Chapitre 43 - Un Choix

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Deux mois.

Soixante jours à parcourir les rues de Lithoria.

À répondre à des quêtes qu’aucun autre aventurier ne voulait. À nettoyer des puits, à livrer des colis, à retrouver des chats fugueurs ou à réparer les toitures effondrées des maisons les plus vieilles du quartier est.

Et pourtant, Grey ne s’en plaignait pas.

Il n’avait jamais été du genre à chercher la gloire. Pas dans son monde. Pas ici. L’essentiel, c’était de continuer à marcher. De vivre. De tenir.

Et, jour après jour, il s’était taillé une place.

Ce n’était pas grand-chose. Les aventuriers les plus bruyants le prenaient à peine au sérieux. Les Marqués les plus ambitieux ne voyaient en lui qu’un survivant chanceux, un silencieux bizarre avec ses gantelets et ses regards perdus.

Mais les anciens du quartier ? Les marchands des ruelles secondaires ? Les enfants curieux aux pieds sales ?

Eux l’aimaient bien.

Parce qu’il disait bonjour.

Parce qu’il réparait une charrette sans être payé.

Parce qu’il aidait à porter des charges lourdes aux personnes âgées qui ne demandaient rien à personne.

Et même si son regard restait dur, même si ses gestes étaient brusques, ils sentaient… qu’il n’était pas un mauvais gars.

Alors les salutations devinrent régulières.

Les sourires, fréquents.

Et quand Grey traversait un marché, quelqu’un lui tendait toujours un fruit.

Juste comme ça.

Il refusait presque toujours. Mais parfois, il acceptait.

Juste pour voir le sourire satisfait de celui ou celle qui avait voulu lui faire plaisir.

Son équipement avait changé, lui aussi.

Il avait troqué sa vieille tunique contre un ensemble de cuir noir rudimentaire, acheté pièce par pièce à bas prix chez un artisan de quartier. Rien d’élégant, rien de magique. Mais robuste, solide, fonctionnel.

Et surtout…

Il l’avait gravé de ses propres mains.

Chaque couture, chaque renfort, était marqué d’une fine ligne de runes gravées au couteau, imbibées de sa propre énergie.

C’était du travail lent. Méticuleux. Mais efficace.

Maintenant, lorsqu’il le souhaitait, il pouvait imprégner ses gants, ses bottes, ses armes – tout ce qu’il touchait – d’une foudre jaune qui ne cessait de se renforcer avec l’usage.

Un courant rugissant, contrôlé comme une extension de lui-même.

Et lorsqu’il courait à pleine vitesse, que ses bottes traçaient des éclairs dans la terre, il se sentait presque libre.

Une mission récente l’avait mené à la lisière des forêts nord-est, près des collines de Brumegrise, où quelques villages s’étaient plaints d’apparitions brutales.

Des ogres.

Pas des créatures organisées. Juste des solitaires faméliques, repoussés par les conflits plus au nord et venus chercher de quoi se nourrir.

Grey les avait trouvés.

Ou plutôt… ils l’avaient trouvé.

Mais cette fois, ce ne fut pas un combat désespéré.

Ce fut une démonstration.

Il ne hurla pas.

Il ne réfléchit pas.

Il bondit entre eux comme un éclair tombé du ciel, esquivant leurs attaques maladroites avec la souplesse d’un félin affamé.

Ses bottes martelaient le sol dans un éclat jaune.

Ses mains frappaient avec précision, de la paume à la gorge, du coude au plexus.

À chaque impact, une décharge foudroyait les ogres, leurs muscles se contractant dans un spasme incontrôlé.

Un ogre tenta de l’écraser d’un coup de masse.

Grey roula sur le côté, sauta sur son épaule et enfonça son poing électrifié dans sa nuque.

Le géant s’effondra, inerte.

Il se redressa, essoufflé mais calme, couvert de sang noir, ses yeux brillants dans la pénombre des sous-bois.

Ce combat-là… n’avait pas été un supplice.

C’était devenu une routine sanglante. Une forme de danse. Brutale. Nécessaire.

Mais maîtrisée.

De retour à la ville, assis sur le bord d’un toit, ses jambes pendant dans le vide, Grey fixait l’horizon.

Au loin, derrière les collines, le Nord l’appelait.

Il avait entendu les discussions des aventuriers, les rumeurs qui circulaient. Les tensions s’aggravaient. Des cités fortifiées rassemblaient leurs forces. Des mercenaires partaient en caravane pour rejoindre les lignes de front.

Des Scénarios s’étaient déclenchés, là-bas. Plusieurs.

Il savait ce que ça signifiait.

Des opportunités.

Du danger.

Et surtout… une chance de comprendre un peu plus ce que les Arcanes attendaient de lui. De s’élever encore. D’évoluer.

Mais il hésitait.

Lithoria était devenue une ancre, un point de calme dans le chaos de sa vie.

Ici, il n’était pas en guerre.

Pas encore.

Et il ne savait pas s’il était prêt à replonger dans l’horreur.

Pas tout de suite.

Mais son cœur battait plus fort à chaque fois qu’il y pensait.

Un soir, alors qu’il traversait le quartier ouvrier, une vieille dame qu’il avait aidée autrefois le héla :

— Grey ! Toujours à faire des quêtes ? Tu comptes rester encore longtemps par ici ?

Il s’arrêta.

Réfléchit.

Puis sourit.

— Je ne sais pas. Peut-être.

Elle le fixa un instant, puis hocha la tête.

— Tu as de bonnes jambes. Des bonnes mains aussi. Mais n’attends pas que le monde vienne te chercher. Va le chercher, gamin.

Il la remercia d’un signe de tête.

Et cette nuit-là, pour la première fois depuis longtemps…

Il prépara son sac.

Peut-être que le Nord l’attendait vraiment.

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