Sure sortit de sa maison en claquant la porte et s'arrêta sur le porche. Il détestait quand sa mère lui demandait une chose pareille. Il avait déjà débattu avec elle pendant de longues minutes : apporter un cadeau aux voisins pour se présenter, ça ne se faisait plus. Pourtant elle avait insisté. Elle lui avait fait remarquer que ça lui ferait plaisir, et qu'il pouvait bien faire plaisir à sa maman de temps en temps ! Elle avait ce don de le faire cupabiliser, et elle avait toujours le dernier mot. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé, sur le porche de sa nouvelle maison, un panier rempli de confiture et de scones encore chauds.

Il attendit un moment sa mère qui terminait de se préparer. Il était exaspéré. Il ne comprenait pas pourquoi elle tenait tant à faire bonne impression. Il était certain que la voisine d'en face n'en aurait pas tant fait. Il trouvait que c'était trop. Les petits gâteaux, la confiture, la tenue soignée... On voyait tout de suite que c'était faux, que sa mère n'était pas vraiment comme ça. D'ordinaire, Madame Villier était une mère cool. Elle restait en pyjama une bonne partie du temps, ou alors en tenue de yoga détente, et elle ne prenait pas la peine de bien coiffer ses cheveux ou de maquiller ses yeux. Elle vivait au jour le jour, et ne demandait presque rien à son fils. Les deux s'entendaient, bien que parfois ils ne parvenaient pas à se mettre d'accord et ils cohabitaient sans trop de problèmes. Mais ce déménagement avait causé entre eux des tensions, et c'était pour Sure de plus en plus dur à supporter.

Elle sortit enfin, vêtue d'une robe à fleurs et de petits talons, ses cheveux tressés et ses yeux légèrement maquillés. Sure respira enfin : elle était restée raisonnable. Ils traversèrent la rue déserte et se retrouvèrent face au portillon de la maison des Faubert. Madame Villier s'arrêta pour observer les roses qui couvraient la barrière en bois en une magnifique haie fleurie. Sure, lui, regarda par dessus le portail. Un garçon aux cheveux foncés lisait sur un banc à côté de la porte. Il ne semblait pas les avoir entendus. Il était plongé dans son roman, et la manière dont il arrivait à se couper du monde était fascinante. Sure franchit la petite porte en bois qui grinça. L'adolescent sortit enfin de son histoire et le fixa :

- Bonjour ? Vous cherchez quelque chose ?

Sure, mal à l'aise, ne savait pas quoi répondre. Il maudissait sa mère qui l'avait placé dans cette situation.

- Euh, je m'appelle Sure et je viens d'emménager en face...

- Ah, on a des nouveaux voisins ? J'avais même pas remarqué que vous étiez arrivés.

Un blanc s'installa. Les deux garçons, très peu bavards, ne savaient que dire. Heureusement, la mère de Sure arriva et mit fin au silence gênant. Elle s'approcha de Never, toujours assis sur son banc, et lui tendit la main :

- Bonjour ! Je m'appelle Alice Villier et voici mon fils Sure ! On vient d'arriver dans la maison en face de la votre, et j'ai pensé qu'on pourrait faire connaissance ! Où sont tes parents ?

Never la regarda sans rien dire, puis il finit par se lever et serra sa main. Il plongea ses yeux bleus dans les siens et répondit à sa question :

- Je suis Never. Mes parents sont sur l'Île de la Réunion.

Puis il tourna le dos à ses nouveaux voisins et ouvrit la porte. Il entra sans un mot. Alice ne bougeait plus, choquée. Sure, lui, regarda sa mère et lui lança d'un ton sec :

-Bravo, t'aurait pu te taire ! Il nous déteste maintenant !

Puis il franchit à son tour la porte de la bâtisse en pierre, son panier à la main. Sa mère le suivit, penaude. Peut-être que ce n'était pas un si bonne idée après tout...