3.2

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Nous suivîmes Piéconfus en dehors du bureau, penaudes. L’interaction me laissait un goût amer. L’offre du soi-disant Divin était plus prometteuse que de rester enfermé chez maman, mais elle ne ressemblait pas non plus à la liberté à laquelle j’aspirais.

— Il est bizarre ce monsieur. Fis-je remarquer.

Piéconfus attendit que nous soyons éloignés de quelques pas supplémentaires pour me répondre.

— Je te l’accorde il est particulier. Moins je le côtoie mieux je me porte. Cela dit ça tombe bien, il sort rarement de ses quartiers.

Lectrice qui avait été plus attentive que moi aux mots prononcés demanda :

— Quand il parle de travail, qu’est-ce qu’il entend ?

— Ah… Rien de trop pénible ne vous inquiétez pas. Si on aime la délation et le rôle de tortionnaire. Nous avons des commanditaires fortunés, qui souvent donnent beaucoup pour ce qui nous parait être très peu.

Revenus dans la salle principale, il interpella parmi ceux qui s’attablaient un individu mâchonnant un énorme morceau de pain:

— Painlit !

— Qu’est-chqui gna ?

— Je cherche Evade, une idée d’où elle peut être ?

Il déglutit avant de poursuivre :

— Oulah. La bibliothèque peut-être ? Elle m’a dit que Divin lui avait demandé de tout reclasser par nombre de pages. Il va pas mieux celui-ci !

Piéconfus soupira, se pinçant l’arête du nez, puis nous ordonna de remettre nos chaussures. Nous trottinions derrière lui, semées par ses grandes quilles tandis qu’il filait vers le bâtiment le plus à l’aest.

Il fallut quelques instants à mes yeux pour s’adapter à l’obscurité lorsqu’il referma la porte. Des bibliothèques au bois sombre, sculpté de bas-reliefs, dissimulaient les murs nus et fenêtres.  Du haut plafond pendaient une multitude de lampions rougeâtres aux lueurs étouffées par la poussière.

À l’entrée de la pièce, derrière un bureau vide, était affalé l’individu le plus étrange que je n’avais jamais vu. C’était beaucoup dire quand je venais de rencontrer Divin. Ses cheveux étaient rasés sur les côtés et formaient une crête hérissée de pointe sur le dessus. Elle avait le teint terne, des yeux bleus perçants et des bijoux métalliques plein les sourcils. Je sursautai quand elle s’exclama :

— Toi ! Gloubiboulga te cherchait. Elle va te trucider, t’étriper, te lacérer ou pire si elle trouve.

Piéconfus leva les yeux au ciel.

— Cordemolle me l’a fait savoir. Ce n’est pas toi qui m’as vendu j’espère !

— T’ai-je déjà balancé pour quoi que ce soit ? S’il reparle de cette foutue statue, je mange mon chapeau.

— La statue…

Et voilà. Oh ne remets pas ça sur le tapis ! Une unique fois j’ai fauté. À dix ans ! Ce qu’il peut être rancuneux.

— Oui bon. Je ne viens pas pour ça, je te présente nos apprenties. Mince laquelle était pour qui déjà ?

Elle écarquilla les yeux ce qui manqua de me faire reculer d’un pas. Elle retira ses pieds du bureau pour les ramener sur sa chaise. Il semblait qu’une malédiction l’empêchait de s’asseoir convenablement. Accroupie comme elle l’était, elle pouvait à tout moment nous sauter à la gorge. Mon coeur accéléra, se préparant à courir. 

— Comment ça ? Corniaud à trois pattes dis-moi que c’est pas vrai !

— Si c’est vrai. Divin l’ordonne.

— Raaah. Mais qu’ai-je fait pour mériter ça ?

Il fronça les sourcils.

— Un peu de réserve dans tes propos s’il te plait.

— Quoi ? Elles l’entendraient si je le pensais de toute manière non ? Z’ont pas encore appris les bonnes manières.

— Certes, mais je suis certain qu’elles savent distinguer la différence entre ce que l’on pense malgré nous et ce que l’on choisit de dire.

Je haussai les épaules. Cela arrivait quand je pleurais que Maman essaye de me consoler en m’expliquant que ce n’était pas parce qu’elle pensait quelque chose qu’elle le pensait vraiment, qu’il ne fallait me fier qu'à ce qu’elle exprimait. Je n’avais jamais réussi.

— Et laquelle me revient ?

Que Tristana me vienne en aide, j’ai déjà oublié.

Je levai timidement la main, venant à la rescousse du poisson rouge. Evade haussa un sourcil puis me dévisagea. Une boule se forma dans mon ventre jusqu’à ce que ses yeux me laissent tranquille pour retourner sur Pié.

— C’est presque une adolescente. Les ados sont horribles, tu le sais !

— Tu t’en plaindras à Divin. Et tu exagères elles sont toute jeune.

— Tu déconnes, la vieille Peaudure a l’air d’un frais gardon à côté !

Oh pitié. Pourquoi faut-il toujours que tu te montres aussi inconsidérée ?

Pendant qu’ils commencaient à discuter de la notion d’empathie, Lectrice s’éloigna pour fouiner gaiement les étagères. Elle vérifia que les deux autres ne lui prêtaient pas attention avant de glisser un livre sous sa robe.

Cela reste entre nous, me communiqua-t-elle.

Enfin ils se décidèrent à mettre un terme à leur chamaillerie pour nous faire la visite. Je peinais à détourner mon regard de la drôle de chevelure d’Evade, si on pouvait appeler ça comme ça. Défier ainsi à la foi les lois de la physique et du bon goût, cela démontrait une effrayante force de caractère. Elle commença tout en marchant à nous expliquer :

— Les règles ici sont simples z’allez voir. Si vous n’accordez aucune importance à votre liberté vous vous sentirez comme chez vous !

— Elle exagère, précisa Piéconfus. On a une certaine autonomie, et un grand jardin où gambader librement.

Ils nous présentèrent brièvement les bâtiments. Celui dirigé vers l’enor, où nous avions rencontré Divin, était destiné à toutes les pièces à vivres, celui côté aest dont nous sortions ne contenait que la bibliothèque et les archives, et le troisième, côté our, abritait diverses salles « cérémonielles et religieuses ». Pas que je compris ce que cela puisse vouloir dire.

Evade nous expliqua :

— Vous allez où vous voulez, mais jamais au « paradis » compris ? Sa Majesté Divin, la sainte-moufette, déteste être dérangé.

Je hochai la tête très vite, peu désireuse de la contrarier.

Ils nous montrèrent ensuite le dortoir des apprentis où nous posâmes nos sacs. Nous avions chacune un coffre, une commode et une lampe, un aménagement simple, mais que chacun semblait faire varier selon ses goûts. Mon voisin par exemple, entassait à côté de son lit une impressionnante pyramide de pomme de pin. Quelqu’un avait suspendu au-dessus du sien une multitude de guirlandes de fleurs. D'autres, s’étaient fabriqués de baldaquins de fortune avec des draps. Je souri en pensant à tous les dessins que j’allais pouvoir accrocher à mon pan de mur.

— Allons manger, ainsi vous nous poserez vos questions ! conclut Piéconfus après nous avoir montré les salles de bains.

— Ah parce que nous devons manger avec elles ? chuchota Evade. On va déjà s’occuper d’elles toute la journée, faut-il vraiment qu’elles viennent hanter mon temps libre ?

— Tout à fait !

Dans la salle à vivre, une dame aussi grande et épaisse que maman avait tiré un chariot jusqu’au milieu de la pièce, sur lequel étaient posés un plat de pain et une soupière. Nos accompagnateurs nous montrèrent où prendre des bols. Chacun se servait lui-même et faisait ensuite sa vaisselle, une manière de diminuer le nombre de taches ménagères. Satisfaite, avec ma soupe tiède entre les mains, je demandai en pointant Lectrice du doigt.

— Elle a dit qu’on devait changer de prénom ! C’est vrai ?

Piéconfus finit de s’asseoir, soufflant un coup sur sa cuillière avant de m’expliquer :

— Mmh mmh. Divin vous nommera quand il lui viendra l’idée de vos nouveaux patronymes.

— Mais pour quoi faire ? Il y a un problème avec mon prénom ?

— Point du tout ! C’est une coutume, voyez cela comme une manière de vous intégrer. Vous ne devriez pas trop tarder à le recevoir.

— C’est une lubie de Divin, ajouta Evade. Ma théorie c’est qu’il voulait surtout changer son prénom à lui !

— Pourquoi, c’était quoi? demandai-je curieusement.

Elle regarda à droite et à gauche puis elle se pencha vers nous dramatiquement en chuchotant :

— Jean-Furet de la Moufette.

— Oh arrête de leur raconter des bêtises ! Et assied toi convenablement ! s’exclama Piéconfus en la tirant en arrière.

Pas dérangée par les sourcils froncés de son camarade, elle rit pendant bien dix secondes, que je trouvai très longues. Quand elle arrêta de s’esclaffer, je la questionnai, toujours pas certaine de bien comprendre :

— Mais c’est quoi le problème avec Jean-Furet ? Je trouve ça joli moi comme prénom.

Elle repartit à rire jusqu’à avoir les larmes aux yeux. Piéconfus m’expliqua :

— C’était une blague, il ne s’appelait pas vraiment comme ça.

Une crédule, parfait, je sens qu’on va bien se marrer, songea Evade.

La remarque cinglante qui avait émané de ses pensées me donna envie de lui mordre la main. Je commençai à trembler, pas de peur cette fois, mais de colère. Je rétorquais :

— Je suis peut-être crédule, mais j’ai des cheveux sur la tête.

Un sourire narquois étira aussitôt ses lèvres, laissant paraitre des canines saillantes.

Elle ose me dire ça avec une frange aussi mal coupée ! Ce n’est pas très poli d’écouter les esprits des gens. Peut-être que je devrais t’appeler Jeanne-Fouine tant que tu n’as pas de prénom.

Piéconfus déposa tranquillement sa cuillère à gauche de sa soupe afin de s’interposer.

— Allez, comme si tu n’avais pas fait le même genre d’impolitesses à son âge !

— À son âge je savais me fermer depuis des années déjà !

— Et bien tu lui apprendras à ton tour. Maintenant, sois aimable et ne te dispute pas avec des enfants par pitié.

Je me mis en tête de bouder pour la punir, mais personne ne le remarqua, car Lectrice prit la suite de la conversation :

— Qu’est-ce que vous allez nous enseigner ? Moi je sais déjà la grammaire, l’histoire et l’arithmétique !

Piéconfus lui fit un grand sourire en déclarant avec fierté :

— Enormément de choses ! De l’histoire encore, de la théologie, de la spirologie, et pourquoi pas des mathématiques plus poussées, c’est ma spécialité.

Elle continua à le questionner, creusant le sujet autant qu’elle le pouvait ; et quelle histoire ? Pourquoi la théologie ? De la géométrie ? Le théorème de Bois-Commun ?

Je la regardai avec interrogation. Elle ne m'avait pas semblé bavarde, mais le traitement du silence m'était en fait réservé. Quand elle s’arrêta enfin mon auge avait été raclée trois fois avec du pain de moins en moins humide. Pour notre première soirée, on ne nous attribua aucune corvée, pour nous laisser le temps de nous familiariser avec les lieux, alors j’en profitais pour dessiner quelques griffons de tous ces nouveaux visages. Sans que je ne puisse l’empêcher, le trop-plein d’émotions de la journée se mit à me couler sur les joues. Mon croquis de divin avait des airs de démons, avec des yeux affreusement ronds et un sourire machiavélique. Je me demandais en le regardant si en signant son contrat je ne lui avais pas vendu mon âme.


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