Chapitre-17 Premier Essai de Justine
PREMIER ESSAI
Monde 1 : Terre
Justine
— Bon, Cloé est chez son père… La sonnette est coupée… Et maintenant, plus rien ne devrait me déranger… Ah, oui, il me reste à mettre mon téléphone en silencieux. Voilà, c’est bon. Rien ni personne ne viendra troubler l’expérience que je m’apprête à vivre.
Debout au centre de mon tapis de méditation, je touche du bout de mes doigts tremblants la dernière page griffonnée par ma grand-mère avant sa disparition. Ce papier jauni et usé me hante, ses mots me poursuivent, et je suis envahie d’une frustration palpable à chaque lecture incomplète. Pourquoi cette page a-t-elle été arrachée ? Est-ce pour me protéger ou pour préserver un secret ? Ma grand-mère voulait-elle m’empêcher, moi aussi, de suivre sa voie ? Malgré cela, les indices qu’elle a laissés éveillent en moi un intense appel auquel je ne peux résister.
Déterminée à découvrir ce mystère, je m’assieds en tailleur et place le journal de Gwendoline devant moi. J’en relis quelques lignes, puis ouvre le mien, dans lequel j’ai récemment commencé à consigner mes expériences. Les mots que je pose imprègnent la fibre de la feuille de mon essence, créant un lien invisible qui, un jour, permettra à ma fille de ressentir cette force à travers le temps.
Je dispose en cercle des bougies blanches autour de mon tapis, où est dessinée une fleur de vie – un symbole puissant, réputé pour activer le flux des énergies. Avec mon allume-feu, j’embrase chaque mèche, et une douce lumière se déploie, réchauffant l’atmosphère du sous-sol. Ces flammes deviendront mes points de focalisation, canalisant mon énergie vers un seul but : élever mon taux vibratoire. D’ordinaire, je sais comment atteindre cet état, mais aujourd’hui, j’ai besoin de ces supports, de la force de la fleur de vie et de la lueur des bougies pour intensifier et amplifier mon intention. Le taux que je dois atteindre est bien trop élevé sans une aide.
Je saisis mon pendule en bois d'if et le réchauffe entre mes paumes pour y insuffler mon énergie. Sur le cadran de radiesthésie, l’aiguille pointe à 18 000 U-Bovis : un niveau avancé, révélateur de ma maîtrise. Habituellement, je l'utilise pour guider mon esprit vers des expériences extracorporelles, où j'atteins parfois jusqu'à 50 000 unités. Mais aujourd’hui, l’objectif est différent : je veux explorer la possibilité d’amener non seulement mon esprit, mais aussi mon corps physique dans un autre monde. Du moins… c'est ce que j'espère. Des données me manquent, et ce défi est inédit pour moi.
Autour de moi, les bougies vacillent doucement, projetant une lumière diffuse qui enveloppe la pièce. Je me sens prête, mais il reste une dernière étape. Ne pouvant tenir mon pendule tout en adoptant le Rudra Mudra avec mes mains, je vais tenter une technique jamais éprouvée : faire fonctionner le pendule sans contact direct.
J'installe le plateau de radiesthésie, dont le cadran s'étend jusqu'à 100 000 unités Bovis. Je place le pendule sur son socle, juste au-dessus, l’alignant à la verticale, et lui donne un léger élan. Retenant mon souffle, je l’observe intensément. Après quelques oscillations hésitantes, il finit par se stabiliser, s’immobilisant doucement entre deux repères.
— Ça fonctionne ! murmuré-je. Il bouge sans que j’aie besoin de le toucher. Parfait, je peux commencer.
Je m’installe plus confortablement sur le tapis, vérifie la position de mes doigts en Rudra Mudra et ferme les yeux. D’après mes recherches, ce geste permet de réguler le chakra du plexus solaire, la confiance en soi, la volonté et le pouvoir personnel. Lentement, je prends une grande inspiration qui emplit mon ventre, puis j’expulse chaque tension accumulée. Mon esprit se vide, prêt à se connecter à ce que je cherche. Peu à peu, une chaleur douce se diffuse dans mes paumes posées en Mudra.
Je rouvre un œil et jette un coup d’œil au pendule : il indique 19 000 Ub. J’ai ajusté le cadran pour qu’il puisse monter jusqu’à 100 000, mais il me faudra dépasser les 50 000 Ub pour tenter le saut vers l’autre plan. Mon cœur bat plus fort. Plus que jamais, je dois rester concentrée.
— Moi, Justine… j’augmente mon taux vibratoire… J’emmène mon corps à évoluer d’un plan à un autre.
Ma voix résonne dans ma tête, lente et affirmée. Je répète cette intention encore et encore, laissant mon esprit se concentrer uniquement sur ce but. Le temps devient flou, et mes perceptions changent. Une douce chaleur monte en moi, s’étendant de mon ventre à tout mon être. L’air semble s’épaissir, comme si je me trouvais entre deux réalités.
Peu à peu, j’entre dans un état second. La perception de tout ce qui m’entoure change, et j’ai la sensation de ne plus rien toucher, comme si je pouvais léviter. Mon corps ne sent plus le tapis sous moi, et mes mains, toujours en position de Rudra Mudra, ne perçoivent plus le tissu de mon legging. Les sons deviennent sourds et lointains comme si mes oreilles étaient dans une bulle. Rien ne peut me perturber. Je reste concentrée, prenant de profondes inspirations régulièrement.
Puis, au bout d’un certain moment indéfinissable, un frisson parcourt mon corps, de la pointe de mes pieds jusqu’au sommet de mon crâne, en passant par ma colonne vertébrale. C’est à ce moment-là que je décide d’ouvrir les yeux.
Le tapis, les bougies, la bibliothèque, tout ce qui fait mon univers dans ce sous-sol… a disparu.
Je suis stupéfaite par ce que je j’entrevois. Je me retrouve dans une pièce remplie de poussière et de toiles d’araignée accompagné d’un enchevêtrement de cartons empilés. Au milieu de ce fouillis, une silhouette s’active, fouillant dans des boîtes.
Je retiens mon souffle. Toujours en tailleur, je reste figée. L'inconnu finit par se retourner. Sous la lumière d'une ampoule unique, je reconnais ses traits : il est mon portrait craché. Pourtant, sa coupe de cheveux est courte, et il est habillé en homme. C'est une version masculine de moi-même. Le choc me cloue sur place, puis une douleur intense surgit dans ma tête. Malgré cette migraine lancinante, je ne fléchis pas, je résiste.
— Non, non, je ne veux pas partir, pas maintenant ! Il me faut cette page manquante du carnet de Gwendoline …
Cela s'intensifie, et devient de plus en plus difficile de recentrer mes pensées. Je lutte contre la douleur, ancrant mon regard dans celui de l'inconnu, répétant sans cesse : il me faut la page manquante !
Mais déjà, la pièce s’efface autour de moi, laissant place à ma bibliothèque, à ma table ronde...
Tout redevient familier.
Ma vision s'obscurcit, mes forces m'abandonnent, et je m'évanouis, vidée de toute énergie.
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