Mauvaise nuit
À peine entrée, je traverse mon appartement sans un regard pour la cuisine ni la salle de bain. Ce soir, je serai crade et affamée : je n’ai pas l’énergie de quoi que ce soit. Je balance mon sac sur la moquette et m’effondre sur mon lit. Il fait chaud. Je me relève pour ouvrir la fenêtre et évacuer cet air bouillant, infesté de mon odeur. Et puis, je m’étends à nouveau, sur le côté droit, dos à l’ouverture. Je ne veux pas voir la rue. Je veux rester dans mon monde, aussi merdique soit-il.
Je plie mes jambes, les remonte. Ma nuque se courbe et ma tête plonge. Je prends toujours cette position quand j’ai besoin de réconfort. Et ça marche. Peut-être parce qu’elle me rappelle l’utérus maternel ou parce qu’elle soulage mon mal de dos. Peu importe, ça marche.
Mais cette fois, non. J’ai beau fermer les yeux, essayer de penser à des cascades ou des chatons, les mêmes images s’imposent sans cesse, les mêmes pensées s’incrustent. J’ai l’habitude mais là elles sont implacables. Je sais que la petite voix, celle qui me dit que je suis irrécupérable et que j’anéantis tout, a raison. Pas de réparation possible, rien ni personne ne me sauvera les miches. C’est foutu. Je suis foutue.
Tout ce qui m’entoure prend de l’épaisseur. J’entends des pas dans la rue, caoutchouc contre béton. Un craquement. Je sens l’air frais de la ville qui s’engouffre quand le rideau bouge. Derrière moi, une odeur inconnue me surprend et ma respiration se coupe.
J’essaie de la reprendre, mais je ne peux pas. Je m’acharne : je ne veux pas crever comme ça. Par moments, je parviens à happer quelques grains d’oxygène mais ce n’est pas assez. J’ai besoin de plus. J’accélère mais ma respiration est de plus en plus difficile. Bientôt mes poumons seront vides. Bientôt je serai morte.
Je dois réagir, mais je suis immobilisée. Je reste engluée aux draps, ni mes bras ni mes jambes ne viennent me défendre. Une pression sur ma poitrine m’écrase sur le dos. Je brûle. La douleur est tellement forte que, quand elle me traverse, je crie. Enfin, dans ma tête, ce sont des cris. Le peu d’air qui sort de ma bouche ne vibre que de quelques râles. On dirait un chien qui couine : pas assez pour alerter les voisins.
Et puis la douleur s’atténue, je ne la sens plus. La panique qui m’envahissait quelques secondes plus tôt s’est volatilisée. C’est normal : je ne suis plus tout à fait là, dans mon corps. Je vois ses membres, sa chair, ses veines, mais je ne les sens plus. J’en suis sortie. L’obscurité de ma chambre se déforme. La pièce est devenue muette, inodore, distante.
Je ne sais pas comment, mais je parviens à commander à ce corps qui n’est plus tout à fait le mien. Je relève le buste et, assise au milieu du coton, je regarde le visage de mon agresseur. Mon cerveau asphyxié par la peur a du mal à le reconnaître. Pourtant, ce sont bien ses traits, ses cheveux, son allure. Mais le regard est autre. Je fixe le miroir jusqu’à être sure que l’attaque de panique ne reviendra pas et que je suis sortie d’affaire. Pour cette fois.
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