Comment faire d'un contrat deux âmes damnées
Les deux collégiennes fixent le tableau affichant les résultats. Elles ont toutes deux une chevelure sombre comme le jais. Pourtant, elles ne sont pas sœurs. Elles sont meilleures amies. Enfin. . . Elles font semblant de l'être encore. Celle aux cheveux coupés au carré lance un regard en coin à sa camarade. Un regard plein de ressentiment envers celle qui l'a dépassée dans le classement. Elle devrait pourtant être contente d'être en seconde position, mais elle ne supporte pas l'idée que quelqu'un fasse mieux qu'elle. Même si c'est sa meilleure amie. Enfin. . . Celle qui est censée l'être.
Celle-ci, dont les cheveux noirs sont agrémentés de fausses mèches violettes, regarde aussi du coin de l'oeil sa camarade de classe. Elle arbore un sourire triomphant. Elle la nargue en silence. Elle n'avait pas avalé d'être reléguée à la seconde place lors des derniers examens. Elle tient enfin sa revanche et un sentiment de satisfaction l'envahit. Pourtant, son bonheur n'est pas complet, car elle sait qu'elle sera toujours menacée avec une collégienne aussi douée dans les parages. Elle peut à tout moment être à nouveau dépassée et elle ne supporte pas cette idée.
Ces deux adolescentes sont passées de meilleures amies à rivales. Des rivales prêtes à tout pour écraser leur concurrente.
Voilà une offre à ne pas louper, quand on est assistante du Diable.
Je les suis donc en toute discrétion, à la sortie des cours. Elles marchent côte à côte, comme elles ont l'habitude de le faire depuis leur plus tendre enfance, mais le cœur n'y est plus depuis longtemps. Depuis qu'elles ont compris l'obstacle, le danger, qu'elles représentent l'une pour l'autre.
La gagnante du jour nargue sa concurrente en lui parlant avec bonne humeur de sa joie d'être arrivée première au classement. La vaincue l'écoute en fulminant en silence, poings et dents serrés. Elle est rouge de colère.
Quand, enfin, elles arrivent devant la maison de la fille aux yeux bleus, celle-ci lui chantonne :
- Au revoir !
Je laisse l'adolescente aux yeux noisette poursuivre son chemin en ravalant sa rage et lance à celle qui s'apprête à refermer la porte :
- Elle est sacrément gênante, tu ne trouves pas ?
- Hein ? ! fait-elle en se retournant en sursaut.
- Si elle n'était pas là, tu n'aurais jamais à craindre de ne pas avoir les meilleures notes.
- Euh. . . Oui, mais. . .
- Tu aimerais bien qu'elle disparaisse de ta vie ? lui demandé-je avec un sourire tentateur en faisant un pas en avant.
- Hein ? ! Ça va pas ? ! C'est ma meilleure amie !
- Oh. . . Laisse à d'autres ce genre de mensonges, rétorqué-je en me penchant pour la regarder d'au-dessous. C'était ta meilleure amie, mais elle ne l'est plus depuis longtemps. Vos études et et vos ambitions se sont interposées entre vous et ont brisé votre amitié. N'aie pas cette tête de coupable. Tu as parfaitement raison de mettre tes notes au-dessus d'elle dans ta liste de priorités. Tes résultats ne te trahiront jamais. Ils t'aideront à entrer dans de bonnes écoles, trouver un bon métier et construire un avenir stable et heureux. Elle, en revanche, te trahira à chaque fois que ça l'arrangera. Tu as vu comme elle est jalouse de tes résultats, non ?
- Oui. Vous avez raison, mais comment faire pour. . . ?
- Je m'occupe de tout, la rassuré-je en me retournant. Laisse-moi régler un dernier détail et je reviendrai vers toi, d'accord ?
- Euh. . . D'accord, mais qui êtes-vous ?
- Eh bien, disons que je suis l'assistante personnelle du plus grand homme d'affaires de tous les temps ! répondé-je en tournant la tête dans sa direction avec un large sourire et des yeux étincelants de malice et de fierté.
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- Je n'arrive pas à le croire ! Cette sale prétentieuse s'est ouvertement moquée de moi ! Comme si ça ne suffisait pas de m'avoir volé ma place au classement ! Pourquoi suis-je encore son amie, bon sang ? !
- Parce que tu es encore son amie ? lui demandé-je, provoquant un nouveau sursaut de surprise.
- Hein ? ! Vous êtes qui, vous ? Et. . . Qu'est-ce que vous me voulez ?
- Je veux juste t'aider à réaliser ton plus grand souhait.
- Un souhait ? Quel souhait ?
- Ça, c'est à toi de le le dire, répondé-je en lui tournant autour comme un fauve autour de sa proie. Cependant, je crois deviner que rien ne te ferait plus plaisir que la disparition de cette fille qui s'est ouvertement moquée de toi. . .
- Oh ! Euh. . . Je. . . C'est vrai que. . . Enfin. . . Ce que je veux dire, c'est qu'on était très proches depuis notre rencontre en maternelle, mais depuis quelques temps. . . C'est vrai qu'elle est de plus en plus embêtante. Je ne supporte plus sa concurrence et la façon dont elle me nargue à chaque fois qu'elle l'emporte sur moi ! C'est de sa faute si je ne veux plus être son amie ! Elle l'a cherché !
- Tu veux que je te dise ? Je me fiche totalement de tes justifications. Garde-les pour les autres. Je ne suis pas là pour te juger, contrairement à eux. Tout ce que je veux de toi. . . Tu le sauras demain.
Sur ces mots, je disparais dans un tourbillon de flammes, sans lui laisser le temps de rétorquer quoi que ce soit.
*
Le lendemain, alors que les deux filles marchent encore côte à côte sur le chemin du retour, j'apparais subitement devant elles en leur lançant sans ménagement :
- Il faut vraiment arrêter de faire semblant. Ça ne vous mènera nulle part. Pour régler un problème, il faut l'affronter sans tarder.
- Encore vous ? ! s'exclament-elles en coeur.
- Oui. Nous savons toutes qu'aucune de vous deux ne supporte l'autre et que votre amitié est finie depuis bien longtemps. Vous êtes persuadées que tout irait mieux si l'autre pouvait disparaître de votre vie. Aussi, voilà ce que je vous propose : je vais exaucer votre vœux et vous débarrasser l'une de l'autre. En échange, tout ce que j'exige de vous sont vos âmes.
- Hein ? ! Nos âmes ?
- C'est tout à fait exact. C'est la seule chose qui m'intéresse. Vu votre jeune âge, vous êtes incapables de me payer autrement, de toute façon.
- Mais. . . Ça veut dire qu'on va mourir. . . raisonne l'adolescente aux mèches violettes.
- Bien sûr que non ! Ce ne serait pas drôle, sinon. . .
- Alors, comment. . . ?
- Bien, je comprends, dis-je en haussant les épaules. Moi qui pensais que ce vœu vous tenait à coeur. . .
Puis je fais mine de partir.
- Attendez ! m'arrêtent-elles.
Je me retourne avec un sourire triomphant. Les deux filles échangent un regard, puis celle à la coupe au carré déclare :
- Nous acceptons votre proposition.
Mon sourire s'élargit. Les adultes qui ne sont pas dans le désespoir le plus profond sont difficiles à avoir, car ils sont prudents et raisonnables, mais les enfants et les adolescents. . . Ce sont des proies faciles. Quelques belles paroles allant dans leur sens suffisent à les convaincre.
- Bien, à la bonne heure ! Tout ce qu'il faut faire est signer ce contrat.
Je leur tends le document, puis prends la main de la fille aux yeux bleus pour la blesser avec la plume. Elle retient un cri de douleur, pendant que je leur explique :
- C'est nécessaire que le contrat soit signé avec votre sang. Autrement, il ne peut être exécuté.
- Vous êtes sataniste ou membre d'une secte ? m'interroge sa camarade.
- Hum. . . Je n'avais encore jamais réfléchi à mon orientation spirituelle et religieuse, mais oui. . . On peut dire que je suis sataniste, maintenant, ou du moins, quelque chose qui s'en rapproche. Quoiqu'il en soit, c'est à ton tour de signer.
Elle se blesse elle-même et appose à son tour sa signature. Je m'empare ensuite de la plume et, pendant que j'inscris mon nom sur le papier, les paroles de Lucifer me reviennent en mémoire :
"Tous les contrats que tu signeras avec ton propre sang seront désormais considérés comme valides et donc exécutés."
Je reprends le parchemin et le range en saluant les deux collégiennes :
- Merci pour votre confiance et à bientôt. . .
- Euh. . . De rien, répond celle aux yeux noisette.
- Je crois que c'est plutôt à nous de vous remercier. Au revoir.
Elles me contournent pour poursuivre leur chemin.
- . . . En Enfer, finis-je dans un murmure.
Au même moment, un camion s'arrête sur le passage piéton qu'elles comptaient traverser. Je n'ai pas choisi cette rue par hasard. C'est la moins fréquentée de leur trajet. Hormis moi, personne ne voit donc les deux hommes masqués descendre du véhicule pour aborder les jeunes filles. Celle aux cheveux courts recule prudemment. Ils ne s'en soucient pas. Ce n'est pas elle qui les intéresse. Contrairement à son ex-meilleure amie, elle a un physique plutôt quelconque. Cependant, cette dernière, mal à l'aise, tente de s'enfuir aussi. Les deux hommes la rattrapent en un mouvement et lui couvrent la bouche pour l'empêcher de crier. L'autre, prise de panique, tente malgré tout de venir en aide à sa camarade :
- Hé ! Ça suffit ! Lâch. . . commence-t-elle en avançant vers eux pour les empêcher de l'emmener en saisissant son bras.
Un puissant coup de poing la fait taire sur le champ. Elle tombe plusieurs mètres plus loin. Le béton commence lentement à recueillir son sang. Inconsciente, elle ne voit pas les criminels emmener de force sa rivale dans leur camion et ce dernier démarrer.
Je souris. La disparition fera la une des médias le lendemain, comme celles de tous les mineurs. La famille et les voisins, aidés de la police, chercheront pendant des semaines, mais personne ne retrouvera jamais cette jeune fille. Personne ne saura ce qu'il est advenu d'elle. Personne n'aura conscience de la souffrance qu'elle subira jusqu'à son dernier soupir. Pas même celle qui a assisté à son enlèvement. Elle a définitivement disparu de la vie de cette dernière, mais ça ne lui permettra pas de finir première à tous les prochains examens comme elle le pensait. L'impact de sa tête contre le poing de son agresseur, puis contre le sol, ont été trop violents, alors ne parlons même pas du choc émotionnel. Son cerveau ne s'en sortira pas indemne. Elle est mentalement marquée et blessée à jamais.
J'ai récolté deux âmes et toutes leurs souffrances, sans compter les tourments de leurs proches, en un seul contrat et ce dès mon second jour de travail en autonomie. Lucifer sera certainement surpris et fier de moi. Peut-être même un peu admiratif. . .
Ce qui est sûr, c'est qu'il se délectera de ces âmes damnées et de tous leurs malheurs, ainsi que de la détresse de leur entourage, et je les savourerai avec lui. À vrai dire, rien qu'en pensant au nombre de personnes que j'ai fait souffrir en un seul contrat, je sens un sentiment d'euphorie me gagner. Je tiens enfin ma revanche ! Plus que quelques milliards d'êtres humains à faire plonger dans le désespoir et j'en aurai fini. . .
Je rejette la tête en arrière pour éclater d'un rire sinistre. J'aurais ri pendant encore longtemps, si une vive douleur au crâne ne m'avait pas brutalement interrompue. Elle s'accompagne d'un flash blanc, puis, le noir complet. . .
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