5.2

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Tout allait enfin pour le mieux. J’avais désormais des amis, une déesse à qui confier mes secrets et le temps passait paisiblement. L’été nous emmerdait toujours bien sûr : Le paysage ne bougeait pas, il avait atteint son stade de dessèchement maximal depuis longtemps. Dans notre enceinte pourtant, les fleurs continuaient à resplendir et l’herbe restait verte. Arroser quotidiennement ne suffisait pas à garder un jardin dans un tel état printanier, il fallait qu’une magie soit à l’œuvre. Evade m’expliqua :

— C’est Divin. C’est un enfant d’Aldrik.

— Ceci explique cela…

Je ne savais pas ce que ça expliquait mais je ne voulais pas avoir l’air bête. Puis à ma surprise elle ajouta :

— Bon, d’ailleurs, parlant de ce fripon, je ne serai pas là pendant quelques jours. Il nous envoie, Painlit et moi à aller travailler.

Mon cœur s’agita. Elle me laissait seule ici ?

— Mais pour quoi ? Pour qui ? Pour où ?

— Pour un duc, figure-toi ! Le duc de rougeflamme. Oh, allez, tire pas la tronche, j’en ai pas pour longtemps.

— Il s’appelle comment ? C’est pour faire quoi ? Pourquoi je peux pas venir ?

— Je n’sais plus son nom, Henry mort-martre ou quelque chose dans ce goût-là. Ce sera sans doute un ramenard à dentelles de toute manière. Et puis, ce que j’y fais te regarde pas Jeanne-Fouine.

— T’as pas répondu pourquoi je peux pas venir ? J’aimerais bien sortir moi aussi.

— T’es trop jeune pour bosser. Attend un peu tu veux ? T’en profiteras pour faire ce que tu veux pendant que je suis pas là, c’est super non ?

Je croisai mes bras pour bouder. Elle rit en me tapotant la tête.

— Réjouis-toi !

Ils partirent à l’aube, accompagné du postier d’avenir. Je voulu les voir partir mais je me révéillai trop tard. Alors je mangeais, puis j’attendis. Je m’assis sur la première branche d’un pin de bonne taille pour regarder un peu les va et viens de mes collègues. Qu’allais-je bien pouvoir faire ? La salle des bains était déjà propre, mes copains étaient en cours avec leurs maitres et j’en avais marre de dessiner le paysage. Je regardai Prodige courir après un rat. C’était un gentil chien, mais il n’aimait pas qu’on le caresse et passait le plus clair son temps avec Cocher, du côté de l’écurie. Soudain, la porte de la salle commune s’ouvrit sur Divin. Vêtu d’une chemise verte rayée de blanc absolument laide, il s’arrêta au soleil, un sourire désagréable au coin des lèvres. Il sortit de son sac en bandoulière un grand gant de cuir qu’il enfila, puis il tendit la main vers le ciel avec dedans quelque chose que je ne pouvais pas voir. Bientôt, dans un cri, fondit sur lui un oiseau sublime : un faucon à la queue brune, presque noir, au plastron clair et avec sur le dos des reflets de rouille. Son bec était courbé comme un petit crochet et son œil jaune sévère scrutait tout autour de lui. Je descendis très vite de ma branche, m’éraflait au passage sur l’écorce, et m’approchais du spectacle. Divin m’aperçut avec ses petits yeux malins et me fit signe de venir :

— Tu aimes les oiseaux, petite ?

J’hochais la tête rapidement. Le faucon se tordit le cou pour me sonder, passant d’un doigt à l’autre.

— Bien. Moi aussi.

Il tendit un morceau de viande sèche à la créature qui la goba. Je la jalousais un peu ; nous n’avions jamais droit à plus qu’un os pour parfumer la soupe. La dernière fois que j'avais mangé de la viande remontait à mon dernier repas avec Maman. Voyant que j’étais toujours là à le regarder il me fit remarquer :

— J’ai entendu dire que tu travaillais bien, que tu faisais du ménage.

— Oui m’sieur. Je maitrise la loque comme personne !

— Fort bien, fort bien. C’est bien de savoir se rendre utile.

Je continuai à admirer le faucon. Si j’avais un tel animal pour moi, je le dresserais à m’apporter les plus belles pommes de pin du haut des arbres.

— C’est un oiseau de chasse monsieur ? demandais-je

D'après Joe Perce-Fouisseur,un grand ami du Fou Vaillant, un chasseur aguerri pouvait tirer avantage d’avoir un oiseau de proie qui puisse repérer pour lui les cibles à abattre.

— Radieux est un oiseau à tout faire. Il chasse, il espionne, il livre le courrier… C’est un animal très doué. Et… sa lèvre se souleva en un sourire en coin carnassier, et c’est aussi un oiseau assassin. Quand quelqu’un me déplait vois-tu, je le lui envoie. Avec ses serres il s’accroche au cou de la victime, il lui tranche la carotide et elle n’a plus qu’à se vider de son sang !

Un long silence plana, durant lequel il savoura l’expression horrifiée sur mon visage. Je déglutis grassement, j’espérais qu’il ne viendrait pas l’idée au faucon de s’en prendre à moi. Enfin il éclata de rire, un rire froid et sec qui fit sursauter Radieux :

— Oh ta tête ! Tu as vraiment cru que… Il ne faut pas croire tout ce qu’on te dit petite ! Un oiseau si petit ne tuerait pas plus gros qu’un lapin, ah !

Je fis un pas en arrière les sourcils froncés. J’en avais entendu des blagues pas drôles, mais celle-là dépassait l’entendement. On ne riait pas avec le sang. Je le saluais prestement, parce que j’avais peur de lui sinon je serais partie sans rien dire, et je retournais sur mon arbre.

Le midi j’en parlais à Lectrice qui me rabroua :

— Tu sais comme il est, ne t’offense pas d’une petite blague.

— C’est pas la dernière qu’il te fera, m’affirma Morvax.

— Mais non mais, poursuivis-je, il est censé être comme notre papa, mais il est pas du tout comme Maman. Elle faisait pas des blagues si horrible. Elle faisait pas de blagues d’ailleurs.

Mon amie soupira, me regarda droit dans les yeux :

— Est-ce qu’on va vraiment parler de ça ? Non, Divin n’a rien d’un parent, il est juste là pour faire tourner la maison. À notre âge on a plus besoin des adultes.

— Prenons un sujet plus joyeux, proposa le garçon, on va faire des guirlandes pour renouveler la décoration cette après-midi, ça vous tente de nous aider ?

Je détournais le regard, les larmes aux yeux. Je savais que j’en faisais trop, mais je voulais juste pouvoir en discuter à mes amis. Peut-être que Lectrice n’avait plus besoin de parents, pour ma part il m’arrivait encore souvent de penser à Maman. Je n’avais toujours pas reçu de lettre de sa part. Lui manquais-je au moins un peu ou était-elle soulagée de ne plus m’avoir ?

Les jours suivants je restais sur mon lit pour lire, craignant de croiser à nouveau notre infâme directeur. Je pris ce temps pour me replonger dans ma lecture des livres Saks, en particulier le livre de la fondation et le livre de la dualité à la rédaction desquels avait participé Tristana. J’aimais ses aphorismes plus encore que ceux du Fou Vaillant. Elle ne rigolait jamais avec la mort et le sang, elle. Ce qui me choquait le plus, était qu’elle côtoyait chaque jour les autres dieux mais ne parlais jamais d’avoir des amis. Je ne comprenais pas, leur parler ne suffisait-il pas ? Quelles étaient les conditions alors ?

Quand Evade rentra, je me précipitai pour tout lui raconter. A la fin de mon histoire ses yeux papillonnaient. Il y avait sur son visage des traces de poussière et de sueur mêlée qui me faisaient me dire qu’elle méritait bien une douche. Tout de même, elle eut le courage de m’expliquer :

— Tu sais, Divin a l’humour d’un bourreau de prison. Il ne blague que pour lui-même, et souvent son rire est méchant. Contente-toi de lui parler le moins possible.

Je trouvais culotté de sa part de prétendre cela quand son humour à elle était aussi méchant.

— Et mes copains tu en penses quoi ? Tu crois que c’est des amis ?

— Comment je saurais ?

— Je sais pas, t’es bien amie avec Pié. Comment vous avez fait ?

— Oh bah… On avait le même âge, on discutait tous les jours, puis avec le temps il est devenu mon confident et inversement. On se fait confiance tu vois ?

Je hochai vivement la tête. Confidence et confiance, deux notions que j’avais omises. J’essayais de conclure positivement ; j’avais trouvé de potentiels amis, mais nous avions encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir les considérer comme tels.

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