Admirations
Je ne sais écrire que sans itinéraire. Le fil de ma pensée se déroule, des images me viennent que je m’efforce de mettre en mots, cherchant le plus juste, le trouvant parfois. J’écris comme je lis, en découvrant au fur et à mesure les personnages et leurs affaires.
Lecteur, je ne devine pas là où l’auteur me mène.
Je pressens que, contrairement au lecteur que je suis, l’auteur a pris grand soin de me dissimuler ses intentions afin de mieux me capturer, me mener là où il le veut, perdu sur le parking d’un motel ou dans une villa de bord de mer, la nuit. Mais je ne sais pas préparer. Je n’ai pas de malice !
Lorsque je ne lis pas, je sens un vide en moi, le manque du junky. La vie sans fiction m’ennuie, j’ai besoin de m’en repaître avant de retourner pour quelques heures, au quotidien. A lire Sagan, Désérable, Gary, Auster, Murakami je me grise de leur compagnie. Sagan et la vitesse, le jeu, la vie à quitte ou double ; Désérable et sa poésie ; Gary et la vie si forte, la filiation ; Auster et son obsession des coïncidences ; Murakami à la lisière du rêve, entre chien et loup.
Tous m’enivrent et m’intimident. Je ne les envie pas, pourquoi envier le génie ? Il faut l’admirer. A quoi servirait d’envier Shakespeare ? Il faut juste se réjouir qu’il ait survécu à la peste, à ses rivaux et à la pruderie élisabethaine. Jalouser ceux qu’on aime pas pour l’intérêt que le monde leur porte, passe encore, c’est pourtant une perte de temps, mais se fâcher du talent de Baudelaire ? A force de les aimer, de les admirer, les doigts hésitent sur le clavier. Que puis-je écrire qu’ils ne diraient mieux ? Qu’ils n’ont déjà dit ? L’amateur, éternel débutant, trébuchera en découvrant Pierre Lemaître ou Russel Banks mais l’émotion augmentera sa foi. Il voudra ressentir l’ivresse de produire à son tour une œuvre qui soit la sienne, même modeste.
Où placer le « je » dans l’écriture ? Je ne m’estime pas digne, capable, tout court. Quelle importance ? Qu’a à faire le « je » dans l’équation ? Il faut s’oublier, pour se redécouvrir. Ecrire c’est ouvrir les vannes de son esprit, sans jugement, laisser se raconter un être qu’on connait si mal, soi-même, et qui va nous surprendre car nous ne savons pas à l’avance ce qu’il va nous chuchoter, en confidence, et qu’il montrera enfin, fier de son audace, à quelques lecteurs lorsque le texte sera devenu assez fort à ses yeux, pour lui échapper.
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