Un éclair jaillit, illuminant le sous-sol pendant une fraction de seconde. Ce court instant me suffit pour constater que la croix est désormais à l'envers. . .

- Que les bougies soient rallumées sur le champ ! s'exclame le chef de la secte.

J'entends les bruits de pas précipités de ses subordonnés et leurs respirations agitées. Certains se mettent à réciter des prières d'une voix tremblante. Tous ces sons sont régulièrement recouverts par le bruit fracassant du tonnerre.

Quand un second éclair apparaît, je distingue une silhouette féline au sommet de l'autel, à l'endroit même où se trouvait la Bible, qui gît désormais sur le sol, victime des violents souffles du vent. Quand l'obscurité revient, seul son regard brille d'une lueur écarlate au milieu du noir. Elle effectue un élégant bond et descend les marches une à une, d'un pas grâcieux se révélant à chaque fois que l'éclair illumine la salle. Elle ne s'arrête qu'une fois arrivée à mes pieds, dépassant facilement le cercle de sel qui s'est éparpillé avec le vent. Elle s'assied ensuite tranquillement et plonge son regard rouge dans le mien. Mes yeux verts s'écarquillent : ce chat. . . Je le reconnais. . .

Le chef de la secte remarque aussi l'animal, car il s'exclame :

- Un chat noir ? C'est certainement son maître ou l'un de ses semblables qui vient à sa rescousse ! Il faut l'empêcher de. . . commence-t-il en avançant vers ce dernier, le fouet en l'air.

Un nouvel éclair me permet de distinguer le sourire se dessinant sur le visage du félin. Mon bourreau est aussitôt projeté contre le mur avec une violence phénoménale ! Tous ses subordonnés, qui tentaient avec peine de rallumer les bougies, se figent. Le silence s'empare à nouveau des lieux, si ce n'est le bruit du vent et du tonnerre, l'orage continuant à faire rage, dehors.

Le chat se remet sur ses pattes et tourne lentement les talons pour se diriger vers sa victime. Pendant qu'il marche, son corps grandit et se redresse, ses poils se changent en tissu, peau ou cheveux, selon les endroits, et son museau s'allonge. Seule la couleur sanglante de ses iris persiste. Lucifer se penche alors sur le chef de la secte pour le soulever par le cou. Ce faisant, il fait glisser la capuche rouge de l'individu, révélant une longue chevelure sombre. Les traits fins de son visage ne laissent plus de doute : il s'agit bien d'une femme et quelque chose en elle m'est familier. . .

- Intéressant. . . commente simplement mon patron en jetant un coup d'oeil au masque brisé gisant sur le sol. Les humains sont de plus en plus ingénieux pour inventer des gadgets leur permettant de tout modifier dans leur nature. . . mais ils sont loin de nous égaler, nous, les démons. . . surtout moi.

- Retire tes sales pattes de moi, ennemi de Dieu ! s'écrie-t-elle d'une voix étranglée.

Elle rouvre la bouche, sans doute pour réciter quelque parole censée la protéger, mais Lucifer ne lui en laisse pas le temps : il resserre son emprise sur sa gorge et elle ne peut lâcher qu'un gémissement étouffé.

- Je vais vous faire regretter d'avoir osé toucher à mon assistante personnelle, lui annonce-t-il d'une voix froide et menaçante. Je suis le seul autorisé à torturer mes employés. . .

Le teint de la femme commence à virer au violet. En le remarquant, le démon la lâche, à mon plus grand étonnement. Notre ennemie semble toute aussi surprise, car une fois qu'elle finit de tousser, elle prend de grandes inspirations en lançant un regard d'incompréhension à son agresseur. Ce dernier lui dit avec un sourire sadique :

- Tu pensais que j'allais te tuer ou tout du moins te faire rejoindre ton frangin adoré à l'hôpital ? Tu deviendrais une martyr, si je le faisais, ce qui serait un grand honneur pour toi, n'est-ce pas ? Il est hors de question que je t'accorde ce plaisir. . . Je veux te faire souffir, t'humilier, comme tu l'as fait pour ma précieuse assistante.

Il prend une petite pause pour se pencher vers elle et la saisir par le col, afin de la forcer à le regarder dans le blanc de l'oeil. Elle tente de détourner la tête et même de se dégager, visiblement dégoûtée par une telle proximité avec lui, mais il est bien plus puissant qu'elle et poursuit :

- Quelle pire humiliation pour vous que de vous retrouver condamnés par votre propre Église ? Quelle plus grande souffrance que de vous faire excommunier et donc priver de votre plus grand rêve et objectif : le Paradis ? Nous savons tous deux que l'Église catholique cherche à se débarasser des fanatiques comme vous qui entachent sa réputation.

Le regard de la femme s'écarquille d'horreur et elle se débat violemment en hurlant :

- Je ne vous laisserai pas faire ! Votre maudite assistante a déjà égaré l'âme de mon frère, je ne vous laisserai pas condamner la mienne aussi !

- Ha ha ha ha ha ! s'exclame Lucifer en rejetant la tête en arrière. Mais qui te laisse le choix ?

Sur ces mots, il resserre son emprise sur la gorge de la fanatique, qui continue de lutter de toutes ses forces, jusqu'à ce que le manque d'oxygène lui fasse perdre conscience. Il la laisse alors tomber sur le sol et se redresse en déclarant :

- Je compte sur toi pour assurer que la livraison arrive à bon port, Tsad.

- Bien entendu, Monseigneur, me fait sursauter une voix dans mon dos.

Quelques bruits de pas m'indiquent que le majordome avance dans notre direction. Je tourne donc la tête sur le côté pour le voir, mais celui que je découvre n'est pas du tout le vieux domestique à l'air chaleureux. À sa place apparaît un jeune homme de grande taille aux courts cheveux châtain. Seul son costume noir à queue de pie et ses gants blancs sont reconnaissables, car même son regard rouge est passé de chaleureux à froid, bien que fascinant.

- Tsad ? murmuré-je faiblement, ne parvenant pas à croire mes yeux. C'est. . . C'est vraiment toi ?

- Je suis ravi de vous revoir, mademoiselle, malgré ces tristes circonstances, et je vous prie de m'excuser pour la frayeur occasionnée, m'adresse-t-il d'une voix séduisante en plaçant sa main sur son coeur et en inclinant la tête.

Je reste bouche bée, ne parvenant toujours pas à croire que j'ai sous les yeux le majordome de Lucifer. Ce dernier s'approche de moi pour défaire mes liens. J'atterris aussitôt dans ses bras chauds et puissants, tandis que Tsad se dirige vers les membres de la secte, tous tombés dans l'inconscience.

- Te laisser seule a été une erreur, déclare calmement mon patron. Le monde est dangereux pour une simple humaine comme toi, dont je suis désormais responsable.

Je ne réponds rien. Mon dos, mes poignets et mes chevilles me brûlent, mais je n'ai même plus la force ne serait-ce que de gémir.

- Ne t'en fais pas, poursuit Lucifer en prenant mon visage entre ses mains pour unir nos fronts. Ces misérables créatures vont payer pour ce qu'ils t'ont fait. Tsad s'en assurera. Il a de l'expérience dans le domaine et est digne de confiance. Quant à moi, je saurai récompenser ta loyauté, tu verras.

- C'était donc toi depuis le début. . . murmuré-je dans un soupir inaudible en posant mes mains sur ses joues.

Les ténèbres et le silence s'emparent ensuite de moi.