Chapitre 15 - Justine - Le carnet

7 minutes de lecture

Monde 1 : Terre

Justine

Besoin d’énergie

 Je suis épuisée. Chaque mouvement devient une lutte, chaque respiration pèse lourd. Depuis ma rencontre avec Amélia et Ethan, mon énergie semble s'écouler sans fin, se faufilant par des fissures invisibles, impossibles à refermer. Il faut que je trouve une solution, sinon je vais me dessécher… finir comme une feuille morte, balayée par le vent. Non, je dois me ressourcer avant qu’il ne soit trop tard.

 — Maman ? On peut aller voir notre Arbre ?

 La voix de Cloé fend ma fatigue comme un rayon de soleil à travers les nuages. Comme chaque soir, si le temps le permet, nous nous rendons au jardin des plantes. C’est notre rituel, notre refuge. Les allées serpentent entre les haies touffues et les massifs de fleurs éclatantes, nous offrant leur calme apaisant. À chaque pas, je sens déjà une partie de la tension s’échapper.

 — Oui, ma puce, allons-y.

 Nous avançons en silence, main dans la main. Après quelques détours et de brefs arrêts aux jeux pour enfants, nous y voilà. L’Arbre de Vie se dresse devant nous, immense et majestueux. Cloé, souriante, court l’enlacer, ses petits bras peinant à en faire le tour. Je m’approche plus lentement, presque avec dévotion. J’ai besoin de lui demander permission.

 Quand je suis assez proche, je ferme les yeux et tends les mains vers cette force de la nature. J’inspire profondément et murmure : « Mère Nature, prête-moi un peu de ton énergie. » Une douce brise effleure mon visage, faisant bruire les feuilles au-dessus de moi. C’est comme une réponse, une invitation.

 Je me concentre, pose mes mains sur l’écorce rugueuse et dépose mon front sur le tronc. Aussitôt, une chaleur douce s’infiltre dans ma peau, se propageant à travers mon corps. À chaque souffle, ma fatigue s’évapore. Bientôt, je me retrouve à l’enlacer, tout comme Cloé. Un frisson de vie me traverse, réanimant chaque fibre de mon être.

 Du coin de l’œil, je vois ma fille. Ses paupières sont fermées, et un sourire serein éclaire son visage. Elle aussi ressent l’énergie de l’arbre, je le sais. Elle deviendra une grande énergéticienne.

 Quelques minutes passent. Revigorée, je remercie silencieusement cette source de vie, puis j’ouvre les yeux au moment où Cloé m’appelle.

 — Maman ? Des gens nous regardent.

 Absorbée par cette communion énergétique, j’avais presque oublié que nous étions au cœur d’un parc animé. Quelques passants nous observent, l’air intrigué. Un peu embarrassée, je souris, serre la main de Cloé, et nous nous éloignons, amusées par la situation.

***

Ma grand-mère et son carnet

 Je dors paisiblement dans mon lit quand se dessine une silhouette féminine dans la pénombre de mon rêve. D'abord, une blouse blanche apparaît, suivie par une chevelure couleur feu qui se déploie, révélant pour finir un visage aux yeux d'un vert éclatant. Elle murmure quelque chose d'inaudible. Je lui demande de répéter, et cette fois, sa voix perce l’obscurité.

« La véritable expression de la pensée, c’est l’action. »

 La force de ses mots résonne en moi avec une telle intensité que je me réveille en sursaut. Qui est-elle ? Son visage… Il me semble familier, mais d’où ? Je réfléchis un instant puis…

 — Je sais !

 Je me lève d’un bond et me dirige vers un tiroir où je conserve de vieux albums photos. J’ouvre le premier qui me tombe sous la main. Dès la première page, mon cœur se serre. Sur un cliché se trouve une jeune femme rousse tenant dans ses bras un bébé aux boucles blondes. Cet enfant, c’est ma mère, et cette femme… ma grand-mère, Gwendoline.

 Disparue du jour au lendemain sans un mot, je n’ai pas eu l’occasion de la connaître. À seulement dix ans, ma mère n’a jamais digéré cette perte.

 — La véritable expression de la pensée, c’est l’action. Pourquoi ma grand-mère m’a-t-elle dit cette phrase ?

 Je m’assois sur le bord de mon lit et réfléchis. Cette phrase a-t-elle un sens ? Et surtout, dois-je la prendre en compte ? Car après tout, ce n’est qu’un rêve. Cependant, lorsque la pulpe de mes doigts me picote, cela signifie souvent que je suis en contact avec une source d’énergie. Etant donné que c’est le cas, je décide alors de me concentrer sur cet étrange message.

 Quand une illumination anime mon cerveau.

 — C’est tout simple ! m’exclamai-je. Cela veut simplement dire que je dois agir et arrêter de cogiter sans rien faire.

 Je quitte précipitamment mon lit, enfile mon peignoir et me hâte de descendre à la cave. Une fois sur place, je me dirige droit vers ma bibliothèque, où reposent les écrits des anciens. Je dois agir.

 Un livre attire mon attention, sur le dos de celui-ci, le nom Gwendoline Persia, brille en lettres dorées.

 Mon doigt effleure les volumes de ma grand-mère, où les années sont inscrites. Quand je m’arrête sur celle de 1985, la date de sa disparition, je le saisis avec délicatesse, comme si sa fragilité pouvait se briser au moindre mouvement.

 Assise sur des coussins moelleux, je parcours les pages vieillies par le temps. Les courbes délicates des lettres manuscrites et des graphismes réalisés par Gwendoline m’emportent dans un voyage à travers ses pensées.

 Des mots, des dessins et des méthodes en tous genres défilent devant mes yeux. Ces carnets sont une véritable mine d’or d’informations. Puis, une page attire particulièrement mon attention.

Tout objet et être vivant en tous genres possède son propre taux vibratoire, sa propre fréquence. Même notre merveilleuse Terre Mère, notre planète, possède la sienne. J’ai effectué des recherches parmi les écrits de nos ancêtres, et il serait possible de changer sa propre vibration par la méditation. Augmenter sa fréquence permettrait de changer de plan, d’entrer dans un monde invisible aux yeux de simples mortels. Il semblerait que ce soit l’évolution logique de l’humanité. L’homme est amené à évoluer.

Je ne sais pas si c’est bien réel, mais je veux croire aux écrits de mes ancêtres.

Je veux tenter l’expérience.

Je veux voir l’autre plan, découvrir cet autre monde invisible aux yeux de tous.

 Ses écrits sont justes ; moi-même je le fais pour effectuer des voyages astraux. Seulement, elle parle de monde, pas de sortir de son corps… Et quel serait le rapport avec Amélia ? À part son taux vibratoire.

 Mon cerveau est en fusion. Je sens que je me rapproche de quelque chose, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Je continue ma lecture quand j’arrive sur une étrange note.

10 novembre 1985

Ça y est ! J’ai réussi !

Je n’arrive pas à y croire ! J’ai enfin pu voir l’autre côté, un autre monde.

C’était une sensation si étrange. Tout était identique, et pourtant, je sentais que je n’étais pas à ma place…

Sans doute une histoire de fréquence, mais je ne suis pas sûre. Il faut absolument que je retente l’expérience.

Je vais noter la procédure. J’ai mis du temps à trouver une technique, mais je crois que j’y suis presque. Et puis, j’ai croisé mon double, qui était…

 Cette note est parsemée de gribouillis, témoignant de l’esprit agité de son auteur. Je peux y voir plusieurs dessins, tels que le symbole d’un trou de ver, accompagnés des notes qui l’entourent : F : 25 000 pour la maison et F : 58 000 pour l’autre monde. Ces inscriptions résonnent dans mon esprit, comme s'ils détenaient une clé vers une potentielle réalité parallèle. À côté, une main dessinée adopte la position du Rudra Mudra, symbole de la protection et de l'équilibre, mais je ne comprends pas vraiment son lien avec le reste.

 Mais de quoi parle-t-elle ? Ce « F » correspondrait-il à une fréquence des planètes ? Je relis cette feuille à plusieurs reprises, mes yeux glissant sur les mots comme pour en percer le secret, mais j'ai du mal à assembler toutes les informations qu’elle contient. Le mystère m’échappe. Intriguée, le cœur battant, je tourne la page, m'attendant à plonger plus profondément dans le mystère. Mes doigts, moites d'excitation, agrippent le coin de la feuille. Le papier est rugueux sous mon pouce, un peu jauni par le temps.

 Je prends une inspiration et tourne la page avec délicatesse, presque solennellement.

 En découvrant la suivante, mon souffle se suspend.

 — Quoi ? Mais…

 Le silence de la pièce semble s’épaissir. Je feuillette rapidement les autres, l’une après l’autre. Mon pouls s’accélère.

 Rien. Je ne vois rien.

 Pas une ligne, pas la moindre trace d’encre. Les pages sont vides, parfaitement blanches. Une sensation glaciale me traverse, comme si l'air lui-même était devenu plus froid.

 Comment est-ce possible ?

 Une vague de frustration m'envahit. Je voulais tant connaître la suite, percer le mystère de ces notes sibyllines, comprendre enfin ce que ma grand-mère, Gwendoline, voulait dire par « J’ai enfin pu voir l’autre côté, un autre monde. » La déception laisse place à de d'inquiétude et de l'impatience.

 Quand, un détail attire mon attention. Quelque chose dans le creux de la reliure, une irrégularité. Je plisse les yeux. Juste derrière la feuille que je viens de lire, je distingue les restes d’une page déchirée, ses bords effilochés semblent me narguer.

 Je frissonne. Pourquoi cette page a-t-elle été arrachée ? Mon esprit s’emballe. Les questions se bousculent dans un tourbillon : une formule secrète, une révélation interdite, ou peut-être... une porte vers un autre monde ?

 Je tends la main vers la reliure, mes doigts tremblants effleurent les bords déchirés.

 — Pourquoi ?

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