Souvenirs en pente
Frédéric Beigbeder l'auteur d'un roman français, me parle souvent de Guétary, un village de la côte basque. Oui il me parle, parce que je le lis. Il a perdu la mémoire pour survivre à son enfance. Non pas qu’elle fut malheureuse mais parce que ce monde n’existe plus. Il s'est retiré dans son pays d'enfance, loin des nuits parisiennes et des rails de coke. Guétary serait l’unique souvenir d’enfance de cet amnésique à la nostalgie élégante. Je suis plus chanceux, touts comptes faits, avec ma pauvre mémoire à trous. Je peux y puiser quelques souvenirs dans mon épuisette. Quel était mon Guétary ?
A partir de sept ou huit ans j’ai habité rue du docteur Defossez à Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine. Une rue en pente sérieuse que je dévalais avec un karting en bois fabriqué à partir de vieux patins à roulettes et de planches de récup. Mes baskets me servaient de freins. Je manquais de passer sous les voitures lorsqu’elles sortaient du parking de l’immeuble. Il faut dire que le passage avait l’inconvénient de croiser ma piste d’envol !
Mon père parti, ma mère avait trouvé refuge dans ce HLM, un petit deux-pièces situé au premier étage. Elle nous couvait tendrement ma sœur Christine et moi. Le parc nous accueillait souvent avec ses pentes également. Nous les remontions sans effort pour les redescendre en roulades dans l’herbe. J’adorais grimper aux arbres et l’entrée du bas, à quelques centaines de mètres de l’école, nous offrait un immense terrain de jeu avec ses arbres, ses jardins et ses cachettes à l'infini. Nous y avons appris à faire du patin à roulettes avant que ceux-ci ne soient recyclés en karts. A l’époque c’étaient de simple modèles en fer chromés qui se réglaient en longueur et s’attachaient avec des lanières en cuir. Les petites roues noires ne permettaient pas d’aller bien vite, rien à voir avec les rollers en ligne qui n’avaient pas encore été inventés.
Il faut se figurer un monde sans smartphones ni ordinateurs personnels, une vie sans réseaux sociaux, ni internet. A cette époque, pour s’informer, il fallait lire les journaux, fréquenter des bibliothèques ou regarder la télévision. Voire mème, parler avec des gens. Je préparais mes exposés à la petite bibliothèque pour tous, située place du passage, après l’église, le commissariat et la mairie, où travaillait maman.
Le commissariat me rappelle des souvenirs. J’étais alors assez turbulent, joueur, enjoué mais naïf et innocent. Les policiers ont cependant débarqués deux fois à la maison. Une fois pour moi car je fréquentais un petit de mon âge, Henri. Henri était un peu "voyou" et pas très innocent, prometteur en tous cas de nouvelles aventures. Ce ne fût rien de très grave. La police n’avait pas apprécié notre virée au monoprix situé rue Dailly, juste en bas de la rue Desfossey. Je revenais du judo avec un grand sac en plastique blanc, contenant mon kimono. J’avais croisé Henri qui m’avait proposé d’aller dans le magasin. C’était un copain et j’avais acquiescé sans bien comprendre qu’est-ce qui pouvait bien l’y attirer. Nous allions peut-être acheter un paquet de bonbons ? Pas du tout. Il y était bien connu et le directeur ne l’appréciait pas beaucoup. Henri s’était enfuit en me poussant dans sa direction et l’homme m’avait alors attrapé et avait fouillé mon sac. N’y trouvant rien, il m’avait relâché. Le petit commissariat prévenu, j’avais eu le droit à un sermon, chez moi, devant ma mère et ma sœur. Je n’en avais pas voulu au copain.
La seconde fois, ce fut ma sœur alors bien petite, peut-être cinq ou six ans, qui en fit les frais. Près du square, se trouvait une très jolie maison à plusieurs étages, aux façades roses. Elle était abandonnée et nous aimions la visiter en quête de petits trésors et de frissons. Nous y accédions par le chemin qui descendait en serpentin vers le square. Il ne fallait pas suivre l’allée, juste parcourir quelques pas, enjamber la clôture, sauter de plusieurs mètres en contrebas sur l’immense matelas de feuilles mortes que les jardiniers entassaient là, grimper à nouveau en face par un raidillon et entrer dans le jardin en passant sous la clôture. Une délicieuse expédition et une aventure irrésistible. Christine passait peut-être par le square. Toujours est-il qu’elle aimait ramener une petite assiette ou un bibelot de ses expéditions. Maman, bonne comme le pain, n’y trouvait rien à redire, mais la police si, bien évidemment. Au tout début des années soixante-dix, nous apprîmes un gros mot de plus : le « pillage ». S’introduire dans une demeure abandonnée et en ramener un petit trésor représentait un crime grave. Il fallait bien que nous trouvions à nous amuser, sans jeux vidéo, ni ordinateurs ! Toujours est-il que la maison nous fut dés lors interdite.
Il me restait le tas de feuilles et les batailles de chevaliers, que je faisais parfois, armé d’un bâton et accompagné d’un frère imaginaire que j’appelais François. Je ne savais pas alors qu’un demi-frère du même nom, naîtrait l’année de mes vingt ans, dans le nouveau foyer de mon père. Notre père ne nous faisait plus l’honneur de sa présence et pourtant nous nous imaginions, en tous cas moi, qu’il reviendrait un jour. Notre pauvre appartement dans une ville à la fortune tapageuse, aurait dû me mettre la puce à l’oreille pourtant. D’une certaine façon son départ nous a déclassé dans notre propre ville. Nous habitions auparavant un ravissant trois-pieces, mais c’est une autre histoire.
Même si je rêvais beaucoup, je n’étais pas solitaire. Très proche de ma petite sœur avec laquelle je jouais souvent, j’avais beaucoup de bons copains. Nous jouions à être des cow-boys et des indiens dans la ville et au parc. Le père de Jocelyn Azières nous aidait à fabriquer nos fameux Karts en bois. Emmanuel Lycois, m’invitait à jouer chez lui, dans le luxueux appartement de ses parents. Nous faisions rouler nos billes sur la moquette de l’immense salon de cent mètres carrés, afin de dégommer les petits soldats adverses. Plus tard je fréquentais sa maison de maître à trois étages. Dans la rue se trouvait le club de tennis dont l’entrée, deux mille francs par an, rien que pour l’inscription, devait représenter plusieurs mois du salaire de ma mère. J’étais impressionné. Mal fagoté, rarement coiffé, je faisais pâle figure aux côté de mes amis fortunés. Ils n’ont jamais marqué de différence et je l’en leur sait gré.
Cette attitude détonnait de celle de quelques clodoaldiens. Le nom désignant les habitants de Saint-Cloud, fondé du temps des Mérovingiens par Saint-Clodoald, nous amusait beaucoup en ce temps-là. La condescendance de certains, je me souviens d'une adjointe au Maire, maman travaillait à la maire, son attitude me reste en mémoire et ce souvenir n’a rien d’agréable. Elle parlait à ma mère comme on fait ses bonnes œuvres. Il faut être bon avec les plus petits que soi. Avec le temps, le souvenir s’est fait plus léger. A l'époque, j'avais l’impression de n’être rien en face d’eux, d’appartenir à une condition inférieure par nature. Cette exposition à la bêtise m’a brûlé sans me donner un quelconque esprit de revanche. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet. Je veux juste souligner qu’un enfant entend et voit ces choses là et que les grands, les adultes qui me paraissaient immenses n’étaient rien que de grands enfants mal poussés pour se croire supérieurs par fortune et éducation.
A l’époque, notre télé ne possédait pas de télé-commande. Il fallait se lever pour changer de chaîne. Il faut dire qu’elles n’étaient pas nombreuses. Il n’y en avait que trois. Le soir, c’était bonne nuit les petits avec l’ours, Pimprenelle et le marchand de sable. Il passait au dessus de la ville. Peut-être dans une montgolfière, je ne me rappelle plus très bien et jetait du sable magique, qui avait la propriété d’endormir les enfants. Le manège enchanté avec ses diverses créatures dont le petite diable à ressorts, j’ai nommé zébulon, le bondissant. Aglaë et Sidonie, une oie et une cochonne, je ne sais plus ce qu’elles pouvaient bien nous raconter, et l’interlude entre les programmes, parce que les émissions n’étaient pas diffusées en continu à l’époque. Un petit train portant des rébus. Ah j’allais oublier : nous avions des extraits de dessins animés au moment de Noël, présentés par l’ami Pierre Tchernia, connu de tous les enfants. Voilà tout !
Je ne me souviens pas de m’être ennuyé pourtant. J’avais toujours une occupation, avec mes pistolets lanceurs de fléchettes à embouts en caoutchouc et mes petits cyclistes. Mes super-héros, je les fabriquais avec un morceau de tissu blanc, du fil et une aiguille empruntés à maman et quelques feutres. La télé, j’y reviens, était en noir et blanc. J’ai ce souvenir un peu déceptif du passage d’une chaîne à la couleur. Il y eut un compte à rebours et lorsqu’il arriva à zéro, notre vieille télé resta en noir et blanc, bien évidemment. Nous le savions mais nous étions prêts à accepter tous les miracles. Il faut se laisser surprendre, avec un peu de patience, l’inattendu fini par survenir.
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