Les adultes s'étaient mis à discuter joyeusement, les adolescents écoutaient simplement leur familles raconter leurs vies, et May s'ennuyait. Du haut de ses cinq ans, elle ne s'intéressait pas du tout à ces histoires de grands. Elle eut une idée :

- Viens Alice ! Je vais te montrer ma balançoire !

Elle prit la main de la femme qui la suivit amusée à travers le jardin, Papi et Mamie marchant derrière elles d'un pas tranquille. Sure profita de cette occasion pour se lever, et partir à l'opposé de la fillette, vers le devant de la maison. Never, le voyant partir seul, le rattrapa en trotinnant et marcha à ses côtés.

- Tu vas où ?

- Je vais voir ton banc.

Never ne comprenait pas. Pourquoi s'intéressait-il à ce banc ? Il aimait certe y passer du temps, mais il était conscient que son siège n'était qu'un siège ordinaire. Pourtant Sure semblait décidé à "visiter" son coin personnel. Never n'aimait pas que l'on pénètre dans sa sphère privée. Mais il n'avait pas le choix : il devait laisser Sure y rentrer. Ses bonnes manières étaient souvent en désaccord avec son mode de pensée, mais il laissait toujours la priorité aux bonnes manières. Après tout, qu'est-ce que ça pouvait faire que Sure s'assoie un moment sur le banc. Il ne lui appartenait même pas. Il suivit le blond en silence, qui atteignait maintenant le devant de la maison où sa quête l'attendait.

Sure observa le meuble sous toutes les coutures. Il passa sa main sur le bois foncé et rugueux et sur le métal froid. Il caressa de son regard l'intégralité du banc. À le regarder, il le sentait très vieux, emprunt de sagesse. Comme un génie endormi, tout de même très intelligent. Il s'assit délicatement sur l'assise et ferma les yeux.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Never.

- Tu vas me prendre pour un fou, mais j'ai l'impression qu'en fermant les yeux, je peux voir tout ce que ses années d'existance lui ont appris. Comme si ce banc me transmettait son savoir à travers les veines du bois.

Never ne dit rien. Il se contenta d'esquisser un sourire que le blond ne vit pas, ses yeux toujours clos. Le garçon brun s'assit à côté de son invité, et leva la tête tout en fermant ses paupières. Les deux garçons profitèrent un moment de la douceur de l'après-midi, en écoutant les oiseaux chanter, en humant l'air printannier et en s'inspirant de tout ce que le vieux bois du banc avait à leur apporter.

En décalant légèrement sa main, les doigts de Sure rencontrèrent un livre. Il ouvrit ses yeux, et mit un moment à s'habituer à la lumière. Il se saisit de l'objet et regarda la couverture : Pride and Prejudice. Il feuilleta les pages, ce qui sortit Never de ses pensées.
- Jane Austen ? Je pensais pas que tu lirais ça ! lui fit Sure avec un grand sourire.

- Te moque pas ! J'ai pris ça dans la bibliothèque de Mamie. J'avais plus rien en stock. répliqua rapidemment Never, agacé, en lui arrachant le livre des mains.

- Calme toi, j'ai jamais dit que c'était un problème ! Ne m'en veux pas, mais je pense pas que Mamie soit du genre à lire un bouquin en anglais.

Never céda :

- Bon, ok, j'aime bien... Je trouve ça moins débile que les histoires de vampires et de loups-garous.

- Un anti-twilight hein ? Comme ça on est deux.

Il montra le livre d'un signe de tête :

- Tu devrais le finir. Il est vraiment bien !

- Je sais pas... je lis aussi Candide de Voltaire en ce moment, et entre les deux, mon coeur balance...

Comme pour appuyer ses mots, les garçons entendirent des éclats de rire venant du fond du jardin, et May qui criait :

- Plus haut ! Encore plus haut !