35. L'Histoire est faussée
Helgrimm relut une dernière fois le document poussiéreux. Son mécène le lui avait mis sous le nez une bonne dizaine de minutes plus tôt et le vieil homme se demandait une fois de plus comment ce satané inconscient avait pu mettre la main dessus.
- Où as-tu déniché cela ? articula-t-il interloqué, les mots manquants dans sa gorge.
- Dans ma table de chevet, ironisa l’orgueilleux.
- Rassure-moi, tu sais parfaitement bien ce que tu fais ?
- Je sais toujours parfaitement bien ce que je fais Helgrimm, rétorqua-t-il face à la voix menaçante du vieil homme. Tu n’as rien à craindre à ce sujet.
Helgrimm sourcilla, de l’arrogance, son mécène en était garnie jusqu’à la moelle à tel point qu’il le comparait parfois à une chope de bière dont le col tombait sur la table.
- Le duc est peut-être prêt à tout pour conserver sa place mais jamais il ne t'aurais donné une archive sortant toute chaude du Consistorium, accusa l’Illusionniste. Que tu te sois servie dans les Souterrains ou bien dans la réserve de Schriftgelehrter ça ne t’apportera que des ennuis !
- Ce cher Scribe me mange dans la main, répondit son mécène d’un ton négligeant.
- Reviens donc quand tu l'auras mis à genoux.
L’insouciant perçut un miaulement et aussitôt un chaton sauta à ses pieds. Ses mains hissèrent le chaton au-dessus de sa tête et l’animal vola dans un petit cri.
- Que tu crois vieille branche, répondit le mécène tout aussi calme en rattrapant le chaton avant de le relancer dans les airs. Il ne m’est pas indispensable contrairement à moi. Et puis jamais il ne lui viendrait à l’idée de me soupçonner, il est beaucoup trop bête. Aaaahhh…pourquoi n’y a-t-il que des abrutis ? Il y a des moments où j’ai envie de renverser ces incapables de la Quinque juste pour relever le niveau de notre chère secte…
- Il a beau être bête, il y a toi et toi. À ta place je ferais attention...Et d’ailleurs où l’a-t-il trouvé ?
- Sûrement au Consistorium, que veux-tu je ne suis pas la première personne à graisser la patte de ces chères Élites…comment peuvent-ils s’appeler ainsi alors que le Consistorium est rempli d’ignorants et de débiles ?
- C’est toi qui en sais beaucoup trop. Rappelle moi qui tu es déjà ?
- L’intelligence n’a rien avoir avec la naissance, marmonna l'arrogant vexé.
- Non mais dans ton cas ça aide, railla Helgrimm dans une grimace de suspicion. Et cesse de martyriser cette pauvre bête !
- Aaaaah ! Jun ! geignit l’arrogant en suppliant le chaton du regard. Même Helgrimm s’y met ! Ma pauvre et chère Jun, pourquoi donc le monde m’inflige cette peine ? Faut-il donc que tous me poignardent ?
- Tu as une drôle notion de tous, grogna le vieil homme. Quant au poignard je te conseille de regarder attentivement derrière toi dorénavant.
- Pourquoi faire ? sourit l’insouciant. Pourquoi regarder derrière moi quand tu es là pour protéger mes arrières ?
Le chat feula et son maître bascula son fauteuil en arrière les pieds appuyés sur le rebord de la table. Il plaça le petit animal sur son ventre et regarda le plafond, le visage rêveur. Des rouages. Au-dessus de leurs têtes se trouvaient des rouages que les vitres comblant les vides dans le plafond laissaient apparaître. Ils fonctionnaient, ils tournaient, s’emboitant parfaitement avec leurs petits et grands camarades. Helgrimm n’aimaient pas ces engrenages et cette danse de rouages, sûrement parce qu’il n’aimait pas le temps. Le temps s’écoule inéluctablement, mais lui était un No Humano, il avait arrêté de compter les années depuis fort longtemps. À quoi bon, il ne s’éteindrait pas maintenant, ni demain, ni dans dix ans, ni dans cinquante, ni dans cent. Naturellement parlant. Depuis qu’il avait pénétré en ces lieux pour la première fois, il s’était mis à avoir peur du temps, puis à le détester. La race à laquelle il appartenait lui donnait bien des décennies à vivre, à quel âge donc était mort son mentor ? Cinq cent ans et des poussières ? Mais sa race et ses pouvoirs ne pouvaient rien contre son mécène, qui était parvenu à lui faire craindre le temps.
L’arrogant marchait en plein dans un champ de mine et en retournait la terre sans aucune inquiétude, se fichant bien des explosifs sous ses pieds. Mais lorsque l’insouciant fera un seul faux pas, un seul doigt qui gratte trop loin, l’explosion emportera bien plus que son domaine. L’insouciant emmènera la secte, le Consistorium et le continent tout entier avec lui en enfer…Il fallait être fou pour trainer en compagnie de cet individu…
Mais Helgrimm ne l'a jamais quitté, après tout il en était déjà à la fin de son deuxième siècle et la silhouette qui caressait le petit chat ne vivrait probablement pas bien longtemps…bien moins longtemps que lui en tout cas.
La confiance que lui accordait son mécène était sidérante. Que cela soit en terme de loyauté ou de capacité jamais il ne semblait douter de lui. Et pourtant la loyauté était quelque chose de bien navrant face à lui, mais malgré cela…Helgrimm songea.
L’ai-je déjà entendue se plaindre de trahison ?
À sa connaissance non. Était ce seulement possible ?
Mais ce qui était sûr c’est que jamais il ne trahirait cet arrogant. Jamais.
- Revenons à ton roman de chevet, ironisa Helgrimm un léger sourire chaleureux sur le visage. C’est l’original ?
- Ce qui s’en rapproche le plus.
- Tu as pris autant de risque pour une copie ?
- Entre le Vide des « deux » ans, les pirates, les croisades et conquêtes sans parler de la Vague Noire c’est un peu difficile de savoir où se trouve l’original. Et comme Raesch est un peu loin et que ses butés d’habitants prennent autant soins de tout ce qui n’est pas mathématique que moi de ma santé j’ai préféré cette version quitte à récupérer la copie la plus proche. Parce qu’entre nous ça ne m’étonnerait même pas que Felips Grashka l’ai fait volé.
- Si j’avais su qu’un jour tu te fierais aux copies…
- Une copie ! rectifia l’arrogant vexé. Sinon tu as trouvé quelque chose ?
- Un passage est complètement « illisible » et voyons voir…Ah !
- Quoi ? demanda l’insouciant.
- « Le Sans Clan revint dans son royaume de folie pleurer son désespoir dans les bras de ses amis rébus de la vie » cita le No Humano. Cette phrase est beaucoup plus instable qu’avant.
- Le Sans Clan, siffla l’arrogant. Il peut remercier Calvin que je ne lui lâche pas Jäger aux trousses. Alors qu’il ne me suffirait seulement d’avoir une petite discussion avec cette andouille de Schrift pour le mettre sur la croix.
- J’espère sincèrement que jamais tes fils ne se rompent, peu importe tes talents de marionnettiste si un seul d’entre eux se brise jamais tu n’atteindras la Volonté.
L’insouciant fixa les rouages, son cœur suivant le rythme du mécanisme…
- Je la trouverai sois en certain, dit-il dans un sourire le yeux pétillants et p.
Tic. Tac. Tic. Tac.
- Je me dois d’aller consoler, elle doit être si triste, si en colère…
Tic. Tac. Tic. Tac.
- La XIIe conte est illisible, la prophétie est incertaine. L’Histoire est faussée…N’est-ce pas impardonnables Helgrimm !
Le vieil homme regarda son mécène. Il était fou, c’était la seule pensée qui lui venait en tête. Il lui dédia un regard emplit de pitié, mais garda le silence.
- Quelle horreur que de voir son œuvre ainsi violée, gémit l’insouciant. N’est-ce pas Jumistelle ?
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