Chapitre 5
Après avoir terminé son appel avec Lys, Akos poursuivit sa recherche dans les signalements de l’immigration et fit chou blanc.
« Ce n’est pas possible ! siffla-t-il entre ses dents. Il n’a pas pu apparaître dans cet hôtel par enchantement.
— Sûre que non. » fit la voix d’Eliya qui était entrée dans le bureau sans frapper.
Akos sursauta et ne cacha pas sa surprise.
« Désolé, j’ai oublié de frapper avant d’entrer mais j’ai découvert un truc et je voulais absolument te le dire !
— Ok bah, vas-y, dis toujours.
— Avant que tu n’arrives sur place, j’avais mis sous scellés le contenu de la poubelle de la chambre. Je n’avais pas vu grand-chose d’intéressant au premier abord : un trognon de pomme oxydé et une sorte de guide touristique de la ville que l’hôtel vend pour deux dols à tous les clients qui veulent découvrir les principaux points d’intérêt.
— Alors quoi ? Notre bonhomme vert était en vacances et s’était préparé un circuit pour faire le tour des monuments du coin ?
— Pas tout à fait mais pas loin. En vrai, je ne l’avais pas vu du premier coup car l’écriture de la victime était tellement stylisée que je l’ai confondue avec la police d’écriture utilisée pour noter les différents points d’intérêt sur le plan de la ville. Et paf voilà ! Notre bonhomme avait noté deux choses : une première adresse qui correspond à l’hôpital de la Résurrection…
— C’est une blague, ne put s’empêcher de laisser échapper Akos.
— Je me suis fait la même réflexion, fit Ely en gloussant. En plus, c’est un établissement un peu louche, ouvert, il y a cinq ans et dont le fonds de commerce toucherait à la chirurgie esthétique low-cost.
— Quoi, le gars voulait se faire blanchir la peau ? Se faire retirer le kyste dans sa nuque ?
— T’es con ! »
Eliya se mit à rire et puis déglutit pour essayer de reprendre son sérieux :
« Je pense qu’il faut qu’on débarque là-bas pour poser les questions. Je me suis permis de demander une autorisation au juge pour nous permettre de chopper la vidéo-surveillance de l’établissement et toutes les caméras publiques du secteur.
— Très bien, admit Akos qui n’aurait pas fait mieux. Et la seconde ?
— La seconde ?
— Adresse. T’as dit la première, tout à l’heure, je suppose qu’il y avait un deuxième lieu.
— Ah oui ! Mais bon là, je n’ai pas grand-chose : le 28 rue Khalfon. C’est l’adresse d’un immeuble résidentiel avec deux ou trois cents logements.
— Et ben, moi qui ne savais pas quoi faire, me voilà fixé pour les quatre mois à venir !
— Ouais, désolée mais j’espère pouvoir réduire la voilure en analysant la vidéo-surveillance là-bas aussi.
— Tu t’es prévu plusieurs soirées pop-corn ?
— Non ! Je vais utiliser quelques programmes d’analyse de mon cru pour faire le tri.
— Parce qu’aussi tu programmes ? » fit Akos avec un ton sincèrement impressionné.
Eliya s’empourpra.
« Je bidouille. Rien de fifou.
— Bon. Je vais aller faire un tour dans cet hosto. Tu me tiens au jus ? De mon côté, rien de probant. Zéro signalement à l’immigration. Le mec fait plus de deux mètres avec une peau quasi fluorescente et ça semble passer crème. »
Ely lui jeta un œil rieur et haussa les épaules en s’éclipsant.
« Hôpital de la Résurrection… J’enquête sur des mythes et légendes ! » souffla Akos en prenant son manteau et quittant son bureau.
*
L’établissement était juché au sommet du tertre des Mutilés. Le plateau tenait son nom du fait que, pendant longtemps, avant que la ville ne réhabilite le quartier, on y trouvait beaucoup des descendants des victimes de la guerre. Même deux cents ans après, la mémoire collective n’avait pas cicatrisé. Akos s’attendait à une sorte de centre un peu kitsch, ambiance secte mais force fut de constater que l’endroit ressemblait juste à une clinique très classique. La population qui traînait dans les salles d’attente était totalement ordinaire avec des hommes, des femmes, des gosses, des jeunes, des vieillards, tout.
Akos s’approcha de l’accueil et présentant sa carte de police, il demanda à s’entretenir avec un responsable. Comme c’était prévisible, il y eut un peu d’affolement de la part de la personne de l’accueil mais elle finit par lui demander de patienter un petit quart d’heure, le temps que le directeur puisse terminer son rendez-vous précédent.
*
« Alexandre Fauville, fit un homme d’une quarantaine d’années qui s’avança vers lui pour lui serrer la main. Je suis un peu curieux de savoir pourquoi la police s’intéresse à notre hôpital.
— Je ne peux rien divulguer pour l’instant mais j’ai juste quelques questions à vous poser assez générales. Que traite votre établissement ? Je suppose que vous ne traitez pas des cas médicaux ordinaires mais vu qu’il n’y a pas d’indication sur la devanture, ce n’est qu’une supposition de ma part. »
Le directeur sourit, a priori amusé par la réflexion.
« C’est vrai que nous n’affichons pas notre activité sur le fronton du bâtiment, nous fonctionnons plutôt sur le principe du bouche-à-oreille mais vous allez voir que nous ne faisons rien d’extraordinaire. »
En même temps qu’il parlait, Fauville invita l’inspecteur à entrer dans son bureau. Puis après avoir fermé soigneusement la porte, poursuivit :
« Notre objectif principal est de fournir un moyen d’accéder aux opérations de chirurgie à la population qui d’ordinaire, ne peut pas y accéder.
— C’est quoi ? Une œuvre caritative ? demanda Akos d’un ton qui laissait entrevoir un certain scepticisme.
— Non, répondit fermement le directeur. Toutes les opérations sont tarifées mais la seule différence que vous trouverez ici, c’est qu’aucune assurance ne vous sera donnée quant au résultat. Cela ne veut pas dire que vous avez plus de risques qu’ailleurs pour votre santé, simplement que s’il vous arrive quelque chose, ni la responsabilité de l’établissement, ni celle du praticien ne sera jamais engagée. Et il en va de même pour tout le reste du personnel. Aucun service d’assurance n’intervient. Cela permet de réduire considérablement le coût des soins. On se remet à produire du soin et pas autre chose. C’est ce que les gens marginalisées par le système attendent quand elles viennent ici. »
Akos hocha la tête. Fauville semblait croire à ce qu’il disait. Le décor semblait aussi collé en tout point à ce discours. Pas de fioriture qui laisserait penser à un directeur mégalo, pas de mantra ou autre décoration douteuse pour hypothéquer que le gars serait une sorte de gourou illuminé ou simplement vénal.
« Je suppose, reprit l’inspecteur, que vous ne conservez pas de dossiers sur les opérations que vous effectuez.
— Vous supposez bien. La seule trace que nous conservons, c’est la facture. Sans détail, il va sans dire. »
Fauville était particulièrement fier de lui. Akos se demanda si c’était à dessein ou s’il était réellement persuadé du bien-fondé de son discours.
« Combien êtes-vous de chirurgiens ?
— Cinq.
— Il me faudra leurs noms et adresses pour que je puisse les interroger. »
Fauville perdit son sourire.
« Vous êtes sérieux ? Qu’avez-vous à l’encontre de l’hôpital ?
— Strictement rien. J’ai juste besoin d’informations. »
Akos préférait ne pas aborder tout de suite le sujet du Druide. Même si Fauville ne lui semblait pas soupçonnable en l’état, il tenait à convoquer les chirurgiens en même temps pour éviter que l’un ou l’autre ne puissent se méfier.
« Je vais vous laisser, fit Akos. Vous devriez recevoir une convocation en bonne et due forme dans la soirée. Merci. »
Fauville resta silencieux, un peu groggy par cette fin d’entretien un peu brutale. De son côté, l’inspecteur avait l’intuition que cet hôpital n’était qu’un point de départ. Mais il y avait de quoi creuser.
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