Chapitre 15 - Le savoir effacé
Le feu crépitait faiblement, une flamme vacillante au milieu des ruines.
Grey tendit ses mains vers la chaleur, ressentant enfin un peu de répit face au froid omniprésent qui s’insinuait dans ses os. Le feu projetait des ombres tremblotantes sur les pierres brisées, donnant l’illusion que les ruines étaient encore habitées par des spectres du passé.
Mais ce n’était qu’une illusion.
Cet endroit était mort.
Depuis son réveil brutal dans ce Scénario, il n’avait trouvé aucun signe de vie. Aucune plante, aucun insecte, pas même une brise pour faire frémir l’air. Seul régnait un silence écrasant, un vide oppressant qui lui donnait la désagréable sensation d’être surveillé.
Il ne savait pas ce qui allait arriver avec la nuit, mais son instinct hurlait qu’il devait s’y préparer.
***
Après s’être assuré que son feu tiendrait quelques heures, Grey s’était remis à explorer.
Les ruines s’étendaient à perte de vue, formant un véritable labyrinthe de couloirs effondrés et de salles poussiéreuses. Il marchait lentement, les pas feutrés, s’arrêtant à chaque bruit suspect.
Partout, des bibliothèques renversées, des étagères éventrées, des piles de livres à moitié calcinés.
Il en ramassa un au hasard.
Les pages étaient intactes, mais vierges.
Un frisson lui remonta l’échine.
Un autre livre, même résultat.
Il en ouvrit cinq autres, cherchant désespérément un indice, une trace de ce que cette bibliothèque avait pu contenir.
Rien.
Le savoir n’avait pas disparu naturellement.
Il avait été effacé.
Un silence pesant s’installa alors qu’il jetait un dernier regard aux pages vides.
Qui ferait une chose pareille ?
***
Ses pas l’avaient mené plus loin, dans une grande salle circulaire, où plusieurs bibliothèques intactes s’alignaient encore contre les murs de pierre.
C’est là qu’il les vit.
Des symboles gravés à même le bois, des runes anciennes, leur tracé finement sculpté s'étendant sur plusieurs niveaux.
Elles étaient presque invisibles sous la poussière, mais luisaient d’un éclat à peine perceptible, comme si elles contenaient encore une énergie faible, mourante.
Grey s’en approcha, tendit la main.
Dès que ses doigts touchèrent le bois sculpté, une vibration lui parcourut l’échine.
Un sentiment étrange.
Comme si quelque chose essayait de lui parler.
Son regard suivit les runes, essayant d’en comprendre la signification.
C’était une langue inconnue. Des courbes élégantes, entrelacées comme un langage ancien, mais à mesure qu’il tentait de se concentrer dessus, il avait l’impression que les symboles changeaient.
Comme si…
Comme s’ils ne voulaient pas être compris.
[ Analyse des inscriptions… Échec ]
[ La compréhension de ces runes nécessite un niveau de cognition supérieur ou une aptitude spécifique ]
Grey grimaça.
Encore un blocage.
Il savait pourquoi.
Les Arcanes avaient verrouillé toutes ses possibilités d’amélioration.
Il ne pouvait pas utiliser de reliques, pas manipuler de magie, pas manier d’armes issues de récompenses.
Et maintenant, il réalisait qu’il ne pouvait même pas comprendre le monde dans lequel il était plongé.
Ils ne l’avaient pas seulement condamné à la difficulté.
Ils l’avaient condamné à l’ignorance.
Une frustration sourde s’empara de lui, mais il l’écrasa immédiatement.
Il n’avait pas le temps pour la colère.
Il n’avait qu’une priorité.
Survivre.
***
Grey retourna vers l’endroit où il avait allumé son feu, à l’abri sous un pan de mur encore debout.
Il empila d’autres livres vierges, utilisant les meubles brisés pour alimenter les flammes.
C’était ironique.
Il se trouvait dans un lieu conçu pour conserver le savoir…
Et il ne pouvait l’utiliser que pour faire du feu.
Il s’assit lentement, tendant ses mains vers la chaleur, sentant la fatigue peser sur ses épaules.
Il n’avait aucune idée du temps qui passait ici.
Le soleil noir ne bougeait que très lentement, projetant toujours cette lumière froide et sans vie.
Mais il savait que le jour allait bientôt s’achever.
Grey leva les yeux vers l’horloge suspendue, trônant au-dessus de l’autel central.
Elle était toujours immobile, son cadran brisé, figé dans un temps qu’il ne comprenait pas.
Puis, il sentit un changement.
L’air devenait plus lourd, plus épais, comme si la gravité elle-même augmentait.
Le soleil noir s’inclina doucement vers l’horizon, sa lumière déjà faible s’éteignant progressivement.
Le sol sous lui vibra légèrement.
Grey serra les poings, tendu, scrutant l’obscurité qui commençait à se répandre dans les ruines.
Puis, il entendit le premier son.
Un craquement lent, déchirant, quelque part au fond des couloirs effondrés.
Il tourna brusquement la tête.
Quelque chose bougeait dans l’ombre des colonnes brisées.
Là-bas, au loin…
Il vit un livre tomber d’une étagère.
Tout son corps se glaça.
Ce n’était pas naturel.
Puis…
DONG
Un battement sourd résonna dans toute la bibliothèque.
L’horloge venait de bouger.
Grey se figea.
Son cœur battait furieusement dans sa poitrine.
Il attendit, les muscles crispés.
DONG
Une seconde fois.
La nuit était tombée.
Et avec elle, quelque chose s’était réveillé.
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