La clé
Quand on m’annonça la mort de Claude, ce fut évidemment très douloureux. Je pleurais tous les jours, ne supportais plus de dormir dans notre lit ni de penser à la suite. Mes filles s’inquiétaient pour moi et me laissaient rarement seule. Je ne parlais pas, un peu parce que j’avais peur de révéler ma joie. Une toute petite joie de rien du tout, hein. La mort de mon mari ne me faisait pas plaisir, mais elle avait un avantage. Un avantage auquel je ne cessais de penser.
Quand mes filles me sentirent capables de me débrouiller seule à nouveau, je frémis. Enfin, je pouvais en profiter : Claude parti, je pourrais ouvrir son coffret. C’était une petite boite en bois, aux coins et à la serrure cuivrée. Il l’avait depuis toujours, enfin depuis que je connaissais. Parfois, il l’ouvrait et regardait son contenu lorsqu’il était seul dans la chambre. À mon arrivée, il claquait le couvercle et le refermait à clé. Je m’étais toujours demandé ce qu’il pouvait y avoir là-dedans de si secret et si important pour lui.
J’ouvris les portes de la penderie et me baissai pour l’attraper. Elle était exactement comme je la fantasmais depuis une semaine. Je la posai sur la table de chevet et remarquai que la clé n’était pas dans la serrure. J’ouvris le tiroir de la table : seulement des mouchoirs sales et un vieux polar. Je fouillai la penderie : rien par terre ni dans les poches de sa veste. C’était bien embêtant. Je n’avais aucune envie d’attendre d’avoir retourné la maison pour découvrir ce que le coffret cachait même si j’avais bien sûr déjà des idées. J’avais toujours pensé qu’il y rangeait des souvenirs d’enfance. Il ne parlait que peu de sa famille et je sentais qu’il préférait garder pour lui ces moments, ceux qui avaient été heureux et ceux qui l’avaient moins été.
J’abandonnai la pièce et partis à l’assaut de la cuisine. Il y passait des heures et s’en servir de cachette aurait été bien pratique. D’autant plus que je n’y mettais presque jamais les pieds. J’imaginais bien la clé coincée tout au fond du placard du bas, là où s’entassaient les casseroles et les tupperwares. Si ce n’était pas là, peut-être aurais -je plus de chance dans le tiroir à couverts, c’était toujours le bazar à l’intérieur. Je ne trouvai rien non plus mais ne désespérai pas. Que pouvait-il mettre autant d’efforts à cacher ? J’espérais que ça n’était pas des lettres d’amour. Je ne lui en avais jamais écrites.
Je montai au grenier. Il n’y a pas plus secret comme endroit. Je repoussai les acariens et les boites en carton à la recherche du précieux sésame. La serrure n’était pas bien grande et la clé surement pas plus. J’étais un peu en colère, c’est vrai. Il me connaissait de fond en comble, il savait que je mourais de curiosité de savoir ce que contenait son coffret. Je lui avais dit bien des fois. Et, pourtant, il continuait à m’en barrer l’accès. Qu’il ait honte, peur de me l’ouvrir de son vivant, je pouvais le comprendre mais une fois six pieds sous terre, que pouvait-il bien craindre ? Je l’imaginais noircir les pages d’un journal intime de ces pensées les plus sombres, d’horreurs sur mon compte. Non, ce n’était certainement pas ça. Il détestait l’introspection et s’il voulait me dire quelque chose, il le faisait. Mais peut-être écrivait-il un roman. Il le rédigeait sur un petit carnet qu’il dissimulait tant que son œuvre n’était pas terminée. Un très long processus d’écriture…
Je ne voyais plus où chercher, j’avais exploré chaque recoin de la pièce. À moins que… J’avais vu dans les films les personnages cacher ci ou ça sous une latte du plancher, il avait pu piquer l’idée. J’effleurai le sol à la recherche d’une latte moins bien calée que les autres. Ce fut très long : le grenier prenait tout l’espace sous les combles. Ce fut inutile.
Je décidai de sortir prendre l’air, penser à autre chose. J’attrapai le trousseau de clés sur le meuble dans l’entrée. Le cliquetis de métal attira mon regard. Je m’étais toujours demandé à quoi servait la petite clé cuivrée.
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