Chapitre 39 - Premier Travail

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Le grand tableau de quêtes s'étendait sur tout un pan de mur, couvert de parchemins de tailles variées, attachés par des clous ou suspendus à des crochets magiques. Grey resta un moment devant, les bras croisés, lisant chaque intitulé avec attention.

Il y avait de tout.

"Capture de rats - égouts secteur 1pièce de bronze par queue."

"Escorte marchande jusqu’à la vallée de Fennor - groupe de 4 minimum requis."

"Nettoyage de toiture - maison de Mme Virna, 5 pièces de bronze pour un travail propre."

"Chasse à la meute de Gelcrocs - prudence requise, besoin de minimum 2 Marqués ou aventuriers de rang E."

"Expédition - ruines de Caer Toren - accompagnement de chercheurs - danger potentiel."

Grey haussa un sourcil devant la diversité des demandes.

Certaines quêtes semblaient particulièrement ingrates. D’autres, mortelles. D’autres encore, trop complexes pour un homme seul.

Il tira un parchemin épinglé un peu à l’écart, presque oublié derrière les autres.

"Nettoyage de toiture - Mme Virna, secteur est, maison 22. Outils fournis. 5 pièces de bronze à la fin du travail."

Une tâche sans risque.

Une récompense honnête.

Et surtout, une manière d’obtenir de quoi manger sans risquer sa peau.

Il retira doucement le papier, le plia et le glissa dans sa veste. Puis il fit un pas en arrière et regarda une dernière fois le tableau. Certains aventuriers s’étaient attroupés, d’autres discutaient de stratégies ou formaient déjà des groupes.

Grey, lui, était seul.

Mais il s’y était habitué.

Il jeta un regard à l’horloge enchantée au-dessus du comptoir. L’aube était encore fraîche. Il avait le temps.

Il annonça la prise de la quête au comptoir et s'en alla.

Alors il décida de marcher, de voir, de sentir la ville.

Les rues de Lithoria vibraient désormais de vie.

Les marchands installaient leurs étals, des draps colorés s’agitant dans la brise matinale. Des enfants couraient entre les passants, poursuivis par des chiens. Des mendiants tendaient la main, et des crieurs publics annonçaient les nouvelles venues du nord.

Grey avança à travers cette mer de visages inconnus, curieux, méfiants, affairés.

Il passa devant un vendeur de brochettes de viande — l’odeur le fit saliver — puis devant une boutique de grimoires, où une vieille femme discutait âprement avec un client à la voix enrouée. Plus loin, une fontaine d’argent faisait danser la lumière sur des sculptures représentant des figures mythologiques : un homme-cerf, une femme aux ailes de papillon, un géant couronné.

Il s’arrêta un instant, observant.

Les gens ici vivaient.

Vraiment.

C’était différent de tout ce qu’il avait connu. Dans son monde, la survie était une lutte constante, les sourires rares, la peur omniprésente. Ici, même avec les Scénarios, même avec les tensions dont on lui avait parlé, les gens semblaient avoir trouvé un équilibre.

Il s’enfonça dans un quartier plus résidentiel, où les maisons étaient en pierre blanche, les toits inclinés recouverts de tuiles d’argile. Des jardinières fleuries décoraient les fenêtres. Les odeurs de cuisson s’élevaient doucement.

Il vit une école.

Des enfants en uniformes colorés passaient les portes, certains riant, d’autres traînant les pieds. Un professeur, un homme à la peau sombre portant des lunettes rondes, les accueillait d’un ton calme mais ferme.

Grey ralentit.

Il les regarda longtemps.

Il se demanda si, dans un autre monde, il aurait pu être l’un de ces enfants.

Ou ce professeur.

Mais non.

Il était un Marqué.

Son chemin n’était pas pavé de livres d’histoire et de goûters d’enfants.

Il était pavé de cendres et de sang.

Il reprit sa marche.

Plus loin, il traversa un quartier militaire. De hautes murailles, des soldats en uniforme noir et argent, des bannières représentant des blasons variés. Certains s’entraînaient dans des cours fermées, d’autres marchaient en silence, disciplinés, l’arme au poing.

Grey reconnut l’allure.

La posture.

Il les avait vus avant, dans son propre monde.

Des gens prêts à mourir, parce qu’on leur avait appris à le faire.

Il évita les regards et poursuivit son chemin.

Il passa près d’un petit temple, où des prêtres vêtus de robes argentées récitaient des litanies à voix basse. Des fidèles déposaient des offrandes : fleurs, bijoux, morceaux de parchemin. Au centre, une statue d’une déesse aux bras ouverts, tenant une flamme blanche entre ses mains.

Grey s’arrêta un instant, regardant la statue.

Il ne savait pas si elle appartenait aux Arcanes.

Il s’en fichait.

Il lui lança un regard vide, puis reprit sa route.

Finalement, il rejoignit les hauteurs du quartier est.

Un peu à l’écart, il trouva la maison 22. Un bâtiment de pierre aux murs envahis de mousse, surmonté d’un toit très incliné couvert de feuilles mortes. Une vieille femme était déjà sur le pas de la porte, une canne à la main et une paire de lunettes énormes sur le nez.

— Tu viens pour la toiture ? lança-t-elle d’une voix un peu cassée.

Grey hocha la tête.

— Oui. Je suis Grey. Aventurier rang F.

— Tant que tu nettoies bien, ça me va. Les outils sont à l’arrière. Le toit est glissant, fais attention. Et si tu tombes, évite d’atterrir sur mon potager.

Un sourire discret passa sur les lèvres du jeune homme.

— Je ferai de mon mieux.

Il contourna la maison, trouva un vieux râteau, un balai, une corde.

Et il grimpa.

Le travail n’avait rien de glorieux.

Il glissait, se prenait des branches dans le visage, se retrouvait avec des feuilles pleines les cheveux. Mais étrangement, il ne détestait pas ça.

Ce n’était pas un combat à mort.

Ce n’était pas une épreuve imposée par des entités divines.

C’était un toit.

Des feuilles.

Une récompense simple.

Cinq pèces de bronze qu’il gagna après deux heures d’effort et un remerciement sincère de la vieille dame.

Il rangea ses affaires, salua, et descendit dans les rues avec l'argent en poche.

Pour la première fois depuis longtemps…

Il se sentait vivant.

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