Chapitre 3 – Le Jugement Divin
Un grondement sourd résonna dans toute la ville, comme si une créature titanesque s’éveillait sous la terre. Le ciel, auparavant d’un bleu écrasant, se teint brusquement de noir. Pas un noir naturel, mais un abîme sans fin, une obscurité dévorante qui semblait absorber la lumière elle-même.
Grey, encore haletant du travail forcé, leva les yeux, son cœur se serrant dans sa poitrine. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Il savait que quelque chose d’irréversible venait de commencer.
Autour de lui, les ouvriers et esclaves se figèrent. Les gardes, d’ordinaire implacables, portèrent instinctivement la main à leurs armes, cherchant une menace invisible.
Puis, les cieux explosèrent.
D’innombrables sphères de feu tombèrent du firmament comme une pluie divine. Chacune d’elles s’écrasa sur Babylone avec une force apocalyptique, pulvérisant des bâtiments entiers, projetant des corps en l’air comme des fétus de paille. Des cris d’agonie éclatèrent de partout, couvrant le fracas du désastre.
Grey sentit la chaleur écrasante d’une boule de feu percutant une tour d'un bâtiment proche. L’onde de choc le projeta en arrière, son dos heurta violemment un tas de pierres. Il suffoqua, les oreilles bourdonnantes, son corps parcouru de spasmes de douleur.
Tout autour de lui, Babylone s’effondrait.
***
Des hurlements de panique éclatèrent dans tous les quartiers. Les esclaves, les ouvriers, les nobles, tous fuyaient dans un chaos absolu, se piétinant les uns les autres. Les rues se remplissaient de cadavres, broyés par les chutes de débris ou calcinés par les flammes.
Grey se redressa tant bien que mal. Il devait courir.
Ses jambes tremblaient, son souffle était court, mais un instinct primaire le poussa à se relever. Il trébucha en avant, esquivant de justesse un pan de mur qui s’effondra derrière lui.
Puis, il les vit.
Des êtres impossibles descendaient lentement du ciel obscurci.
Leurs silhouettes étaient divines, empreintes d’une pureté qui n’appartenait pas à ce monde. Certains avaient des ailes immaculées, leur présence irradiait une lumière irréelle, comme si leur seule existence était un châtiment. D’autres étaient massifs, des colosses sans visage, avec un halo lumineux encerclant leur crâne nu.
Mais c’étaient ceux vêtus de capes blanches qui glaçaient le plus Grey.
Ils avançaient en silence, leur visage dissimulé sous leur capuche. Ils ne semblaient pas marcher mais glisser sur le sol, tenant dans leurs mains des épées faites de pure lumière.
Et dès qu’ils levaient leurs lames, les hommes tombaient.
Ils ne criaient même pas. Ils s’évaporaient.
Grey vit un noble en armure dorée lever son bouclier, tentant de se défendre. L’épée de lumière fendit l’air.
L’instant d’après, l’homme n’existait plus.
Son corps disparut dans une explosion de particules lumineuses, comme s’il n’avait jamais été.
Grey fit un pas en arrière, son souffle saccadé.
C’était ça, le Jugement des Dieux ?
Un bras saisit brusquement son poignet. Il sursauta et croisa le regard paniqué d’un autre esclave, un homme d’une trentaine d’années au visage couvert de suie.
— Il faut fuir !
Grey n’eut pas le temps de réagir que l’homme l’entraînait déjà dans une ruelle latérale. Derrière eux, un hurlement suraigu perça l’air.
Grey tourna la tête juste à temps pour voir une forme trop grande, trop rapide les poursuivre.
Un être ailé, mais dont les traits n’étaient plus angéliques.
Son visage était distordu, un rictus figé dans une expression d’extase malsaine. Ses ailes étaient trop nombreuses, certaines brisées, d’autres s’agitant comme des membres indépendants. Il n’avait pas d’yeux, seulement un vide noir sous son casque d’or.
Il fondit sur eux à une vitesse inhumaine.
L’homme qui tenait Grey trébucha, lâchant sa main. Il se retourna pour supplier, mais c’était déjà trop tard.
L’être divin l’attrapa par la gorge et le souleva sans effort.
Puis, lentement, il resserra ses doigts.
Grey vit le corps de l’homme se convulser, son souffle se couper. Il tenta d’intervenir, d’attaquer, de faire quelque chose, mais son corps refusa de bouger. Il était tétanisé, figé par une peur primitive qui le dépassait.
Puis, d’un mouvement sec, la tête de l’homme explosa.
Le sang aspergea les pavés.
Grey vacilla.
Il voulait vomir. Il voulait fuir.
Mais tout son être refusait de fonctionner.
L’ange tourna lentement la tête vers lui.
Un rugissement venu des cieux coupa court à son mouvement.
Une colonne de lumière s’abattit sur le sol, balayant tout sur son passage. L’onde de choc propulsa Grey à plusieurs mètres. Il heurta durement une caisse en bois et roula sur le sol, suffocant.
Son corps était en miettes, sa respiration sifflante.
Mais il était en vie.
Quand il rouvrit les yeux, l’être ailé avait disparu.
Il ne réfléchit pas.
Il courut.
***
Il erra à travers la ville en ruine, passant d’une ruelle à l’autre, tentant désespérément de comprendre comment sortir d’ici.
Mais partout où il allait, ce n’était que carnage.
Il vit des gens brûler sans raison, des familles s’effondrer au sol alors que leur chair fondait comme de la cire. Il vit des mères agripper leurs enfants muets, incapables d’émettre le moindre cri, alors que des lames de lumière les réduisaient au néant.
Il tenta d’aider une jeune femme coincée sous un pilier effondré.
Mais au moment où il tirait sur sa main, son corps fut fauché par une lance de lumière venue du ciel.
Elle disparut.
Il n’y avait rien à faire.
Rien d’autre que survivre.
Le souffle court, la gorge en feu, il continua d’avancer. Il atteignit enfin les portes extérieures de la ville.
Il y avait un port, un bateau quelque part, il le savait.
Mais au lieu d’un refuge, il trouva le chaos absolu.
Les eaux du fleuve s’étaient teintées de rouge, les vagues charriant des corps mutilés. Les navires étaient brûlés, leurs coques éclatées comme si un poing divin les avait broyés d’une simple pression.
Il n’y avait aucune échappatoire.
Son souffle devint erratique.
La panique le prit à la gorge.
Il recula, troublé, perdu, brisé.
Puis, derrière lui, un grondement sourd.
Quelque chose s’éveillait.
Il tourna lentement la tête.
Au sommet de la tour, un halo de lumière apparut, projetant des ombres démesurées sur la ville en ruine.
Puis, la voix résonna.
Froide. Inéluctable.
「 Le Jugement continue 」
Grey sentit une force invisible l’arracher du sol.
Son monde vacilla.
Puis tout devint noir.
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