Chapitre 19 - Un Lien Inattendu

5 minutes de lecture

Monde 2 : Terra

Justin

 Justin se frotte les yeux, incapable de croire ce qu’il voit. Était-ce réel ? Ou son esprit épuisé lui jouait-il des tours ?

 Dans l’angle sombre de la cave, une silhouette féminine est assise en position du lotus, immobile. Baignée par la lumière jaune de l’ampoule suspendue, elle semble tout aussi surprise que lui. Ses grands yeux marrons sondent la pièce, et lorsqu’ils se croisent, un frisson glacé lui parcourt l’échine.

 Ses traits lui sont étrangement familiers, mais subtilement différents : la finesse des pommettes, les contours plus doux de son visage… Et surtout, ces yeux. Ils lui renvoient une image troublante, un reflet de lui-même, comme perdu dans les méandres de son passé. Ce n’est pas seulement une femme. C’est lui. Ou plutôt, une version de lui.

 Le silence devient lourd, étouffant. Justin tente de bouger, mais ses jambes refusent de répondre. Il veut parler, poser mille questions, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.

 Soudain, la silhouette oscille, comme une image projetée dont la source vacille. La jeune femme semble vouloir dire quelque chose, et ses lèvres bougent enfin. Sa voix, douce mais ferme, traverse la cave, semblant résonner dans sa propre conscience :

 — Il me faut cette page manquante du carnet de Gwendoline…

 Avant qu’il ne puisse réagir, elle disparaît, son image s’effaçant comme de la fumée emportée par le vent. L’angle sombre de la cave reprend sa place, mais Justin reste figé, son esprit encore hanté par cette rencontre.

 Il titube en arrière, prenant appui sur une pile de cartons. Son souffle est court, ses pensées désordonnées. Le murmure de cette apparition continue de résonner dans son esprit, se mêlant à ses propres doutes et questions.

 — Une page manquante… le carnet de Gwendoline…

 Il ne peut s’empêcher de percevoir un lien. Comment peut-il en être convaincu ? Il ne sait pas. C’est juste une intuition, une sorte de force qui l’incite à suivre son instinct. Il balaie du regard la cave poussiéreuse, puis se précipite vers les cartons, fouille avec frénésie, retourne des piles de vieux papiers et ouvre des boîtes scellées depuis des années.

 — Allez… Allez…, murmure-t-il à lui-même, comme une incantation désespérée.

 Mais aucun carnet. Juste des papiers jaunis par le temps et des objets oubliés. La frustration monte en lui comme une vague, mais elle est rapidement supplantée par une détermination nouvelle.

 Il sort son téléphone de sa poche, compose un numéro qu’il connaît par cœur.

 — Maman ? dit-il, sa voix tremblante mais pressante.

 — Oui, ma… mon fils.

 Le mot est prononcé avec hésitation, mais Justin ne s’attarde pas dessus conscient que cela prend du temps, pour déconstruire des habitudes vieilles de plus de trente ans. Il coupe court à toute formalité :

 — Les carnets de Granny. Tu te rappelles où ils sont ? Je ne les trouve pas ici.

 — Oh, oui… je les avais eus un moment, mais ils ne m’ont jamais intéressée, alors je les lui ai rendus. Elle doit toujours les avoir.

 Une étincelle d’espoir jaillit dans son esprit. Il raccroche rapidement après quelques politesses, puis compose un autre numéro. Cette fois, c’est sa grand-mère.

 — Oui, Justin, ils sont encore dans ma bibliothèque. Mais qu’est-ce que tu veux en faire ? Demande-t-elle avec un éclat d’inquiétude dans la voix.

 — Je viendrai te voir, Granny. Bientôt. Je dois les consulter. C’est important. Ne t’inquiète pas je vais tout t’expliquer une fois sur place.

 Le soulagement l’envahit. Ses doigts volent sur l’écran de son téléphone, réservant des billets pour l’Australie sans hésitation.

***


Monde 1 : Terre

Justine


  Je me réveille en sursaut, le corps alourdi par une fatigue écrasante. Ma joue est collée au tapis rugueux de la cave, et il me faut un moment pour reprendre mes esprits. Ma respiration est lente, chaque inspiration me semble laborieuse, et mon esprit reste embrouillé par des souvenirs fugaces. Puis, je réalise que j’ai perdu connaissance, triste résultat de ma vaine tentative de la veille.

 Je me redresse lentement, mes yeux tombent sur les bougies autour de moi. Elles ne sont plus que des morceaux de cire figée, témoins silencieux de mon échec. Une vague de frustration monte en moi, mais je la refoule.

 — Je l’ai vu… Murmuré-je, à mi-voix, comme pour m’assurer que c’était réel.

 Les images reviennent par fragments, nettes et troublantes à la fois.

 Un homme. Là-bas. Dans une pièce presque identique à la mienne, mais différente. Ses traits… ils étaient si proches des miens que j’en avais perdu pied. Je serre les poings, la tension me vrillant les tempes.

 — Cette page manquante… Soufflé-je entre mes dents serrées, sentant la colère et la détermination s’entremêler en moi.

 Je m’assois à mon bureau, mes mains tremblantes s’emparant de mon carnet. Je commence à écrire frénétiquement, chaque détail : ce que j’ai vu, les sensations, les éléments que j’ai ajoutés pour maximiser mes chances de réussite, et même ce que je pense avoir raté.

 Si Granny était encore là, elle aurait su quoi faire. Elle m’aurait transmis son expérience, ses secrets. Mais tout cela a disparu avec elle. Ainsi que tout ses affaires lors de l’incendie qui a ravagé sa maison en Australie, peu de temps après sa disparition. Seule la cousine de ma mère, qui y vit encore, a réussi à sauver quelques objets en fouillant les décombres.

 A-t-elle trouvé des fragments d’informations qui pourraient contenir des indices, voire des réponses à mes questions ?

 Je pose mon crayon et fixe le carnet.

 — Je dois essayer à nouveau… mais pas sans cette page.

 Mon regard se pose sur mon ordinateur portable, et une idée germe dans mon esprit : et si je demandais à cette cousine éloignée si elle peut m’en dire plus ?

 Sans perdre de temps, j’ouvre un moteur de recherche. Mes doigts tapent machinalement sur le clavier tandis que je cherche des vols pour l’Australie. Je suis si absorbée par ma tâche que, malgré l’insistance de la sonnette de ma porte d’entrée, rien ne m’empêche de valider ma réservation.

 Une fois terminé, satisfaite, je referme l’écran de mon ordinateur et me dirige vers la porte, pour découvrir qui a osé me déranger en plein achat. Lorsque j’ouvre, il n’y a personne. Intriguée, je vérifie ma boîte aux lettres, mais elle est vide.

 Je regarde autour de moi quand mon œil est attiré par un couple qui s’éloigne au loin. L’homme, vêtu d’une chemise colorée, marche aux côtés d’une femme aux longs cheveux noirs.

 Était-ce eux ?

Annotations

Vous aimez lire Wendie P. Churt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0