Vendredi 16 Août 2024

2 minutes de lecture

 La soirée est bien avancée. Assis sur mon canapé, je lis le dernier roman de Velibor Colic "Guerre et pluie".

 Alors que j'avais adoré le précédent : "Le livre des départs", la rude ascension d'un migrant yougoslave en France, sa découverte à trente ans de la langue française qu'il fît sienne au point de la maîtriser et de devenir un écrivain reconnu par l'Académie Française, sa façon de jouer avec les mots, de les savourer comme des bonbons, de s'extasier devant "coquelicot", son ouvrage suivant me tombe des mains.

 Pourquoi suis-je soudain fâché avec ce facétieux poète soulographe ? La sobriété lui a-t-elle enlevé son talent, sa verve, son humour ? Je ne crois pas et pourtant. Peut-être suis-je fatigué par ma semaine de travail ? Ou bien sont-ce mes souvenirs, chargés d'émotions qui profitent de mon oisiveté pour refaire surface, comme des poissons d'aquarium appâtés par leur dose quotidienne de daphnies séchées ?!

 Velibor parle de sa maladie, mais égoïstement, je n'ai pas envie de l'écouter. Je le comprends pourtant, même quand il se réjouit d'être moins malade, de n'être que de passage dans l'hôpital où terminent les cancéreux. Accablé par cette misère qui englue les espérances de ces doubles de lui-même, il ne peut que tenter de respirer un peu en laissant son imagination l'emporter loin de la souffrance qui le cerne.

 Et pourtant, il cache bien pire, cette guerre qui a violé son enfance et décimé une partie des siens, exilé les autres. Il peine à la raconter cette guerre qu'il sait qu'il ne doit pas oublier, parce que seule la mémoire peut soulager les vivants à défaut de réparer les morts. Je sais l'importance et la justesse de ses propos, mais ce soir, lassé de toutes ces noirceurs, je glisse dans ma mémoire et me réjouis à mon tour d'être moins malade que lui.

 Mais doit-on comparer les peines ? J'ai mal de ma fille qui étouffe de sa dépression chronique, se bat pour écrire sa rage. Je souffre de son avenir incertain et du temps qui nous dérobera à elle, nous la cachant sans peut-être la guérir, éteignant notre espoir qui imite le sien, juste pour lui tenir compagnie. Ma fille et son cœur lourd d'Amour, qu'elle porte comme un paquet encombrant sans personne avec qui partager son fardeau.

 Je pense à mon fils à sa bonté savante de philosophe, à son bel amour partagé, à l'émotion qu'il vît de pouvoir transmettre son savoir, à sa force fragile, à son parcours futur dans un monde difficile, inconstant, qui pourrait le combler et le mordre tout à la fois. Vivre est un acte de foi dans un univers sans Dieu.

 Écrire fait du bien. Noircir des pages ne guérit pas mais range pour un temps nos angoisses sur des étagères.

Comme le dit Velibor ou celui qu'il cite : "Le bonheur est parfois juste l'absence de malheur".

C'est déjà ça de pris.

Je respire mieux à présent. Je peux poser mon stylo.

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