5.1 : Amis pour la vie

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« Je pensais Ephe un ami avant d’essayer de lui énoncer mes tourments. Le jugement dans ses paroles me dit tout ce que je dois savoir de notre relation. »
Livre de la duplicité, Tristana.

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Plongée dans un quotidien sans variation, je ne vis pas les premières semaines passer. Chaque jour les classes, de longues heures à apprendre l’histoire et les langues, puis la salle des bains. Et quand cela était fini un peu de temps libre pour lire, dessiner, prier. Je continuais de consulter Aldrik pour que la nature resplendisse, mais j’abandonnais le dieu-soleil. Je n’en pouvais plus de lui, de sa chaleur écrasante. S’en était à un point où voulais qu’il s’effaça. Je n’avais pas eu froid une seule fois depuis mon arrivée. Le plus logique fut de le remplacer par Tristana, déesse des esprits et de la lune. Je ne savais trop quoi lui dire — la lune brillait juste ce qu’il fallait et les esprits étaient ce qu’ils étaient — alors je lui racontais ma vie. Cela faisait du bien d’avoir quelqu’un à qui se plaindre, surtout quand Evade m’embêtait.

Aujourd’hui en particulier elle avait choisi pour la troisième fois de me faire coudre ce qui me mettait en rogne. Je pariais qu’elle le faisait exprès pour avoir le plaisir de me voir me planter des aiguilles dans les doigts. Sous ses consignes, la veille, j’avais conçu un pantacourt que je le détestais. La manche droite était plus longue et puis je n’aimais pas sentir l’herbe sur ma peau. Je sursautai quand une fourmi m’escalada la cheville. Elle se mit à pouffer, trouvant sans doute hilarant que je sois victimisée par la horde d’insectes du jardin. Après son rire, un délicieux silence. Je souris. Quelle satisfaction de ne plus entendre ses méchantes remarques. Au fil du temps j’avais construit un barrage pour me protéger des pensées qui coulaient des autres. Depuis quelques jours, le flot continu s’était réduit à quelques fuites que je colmatais laborieusement. Mais cette fois j’en étais convaincue ; j’avais réussi.

— Je suis un véritable castor, m’exclamais-je !

Elle haussa un sourcil orné d’argent.

— Mais encore ?

— Tu peux penser tous tes petits commentaires mesquins, je n’entends rien.

Elle sourit, affichant ses canines saillantes.

— Pas trop tôt ! Il va falloir que tu retiennes la chronologie ephienne maintenant.

— Non. Il va falloir que je me fasse des amis !

Ravie, je me levais, essuyant les traces laissées par l’herbe sur mes mollets. Elle ne protesta pas quand j’abandonnai mon œuvre (un patron de chemise que j’imaginais mal aboutir). Je m’empressais de retourner au dortoir. Sous mon lit, je gardais un livre que je trouvais fort utile : les aventures complètes du Fou Vaillant. Bien des pages en étaient cornées, indiquant les passages clés dans lesquels il parlait d’amitié. Je révisai ses enseignements le reste de la matinée, et quand vint l’heure de manger j’étais parée.

Bien droite, le plexus vers le soleil pour donner l’air d’avoir confiance en moi, j’approchais la table de Lectrice et ses amis. Je m’assis à côté d’elle sous les regards curieux. Je commençais à manger, comme si de rien était. Personne n’osa rien dire. Ils s’étaient habitués à ce que leurs seules pensées me fassent fuir, mais maintenant j’y étais insensible. Après une minute ils reprirent leur conversation. Il semblait important qu’ils se tiennent au courant entre eux des potins chez les grands. Je n’étais pas sure de voir l’intérêt de savoir que Bast sortait avec Fintoucher, d’autant que personne ne précisait où ils sortaient. Enfin à la fin du repas on daigna me porter attention. Un jeune efflanqué m’interrogea :

— Tu ne finis pas ton pain ?

Puisque nous mangions soupe tous les jours, j’avais pris l’habitude de saucer avec la moitié de mon pain, et de garder l’autre bout pour le goûter. J’allais le lui expliquer quand une parole de Fou Vaillant me revint à l’esprit : « Après qu’il m’a donné la fin de son outre quand nous marchions en plein désert, je commençai à l’appeler mon ami. ».

— Mmh… Non. Tu le veux ?

— Ça te dérange pas ? Je crève la dalle !

Je hochai la tête négativement. Il prit l’objet de sa convoitise sans demander son reste. En deux bouchées mon goûter disparut.

— Ce sera toujours ça que tu ne voleras pas, fit remarquer Saitout.

— Pas ma faute si on nous affame. C’est inadmissible. On devrait se révolter, mais vous êtes des mous du slip !

— Moi je veux bien faire une révolte, c’est vrai que c’est lassant la soupe.

Il sourit et tendit sa main vers moi. Que voulait-il ? Je n’avais plus rien à lui donner. Voyant que je n’en faisais rien, il alla chercher la mienne posée sur la table et la serra.

— Formidable ! Je ne serais plus le seul à râler.

— Et qu’est-ce que vous comptez faire, railla Lectrice ? Une grève de la faim ?

Il se mit à rire. Je ne compris pas en quoi c’était drôle mais je l’imitais, riant aux éclats. Fou Vaillant le disait ; il faut rire avec les gens pour devenir leur ami. Après ça, on discuta un peu. J’appris qu’il s’appelait Morvax, qu’il venait de la côte et qu’il avait été élevé par une cuisinière, qu’il était habitué à manger du poisson, des légumes en sauce et du lard et que son plat préféré était le poulet farci. J’essayai de tout retenir en vue de le marquer plus tard dans mon carnet. Quand le repas se termina, une fille proposa une partie de Chantefleur. Dépitée, je chuchotais à Lectrice :

— Je ne sais pas y jouer.

— Les explications sont un peu longues. A la bibliothèque, il y a un livre ; les grands jeux du royaume du cerf. Les règles de tous nos jeux sont dedans, va y jeter un œil. Il est dans la catégorie des livres entre 150 et 175 pages.

Je la remerciais et dédiais mon temps libre du jour à l’apprentissage des règles inutilement complexes du Chantefleur. Le plus important semblait-il, était que le trois d’Ephe valait deux pluies chagrines, et que le premier a avoir un bouquet gagnait la partie.

Les jours qui suivirent, je découvris la joie de jouer avec d’autres enfants. Je ne comprenais jamais vraiment les parties, ne gagnait pas une seule fois, mais au moins je n’étais pas seule. Quand je nettoyais la salle de bain maintenant, il arrivait qu’on me sourie, où qu’on me fasse un coucou. Morvax s’arrêtait même pour râler un coup, faisant remarquer comme ils manquaient de diversité de savons.

La deuxième chose qui changea ma vie pour le meilleur, était qu’enfin nous hument droit à des cours de théologie avec Piéconfus. Il nous faisait asseoir dans la pelouse les fins de matinée, et nous narrait l’histoire des dieux, jour après jour. Nous en étions au deuxième siècle après l’ensemencement quand il se ramena avec de petits carrés de tissu.

— Aujourd’hui je vous apprends à faire des prières officielles !

Il sortit un pot d’herbes séchées et nous fit en mettre au centre du tissu noir.

— Pendant que vous les faites, il fait que vous ayez une volonté. Pensez à un souhait que vous avez par exemple.

— Je veux réussir l’examen d’érudition, déclara Lectrice très concentrée.

Piéconfus serra les dents et la reprit :

— Par exemple, mais il faut le faire à voix basse…

— C’est quoi cet examen, demandais-je ?

— Une épreuve que l’on peut passer une fois par an au château du roi. Ceux qui réussissent rejoignent la guilde des érudits et travaillent dans les archives royales.

— Oh, et tu vas le faire ?

Le mentor soupira :

— Malheureusement, Divin ne sera pas d’accord. Mais… Tu as le droit de demander ce que tu veux à notre déesse, même des choses qui semblent impossibles.

Lectrice ne dit plus rien et scella sa bourse de prière, un air de détermination sur le visage. J’avais bien une idée de souhait ambitieux : aller vivre à Erodea, le pays des îles flottantes, des arbres ciels et des ruisseaux d’argent. J’étudiais attentivement la géographie depuis que je l’avais découvert, afin d’anticiper mon itinéraire. Divin n’accepterais jamais que je parte, mais je n’aurais qu’à omettre de lui demander l’autorisation.

Ensuite, nous allâmes au temple, déposer nos dons aux pieds de Tristana. Elle était restée inchangée, tout aussi belle qu’à mon arrivée. Mon cœur battait vite lorsque je ressortis.

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