, libérant tout ce qu'elle garde en elle depuis des mois.

 — Franchement, tu ne manques pas de culot ! Tu vérifies si je cache un homme, alors que c'est toi qui couches avec une autre ?!

 Les yeux de Jack s'agrandissent sous le choc. « Elle savait ? »

 — Comment ai-je pu supporter ça aussi longtemps ? continue Emélie, mais c'est terminé, Jack ! Je refuse d’être ta gentille ménagère, celle qui nettoie et s’occupe des enfants sans rien dire. C’est fini !

 Sa voix tremble de colère, prête à hurler, mais elle se force à rester calme. Les filles dorment à quelques mètres. Elle inspire profondément pour maîtriser sa rage.

 — Écoute-moi bien, Jack. Je sais que tu me trompes. Et ne tente même pas de mentir ! J'ai vu les messages de ta... ta pouffiasse !

 Il ne s’attendait pas à ça. Lui qui pensait avoir toujours tout contrôlé se retrouve destabilisé. Il n’a jamais vu Emélie comme ça. La femme docile qu’il croyait connaître a disparu, remplacée par une force incontrôlable. D’un simple doigt appuyé sur son torse, Emélie réussit à le repousser jusqu’au seuil du couloir.

 Puis, d’une voix soudainement posée, elle lâche.

 — Je veux divorcer.

 Jack sent la situation lui échapper, et ça, il ne peut l’accepter. Ses traits se durcissent, la rage monte en lui. Il avance d’un pas, forçant Emélie à reculer, sa voix devenant plus sombre, presque menaçante.

 — Non, c’est moi qui pars ! Tu te prends pour qui ? Je ne vais pas rester avec une folle qui parle toute seule ! Regarde-toi ! Avec qui tu discutais dans la salle de bain ? Non ! C’est moi qui choisis si on se sépare ou pas ! Et JE décide de divorcer.

À ces mots, furieux, il dévale les escaliers en trombe. Arrivé en bas, il s’arrête, se retourne et d’une voix un peu plus contrôlée, ajoute :

 — Je passerai demain matin pour le petit déj des filles et je les emmènerai à l’école. Il enfile ensuite son manteau et disparaît dans la nuit pluvieuse, laissant derrière lui une tension pesante.

 Seule dans le couloir, figée par l’attitude de Jack, Emélie se sent vidée. Toute sa rage et son amertume ont été emportées par cette confrontation. C’était comme si elle avait libéré un poids qu’elle portait depuis bien trop longtemps.

 Tel un automate, elle retourne dans la salle de bain. La demi-batte de baseball qu’elle avait cachée gît là, inutile. Ses pensées dérivent immédiatement vers Amélia.

 — Amélia ? Amélia ! crie-t-elle, les yeux rivés au miroir.

 Elle effleure la surface froide du verre du bout des doigts, cherchant à le traverser, mais le miroir est redevenu ordinaire, reflétant son propre visage. La vue de cette autre salle de bain, de cette femme qui lui ressemblait tant, a disparu.

Un vide étrange l’envahit. Cette connexion avec Amélia avait réveillé quelque chose en elle, laissant derrière un manque inexplicable, ressenti comme un besoin urgent de la revoir.

***

 Le lendemain matin, après le départ de Jack et de leurs filles, un mal de tête fulgurant l'assaille. Épuisée, Emélie s’effondre sur le canapé. Tout semble s’accumuler sur ses épaules. L’air lui manque, son cœur bat à tout rompre, l’angoisse s’empare d’elle.

 — Que m’arrive-t-il ?

 Elle s'allonge sur la méridienne, mais la sensation de malaise ne fait que croître. Ses yeux se remplissent de larmes, et elle ne comprend pas ce qui lui arrive.

 Elle saisit alors son téléphone, parcourt la liste des contacts à la recherche de sa mère. Ancienne infirmière, elle seule pourrait avoir les mots expliquant son mal-être. Juste avant de composer le numéro, son doigt s’immobilise. Amélia.

 Comment expliquer à sa mère cette connexion troublante avec une inconnue dans le miroir ? Elle ne va jamais la croire. Que penserait-elle d’elle ?

 Après un moment d'hésitation, elle l’appelle, omettant soigneusement toute mention du miroir. Elle déverse son cœur : la trahison de Jack et la culpabilité qui la ronge.
 — Tu fais une petite crise d’angoisse, ma chérie. Allonge-toi, mets une musique douce que tu aimes et respire profondément... Tout cela va passer. Et souviens-toi, ce divorce n'est pas un échec.  C’est une nouvelle page qui s’ouvre à toi.

 Les larmes coulent silencieusement sur les joues d’Emélie.

 — Tu sais, si j'avais eu ta force, j'aurais quitté ton père bien plus tôt.

 — Tu crois vraiment que j’ai fait le bon choix ? Et les jumelles ?

 — Tu as des enfants intelligents. Elles comprendront, sois en certaine. Et surtout, ne reste pas dans ce mariage si tu n’es plus heureuse.

 — J’ai mal à la tête, j’ai l’impression d’étouffer ! Maman, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.

 — Ton corps te parle, ma belle. Il exprime son besoin de repos.

 Ce mot fait écho en elle. « Repos. » Elle hoche la tête, perdue dans ses pensées. Peut-être qu’un véritable changement s’impose.

 — Prends du temps pour toi, insiste sa mère. Va t'évader quelque part. Ne t'inquiète pas pour les filles, je m’occuperai d'elles.

 La sensation d'oppression se dissipe peu à peu. Emélie raccroche, reconnaissante. Une idée germe dans son esprit. Pourquoi ne pas partir, s’éloigner quelques jours, loin de tout ce chaos ? Elle ouvre son ordinateur portable et écrit dans le moteur de recherche « Plage, ondes positives, zen, là où il fait bon de vivre ».

 Byron Bay apparaît en tête de liste, un monde baigné de soleil et de sérénité, contrastant avec l’obscurité de son quotidien.

 C’est décidé. Elle partira.

Annotations

Vous aimez lire Wendie P. Churt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0