Chapitre 40 - Une bouffée d'air
Le quartier est de Lithoria s’étendait en pentes douces, bercé par la lumière d’un soleil déjà haut dans le ciel. Les toitures ocres scintillaient sous les rayons, et l’air était chargé de cette chaleur tranquille qu’on ne trouve que dans les après-midis paisibles, quand le monde ralentit pour respirer.
Grey avait terminé sa tâche plus rapidement qu’il ne l’avait prévu.
Son corps, pourtant encore marqué par les combats, avait agi par automatisme. Ramasser, balayer, stabiliser sa position. C’était presque relaxant, après tout ce qu’il avait vécu.
Et maintenant, il marchait sans but, les mains dans les poches, ses bottes frappant doucement les pavés.
Le quartier était calme, majoritairement résidentiel. Il croisa quelques artisans nettoyant leurs devantures, une femme battant un tapis sur son balcon, un gamin assis en tailleur sur les marches d’un porche, dessinant dans un carnet à la couverture cornée.
Grey ralentit pour jeter un coup d’œil discret au dessin : une sorte de bête ailée, majestueuse, traçant une courbe dans le ciel. Le crayon tremblait légèrement dans la main de l’enfant, mais la forme était claire. Le garçon leva les yeux et croisa brièvement ceux de Grey.
Ils se regardèrent un instant.
Puis, sans un mot, Grey lui fit un signe de tête, presque imperceptible, et reprit son chemin.
Un peu plus loin, il rejoignit une rue plus animée, bordée de petites échoppes.
Son ventre gronda.
Il fouilla dans sa bourse.
Cinq pièces de bronze.
Ce n’était pas grand-chose. Mais c’était suffisant pour s’offrir quelque chose de simple.
Il s’arrêta devant un étal qui diffusait une odeur irrésistible. Une vieille femme au tablier de cuir et aux bras robustes y faisait griller des morceaux de viande épicée sur des brochettes, tandis qu’un jeune garçon versait de la sauce sur de petits pains garnis de légumes rôtis.
— Une brochette et un pain, demanda Grey.
— Un bronze pour la brochette, deux pour le pain, dit la femme sans même le regarder.
Il tendit les pièces.
Le garçon lui tendit la nourriture encore chaude, et Grey le remercia d’un léger hochement de tête.
Il s’éloigna avec son maigre butin et parcourut encore quelques rues jusqu’à atteindre un espace ouvert, un petit parc en hauteur. Quelques bancs y étaient installés, et un muret délimitait la place, donnant vue sur une large portion de la ville.
Grey s’assit, lentement, comme si le bois du banc allait refuser son poids.
Devant lui, Lithoria s’étendait en lignes ondulantes de toits et de rues, jusqu’aux murailles lointaines qui se dressaient contre le ciel. On pouvait voir le quartier militaire, son architecture stricte, presque martiale. La haute flèche de la Cathédrale de la Lueur Divine perçait l’horizon, entourée de volutes de brume. Plus au nord, les faubourgs se perdaient dans une mer de vert pâle, marquant la frontière avec l’extérieur.
C’était beau.
Pas parfait.
Mais vivant.
Il mordit dans sa brochette.
La viande était grasse, un peu trop salée, mais délicieuse.
Il prit son temps pour savourer chaque bouchée, regardant les oiseaux voler au-dessus des toits, écoutant les bruits de la ville qui montaient jusqu’à lui. Des cris d’enfants. Le martèlement des sabots sur les pavés. Le son d’une cloche lointaine.
Il laissa sa tête retomber en arrière, observant le ciel.
Le bleu profond. Les nuages paresseux.
Et il soupira.
Pas d’ennemi à frapper. Pas de monstres. Pas de cris.
Juste… le monde.
Il resta là un long moment, mangeant doucement, puis finissant son pain. Ses muscles se relâchèrent. Pour la première fois depuis… il ne savait même plus quand… il ne se sentait ni menacé, ni sur le qui-vive.
Une paix étrange, presque irréelle.
Mais il savait aussi…
Ça ne durerait pas.
Pas pour lui.
Pas pour un Marqué.
Il baissa les yeux vers sa main droite. La marque contenant l'épée y était encore, discrète, mais présente. Et à sa taille, le Livre des Runes du Royaume Figé reposait, silencieux.
Il n’était pas un citoyen de ce monde.
Pas vraiment.
Il était un invité.
Ou un outil.
Grey ne savait pas encore.
Il se redressa lentement, jetant un dernier regard à la ville.
— Une belle journée, souffla-t-il.
Puis il descendit du banc, réajusta sa veste, et reprit son chemin vers la guilde des aventuriers. Le soir viendrait vite. Et demain, il devrait commencer à penser plus sérieusement à ce qu’il allait faire.
Trouver une autre mission.
Comprendre ce livre.
Préparer la suite.
Parce qu’il le savait.
La paix n’était qu’une parenthèse.
Et tôt ou tard…
Le destin allait frapper à nouveau.
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