Chapitre 23 - Tellus- L'Obsession de Sarah

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Chapitre 23

Monde 3 : Tellus

  Le duo arrive devant le portail, cette fois animé d’une assurance nouvelle. L’appréhension qui accompagnait leur première traversée a disparu. Sarah ajuste son oreillette, savourant cette petite nouveauté qui renforce, son allure d’agente chevronnée, tandis que Greg inspecte méthodiquement le transmetteur. En synchronie, ils mettent leurs lunettes noires pour se protéger des rayons intenses, puis franchissent le seuil d’un pas résolu.

  Sarah a une mission claire : elle ne repartira pas tant qu’elle n’aura pas percé le mystère de l’anomalie. Les relevés effectués ne correspondent à rien de cohérent. Contrairement aux voyages interdimensionnels bien calibrés sur Tellus, où l’algorithme obéit à une matrice stable et prévisible, ici, une subtile variation échappe à toute logique. Cette singularité la hante. Elle doit découvrir ce qui se cache derrière.

  Cette fois, les coordonnées fournies par l’ordinateur quantique les mènent au hall animé d’un immense aéroport. Les lieux, bien que familiers dans leur structure, diffèrent légèrement par leur technologie et leurs styles vestimentaires. Pour une fois, Sarah et Greg ne se sentent pas trop dépaysés.

  Autour d’eux, des passagers se pressent dans toutes les directions, d’autres attendent tranquillement sur des sièges, tandis que certains dégustent des snacks près d’une boutique hors-taxes. Le bruit et le mouvement incessants créent une atmosphère désorientante, pour ce couple qui n’appartient pas à ce monde, mais Sarah reste concentrée. Son attention est rivée sur l’écran du détecteur de vibrations, où un point rouge clignotant indique une direction. Ils se fraient un chemin dans la foule, le regard fixé sur l’instrument.

Soudain, un grondement électrique retentit, les forçant à lever les yeux. Proche des larges baies, une masse de gens observe un ciel noir déchiré par des éclats lumineux. Sarah, presque instinctivement, oriente son appareil dans cette direction : les signaux s’emballent. Son attention s’arrête alors sur une silhouette féminine, gesticulant près des parois vitrées.

  — C’est elle ! l’adrénaline montant en elle.

  — Qui ? Où ? Quoi ? répond Greg, confus.

  Sarah n’attend pas d’explication. Elle agrippe le bras de Greg et l’entraîne dans son sillage, suivant la femme qui se dirige vers des « lounges ». Ils s’efforcent de ne pas la perdre dans la foule.   Cependant, elle disparait après un virage.

  Sur le détecteur, le signal lumineux s’intensifie, indiquant une proximité croissante.

  — On se sépare, propose Greg. Je contourne cet espace pendant que tu restes ici.

  — Ok, répond Sarah, déjà captivée par l’écran où le point clignotant gagne en taille.

  Après plusieurs minutes de recherche, bras tendu, les vibrations deviennent plus fortes à mesure qu’elle s’approche d’une porte ornée d’un pictogramme de douche. Sarah fronce les sourcils.

  « Une salle de bain ? Ça ne colle pas… Les ouvertures nécessitent un espace spécifique. Quelle technologie utilise-t-elle ? »

  Sarah est déterminée à comprendre. Tout semble illogique. Cette femme paraît n’être qu’une simple civile, voyageant tranquillement. Aucun détail ne suggère qu’elle détient une telle technologie. C’est exactement comme la dernière fois, lorsqu'ils avaient été dirigés vers un pavillon dans un quartier résidentiel. Rien, dans l’apparence du lieu, ne laissait imaginer qu’il s’agissait d’un laboratoire scientifique ou d’un bâtiment gouvernemental.

  Pour le moment, tout ce qu’elle observe échappe à sa raison.

  Pour ne pas attirer l’attention, Sarah se dissimule dans l’ombre d’un couloir, attendant qu’elle sorte. Les minutes s’écoulent et Sarah commence à trouver le temps long. Le cœur battant, elle presse son dispositif contre elle, son esprit constamment sur le qui-vive.

  Sarah lutte pour garder son calme, mais son impatience gronde sous la surface. Ses doigts se crispent autour de l’appareil à s’en blanchir les jointures, tandis qu’elle tapote nerveusement du pied, incapable de rester immobile. Concentre-toi. Ne te laisse pas distraire. Elle se répète ces mots comme un mantra, jonglant entre mille hypothèses sur cette anomalie inexplicable.

  Puis, soudain, un léger sursaut la traverse. « Greg ! » Elle se fige, réalisant qu’elle a totalement oublié de prévenir son collègue.

  — Greg ! chuchote Sarah dans son oreillette. Je crois que je sais où elle se cache ! Elle est dans une petite salle de bain, il me semble ! Tout est hors de contrôle ! Le taux est bien trop élevé !!!

  — OK, j'arrive. Ne bouge pas !

  Sarah jette un regard nerveux à son appareil et écarquille les yeux de surprise en voyant les chiffres vaciller entre l'indication maximale et le zéro. Pour remonter ensuite au niveau ordinaire pour cette planète. Mais que vient-il de se passer ? Ce n’est pas possible… Le souffle court, elle fixe l’écran, ne comprenant pas cette étrange fluctuation. Après de longues minutes, la jeune femme de tout à l’heure, sort recoiffée et porte à présent d’autres vêtements.

  À son apparition, Sarah ne peut s’empêcher de jeter un nouveau coup d’œil à l’appareil : encore une fois, le taux se met à grimper, mais, dépassant de peu la moyenne habituelle pour les habitants de cet univers. Comment fait-elle pour émettre une telle fréquence ? Cette question s’impose, obsédante, tandis que Sarah l'observe s’éloigner avec une tranquillité apparente, ignorant l’effet étrange qu’elle produit.

  — Greg ! Elle est sortie. Elle tient quelque chose ! s’exclame Sarah tout en appuyant sur le bouton vocal de son oreillette.

  — Attends-moi, je te rejoins. Je suis presque là !

  — C’est peut-être un transmetteur comme le nôtre ! Je dois vérifier.

  Femme déterminée, elle ressent ce besoin viscéral d’aller au bout de ses idées, quitte à flirter avec les extrêmes. Cet instinct – ou peut-être ce trait de caractère – oscille sans cesse entre une force admirable et un défaut potentiellement destructeur.

  Greg aperçoit enfin Sarah mais reste en retrait. Malgré son agacement, il insiste via leur dispositif de communication, tout en s’efforçant d'être discret. Leur mission doit impérativement se dérouler dans l’ombre, sans éveiller le moindre soupçon parmi les habitants de ce monde.

  Sarah accélère le pas, l’esprit en pleine effervescence. Elle sait qu’elle aurait dû patienter, mais attendre n’est pas dans sa nature. Chaque impulsion intérieure lui crie de saisir cette occasion, de percer le mystère avant qu’il ne s’échappe. Une chose est certaine : elle ne laisse jamais une énigme sans réponse. Cette anomalie n'est pas qu'une simple curiosité pour elle, c'est une obsession.

  « Si je ne le fais pas, qui le fera ? » murmure-t-elle, accélérant le pas malgré les avertissements de Greg

  — Sarah ! Non, n’interviens pas ! Tu vas te faire repérer ! siffle Greg à travers le dispositif de communication.

  Mais c’est déjà trop tard. Sarah est décidée. Le terrain n’est pas son point fort, et elle le sait. Ses doigts jouent nerveusement avec sa bague sur son majeur comme pour s’accrocher à une certitude. Puis, d’un pas résolu, elle avance.
À quelques mètres derrière sa cible, elle tend le cou, essayant d’apercevoir l’élément suspect, mais sans succès.

  — Qu’est-ce que tu fabriques ? s’impatiente Greg. Arrête, Sarah, tu vas tout compromettre…

Ignorant les consignes de Greg, Sarah accélère. Elle heurte volontairement l’épaule de la jeune femme et profite de l’impact pour jeter un coup d’œil furtif à l’objet qu’elle tient entre ses mains. Le choc le fait tomber au sol. A la vue de celui-ci, Sarah sans une vague de frustration l’envahir.

  « Un portefeuille ? »

  Elle serre les dents, tentant de maitriser sa déception.

  « Peut-être qu’elle l’a rangé dans son sac… » pense-t-elle.

  Mais elle ne peut pas se permettre de rester plantée là, à l’observer. Pourtant, une part d’elle brûle de saisir ce petit sac à dos en cuir, de l’ouvrir et d’en vider tout le contenu pour y trouver ce qui provoque une telle agitation en elle.

  Se maîtrisant avec peine, Sarah se contente de la dépasser d’un pas rapide, tentant de s’éclipser discrètement. Elle est à deux doigts de se fondre dans la foule quand une voix claire s’élève derrière elle, l’immobilisant net.

  — Hé ! Faites attention où vous allez, madame !

  Interrompue dans son mouvement, dos à la jeune femme, elle se tourne légèrement, sa chevelure noire voilant une partie de son visage. Son regard se pose sur la main tendue de l'inconnue, où une fine ligne de sang contraste avec sa peau.

  — Votre bague m’a griffée ! accuse cette dernière d’un ton plus ferme, l’agacement perceptible dans ses mots.

  « Oh non, je crois que j’ai fait une bourde ! »

  Elle l’a blessée, et Sarah sent son estomac se nouer. Les mots lui manquent, la laissant muette, incapable de formuler une réponse.

  Ses yeux noisettes se posent sur la pierre imposante sertie dans l’anneau. Sans réfléchir, Sarah réagit instinctivement, glissant sa main devant elle pour cacher la bague. Sans s'excuser et ni un regard en arrière, elle quitte précipitamment le magasin pour rejoindre Greg.

  Ce dernier à tout observé à distance. Il s'approche d'un pas décidé, le visage trahit une colère contenue.

  — Sarah ! Mais qu’est-ce que tu as fait ? je t’avais dit de m’attendre !

  — Quoi ? Je… je voulais savoir…

  — Et alors ? Tu as appris quelque chose ? Elle avait quoi dans les mains ?

  — Ce… ce n’était rien d’important, juste un portefeuille… Réponds Sarah confuse.

  — Ok, donc tu nous as exposés ! Pour… tu…

  Greg s’interrompt, happé par le regard en amande de sa collègue qui le fixe avec une intensité troublante. Une mèche de cheveux noirs, collée à la commissure de ses lèvres entrouvertes, ajoute à l’étrange magnétisme de la scène.

  Depuis que leur travail a pris une nouvelle tournure, il a appris à mieux la connaître. Et, il doit bien l’admettre, plus ils collaborent, plus il sent qu’un lien particulier se tisse entre eux. Ce n’est plus seulement une collègue à ses yeux. Il commence à l’apprécier, non pas pour son rôle dans l’équipe, mais pour la personne qu’elle est. Et, il faut bien l’avouer, son impulsivité la rend étrangement attirante.

  Ses joues se chauffent, et il détourne le regard pour ne pas trahir son trouble.

  — Bon, ce n’est pas grave, mais dis-toi que nous travaillons ensemble. Nous devons nous concerter avant d’agir, OK ? continue-t-il, d’un ton plus calme.

— Désolée, finit-elle par murmurer, j’ai parfois du mal à résister lorsque j’ai une idée en tête.

  Elle se sent étrangement intimidée face à lui, une sensation qu’elle n’avait encore jamais connue. Un léger frisson lui parcourt l’échine. Était-ce son imagination ? Non, il y avait bel et bien quelque chose. Ce n’est pas le même regard qu’il pose d’habitude sur elle. Ce n’est plus uniquement celui d’un collègue agacé ou concentré sur leur mission. Il est plus doux, presque chaleureux, comme s’il la voyait sous un nouveau jour. Un éclat dans ses pupilles la perturbe et l’intrigue. Elle détourne les yeux, le cœur légèrement serré, hésitant entre ignorer cette impression ou chercher à la comprendre. Mais ce n’est pas le moment de se perdre dans ce genre de pensées. Elle chasse son trouble pour se concentrer à nouveau sur leur mission.

  Ils suivent encore un certain temps la personne qu’ils soupçonnent d’effectuer des voyages interdimensionnels, la traçant jusqu’à sa porte d’embarquement. Puis, après un dernier coup d'œil échangé, ils rebroussent chemin vers le coin isolé par lequel ils étaient arrivés un peu plus tôt.

  — Puisqu’elle va prendre son vol dans quelques minutes, on rentre, et nous reviendrons plus tard. L’ordinateur quantique nous guidera, suggère Greg.

  Ils tendent chacun leur bras : Greg avec son transmetteur, et Sarah avec sa bague chargée en énergie. Ensemble, ils ouvrent le vortex.

  Juste avant de franchir le seuil, Sarah retient son acolyte par la manche de sa chemisette coloré, le regard fuyant, elle ajoute l’air gêné.

  — J’ai... je l’ai blessée en la bousculant... avec la pierre. Annonce-t-elle timidement. Mais ne t’inquiète pas, ce n’était qu’une simple égratignure.

Greg la fixe un instant, une question perçant ses yeux noisette.

  — Elle a saigné ?

  — Oui...

  Un silence lourd s’installe, mais le bruit du portail qui crépite les ramène à la réalité. Greg serre la mâchoire, conscient qu’il n’a pas le luxe d’explorer cette révélation maintenant. L’ouverture est limitée dans le temps.

  Arrivés au laboratoire où s’activent plusieurs employés, ils aperçoivent le colonel, debout, les bras croisés derrière le dos, l’air grave.

  Greg désactive le transmetteur et le dépose dans la réserve avec les autres dispositifs. Alors que Sarah s’apprête à faire de même, elle remarque une tache sombre sur la pierre violette de sa bague. Son souffle se coupe.

  — C’est... du sang ? murmure-t-elle, glacée.

  Le haut gradé, qui surveillait leur manège, s’avance d’un pas ferme.

  — Du sang ? Laissez-moi voir ça. À qui appartient-il ?

  La voix grave du colonel fait sursauter Sarah.

  — À la personne que nous soupçonnons de voyager, répond-elle d’une voix à peine audible.

  — Et comment cela est-il arrivé ? demande-t-il en scrutant la pierre, où le sang n’a pas encore séché.

  Avant même d’attendre la réponse de Sarah, il interpelle une technicienne.

  — Vous, prélevez un échantillon immédiatement.

  Une jeune femme brune à la coupe au carré obéit sans poser de questions. Greg et Sarah échangent un regard. L’atmosphère dans la pièce devient électrique.

  — Vous pensez que c’est... important ? tente Sarah, nerveuse.

  Le colonel reste silencieux, ses yeux toujours fixés sur la pierre. Puis, d’un ton lourd de sous-entendus, il déclare :

  — Si cette personne émet de telles vibrations, son ADN pourrait nous révéler bien plus que ce que nous imaginons.

Une fois l’échantillon prélevé, le colonel les congédie dans leurs quartiers pour se reposer.

  — Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’inquiète… Ils analysent du sang sans que cette jeune femme en ait la moindre idée. Est-ce que ça te semble normal ? demande Sarah, hésitante.

  Greg hausse les épaules, le regard fuyant.

  — Va te reposer un peu, on repart bientôt. On aura tout le temps d’y réfléchir plus tard.


***


  Quelques heures plus tard, les deux collègues traversent à nouveau le portail quantique. Cette fois, l'ordinateur les conduit dans un monde parallèle étroitement lié à celui de la jeune femme rencontrée à l'aéroport. Le taux vibratoire de celle-ci est très proche de celui de son alter ego. En règle générale, chaque univers, chaque monde possède une fréquence unique, comparable à une empreinte digitale : elle lui est propre et ne peut être partagée. Deux planètes parfaitement identiques, vibratoirement parlant, n'existent pas. Pourtant, ces deux-là, dont ils ignorent encore l’appellation utilisée par leurs habitants, affichent des données qui défient les règles établies, éveillant leur curiosité et leurs interrogations.

  Le vortex s’ouvre en pleine campagne, derrière une grange appartenant à une ferme aménagée en restaurant. L’air est chargé d’odeurs fortes : la terre humide, le fumier, et le parfum des fleurs sauvages mêlés à celui des herbes hautes qui bordent le chemin. Au loin, un abreuvoir reflète les derniers rayons, tandis qu’une haie exhale une senteur poivrée sous la brise. Ils ne sont plus habitués à ces effluves puissants ni à une végétation aussi luxuriante, souvenirs d’un temps révolu sur leur propre planète, qui s’est flétrie en s’éloignant du soleil.

  Le mot restaurant est peint en grosses lettres sur la devanture en bois. Une jeune femme pousse la porte, et le tintement d’un carillon s’élève dans l’air. Ses cheveux mi-longs, détachés, rappellent étrangement à celle qu’ils suivaient à l’aéroport.

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