Pour moi, mon père était Dieu
Pour moi, mon père était Dieu. J'étais si petit. Il était si grand, si fort. Il n'était pas Dieu à proprement parler, bien sûr, j'avais appris mon catéchisme. Dieu habitait dans le ciel et nous étions sur la terre. Mais il possédait à mes yeux sa force et son caractère inaccessible.
Je ne me souviens pas de moment partagé où je me sentis aimé et rassuré. Avec lui, j'étais irrémédiablement moi et rien d'autre. Un enfant un peu fragile, naïf. Je me sentais jugé et je n'étais pas à la hauteur de ses attentes. Il faut dire, pour être juste, que des attentes à mon égard, il n'en avait aucune. J'étais arrivé par hasard, il n'avait que 18 ans et n'était pas prêt.
Je me demande s'il le fût jamais. Les enfants ce furent ses femmes qui les lui réclamèrent. Il les considéraient comme la conséquence d'une vie de couple. Ma soeur et moi, fûmes en quelque sorte, les dégâts collatéraux de sa relation avec notre mère.
Il m'avouera bien plus tard qu'en me découvrant à la clinique, il éprouva un sentiment de rejet. Je ressemblais à son beau-père qu'il détestait. Mon père était bel homme, grand, costaud, les cheveux et les yeux clairs. Je naquis brun aux yeux marrons. Je ne n'avais rien pour être détesté, c'est lui qui ne savait pas aimer, je ne le comprend que maintenant. A cette époque j'étais le problème. Aujourd'hui, je réalise que s'il avait fallu changer une composante de l'équation, c'est lui qui ne collait pas et non cet enfant qu'il ne sut pas accueillir. Ma mère, délaissée, bientôt gravement malade, défigurée, ne fût plus pour lui qu'une erreur de jeunesse. Elle resta cloîtrée dans son malheur tout sa vie, incapable de faire le deuil de cet abandon elle qui l'avait été, dés la naissance, par son père et par sa mère.
"Je ne pouvais pas rester avec un monstre ! m'avoua-t-il bien plus tard." Quand je regarde ce que je sais de sa vie, je ne peux pas dire qu'il fût le géant que j'imaginais alors. Certes, il était mieux taillé pour ce monde que je ne le serais jamais. Il avait de l'entregent, cette capacité innée à séduire, charmer, comprendre l'autre. Il se mouvait avec facilité dans une société dont il comprenait les usages. Il est un peu tard pour m'en prendre à lui car, autant vous le dire, il n'est plus là pour se défendre. Mais je ne pus m'en ouvrir a lui de son vivant. Il n'aurait pas dû avoir d'enfant. Tous les hommes ne sont pas doués pour la paternité. On ne devrait pas s'obliger en la matière. Je comprend mieux, en écrivant ces lignes, mon demi-frère et ma demi-sœur qui lui demandèrent un jour de renoncer à sa paternité, afin qu'ils puissent être adoptés par leur beau-père. Je ne connu pas cet homme, mais il sut très certainement les aimer et les protéger.
Personne ne nous adopta ma soeur et moi. Notre mère resta seule. Elle pleurait lorsqu'elle entendait une chanson qui lui rappelait ces quelques années de bonheur perdues. J'en viens à douter de la réalité de cette période bienheureuse. N'ayant que nous, elle nous aima de tout son être. Elle nous sauva de ce naufrage en nous couvant à l'abri de ses ailes d'ange tombé du ciel. Ma sœur s'échappa rapidement de ce mausolée d'amour de chagrin et de solitude. Je restais croyant la protéger, au lieu de prendre mon envol. Ah Maman, je me suis éloigné de toi, pour ne pas sombrer à mon tour. T'ai-je trahie ? Il le fallait bien. Je ne pouvais pas demeurer éternellement à tes côtés. Il fallu bien que j'aille un jour affronter le dehors dont tu m'avais si farouchement protégé. Si mon père ne fût pas Dieu, je souhaite que tu sois bénie, toi l'aimante, la fragile, la naïve. Sache que ton Amour vit toujours en moi, toi qui fût mon seul parent. Aujourd'hui, j'ai une famille que je chérie comme mon bien le plus précieux. Je n'ai jamais été un Dieu pour personne, juste un homme.
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