Pourquoi nous parlons notre langue maternelle
Il y a environ 50 000 ans
Pourquoi nous parlons notre langue maternelle
La sélection d’une spécificité propre au genre humain
Quand nous entendons des étrangers parler, surtout quand ils sont originaires d’un pays lointain, nous sommes étonnés qu’ils puissent échanger des informations avec leurs sons bizarres. Quand nous essayons d’apprendre leur langue, il nous faut des efforts énormes et beaucoup de temps, de mémoire, de répétition.
Pour apprendre une langue, avec un apprentissage intensif (quatre heures par jour), on estime qu’il faut 600 heures pour maitriser et pouvoir travailler dans une langue étrangère proche de la sienne, 1 200 heures pour une langue différente et 2 200 heures pour une langue difficile (chinois, coréen, arabe).
Mais quand un enfant de deux ou trois ans nous parle, nous sommes à peine étonnés que ce petit qui ne connait pas grand-chose, dont le cerveau est encore immature s’exprime de façon compréhensible, ou à peu près.
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Si nos cousins primates les plus proches peuvent comprendre quelques centaines de mots, ils ne peuvent dépasser cette limite. Le vocabulaire courant que nous utilisons est d’environ trois mille mots (sur les trente-deux mille mots de vocabulaire que nous maitrisons en moyenne et les 100 000 mots du vocabulaire français).
Le langage est une spécificité de la lignée humaine, car sans doute notre cousin Neandertal parlait. Aucune autre espèce ne possède un système productif de langage, c’est-à-dire la capacité à énoncer un nombre infini de phrases à partir d’un nombre fini de mots ou de signes. Quand on passe à l’écriture, ce système devient encore plus productif, puisque à partir de lettres nous formons des phonèmes ou des mots, puis des phrases à partir de ces éléments.
L’Homme possède toute une mécanique dédiée au langage. Les jeunes enfants utilisent plusieurs types de capacités cognitives, pas forcément spécifiques au langage, telles la capacité à classer le monde dans des catégories (personnes ou objets, par exemple) ou la capacité à comprendre les relations entre les choses. Ils savent également saisir ce que les autres cherchent à communiquer, à manier des hypothèses et des probabilités. Ces caractères innés sont cependant insuffisants ; chaque enfant doit apprendre sa langue maternelle. Pour cela, il dispose de nombreuses aptitudes, comme distinguer les phonèmes, les mots, comprendre la syntaxe et la grammaire. Sans parler de l’écriture qui mobilisera encore d’autres ressources un peu plus tard. Le plus surprenant est que les deux spécificités de l’espèce humaine, la bipédie et le langage, soient acquises dès le plus jeune âge par l’enfant.
On sait aujourd’hui que l’acquisition de la langue maternelle nécessite plusieurs étapes qui doivent s’enchainer précisément. Dans un premier temps, dès avant la naissance et pendant les premiers mois, l’enfant enregistre les phonèmes et les mélodies de la langue, la prosodie. Son cerveau va reconnaitre les sons qu’il entend… et il ne saura pas reconnaitre les sons qu’il n’entend pas. Soit un son est entendu et mémorisé, soit il n’est pas entendu et ne sera plus mémorisable, restreignant la reconnaissance aux phonèmes de sa langue maternelle. Par exemple, les Japonais ne peuvent distinguer nos R et nos L, comme nous ne pouvons distinguer les différences entre certaines consonnes khmères.
Quand nous parlons, nous découpons le son émis en petits groupes modulés, séparés par une infime pause. Le très jeune bébé, dès 9 mois, sait différencier ces groupes de sons et son cerveau sait distinguer les sons au centre du groupe, généralement relatif à un mot ou à un verbe. Le mamanais (le parler bébé des mamans), comportement universel, serait une aide à cet apprentissage. Il va ensuite arriver à associer un concept à ces sons reconnus régulièrement, en s’aidant sans doute de la syntaxe dont il a une première connaissance. Entre ses douze et dix-huit mois, il possède ainsi ses premiers mots qu’il va pouvoir associer vers ses deux ans. Un enfant est donc apte à comprendre des phrases simples dès sa première année. Les très jeunes enfants ayant appris quelques signes de la main sont ainsi capables de dialoguer. La complexité du langage continuera à être acquise pendant encore des années. Mais au-delà de quatre ans, un enfant qui ne pratique plus sa langue maternelle l’oubliera assez vite, même s’il aura des facilités pour la réapprendre plus tard.
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La seconde difficulté est la vocalisation de la langue qui va mobiliser un arsenal de plusieurs dizaines de muscles pour arriver à la production des mots, jusqu’à 200 par minute. Cette mécanique complexe est pilotée par des aires cérébrales de construction des paroles et du contrôle moteur de ces muscles par le cervelet. Le cervelet participe également à la composition syntaxique et grammaticale en général, à la création des mots, à la compréhension orale et dans l’établissement de relation sémantique entre les mots.
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Parler sa langue maternelle, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant : on estime que plus de la moitié de la population mondiale est bilingue. Ceci se vérifie l’Europe : la moitié des citoyens de l’Union européenne affirment qu’outre leur langue maternelle, ils parlent au moins une autre langue suffisamment bien pour participer à une conversation. On constate que les petits pays comme le Luxembourg (99 %), la Suisse ou encore les Pays-Bas comptent un très grand nombre de bilingues. Les plus grands pays comme l’Espagne, la France (45 %) ou l’Angleterre en comptent nettement moins.
Au-delà du bilinguisme, les polyglottes sont rares, comme Charles Quint à qui on prête cette phrase : « Je parle allemand à mes chiens, anglais à mes laquais, italien aux oiseaux, français avec les femmes et je converse en espagnol avec Dieu ».
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