7 : Adieu aux guides
"Adieux."
Tristana, Livre d'Adriane.
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« Chère Maman, cela fait six mois et je n’ai toujours pas de nouvelles de toi. Tu as dû perdre le papier avec mon adresse, ce n’est pas grave je vais t’écrire du coup. … »
La lettre s’arrêta abruptement quand je réalisais que je ne connaissais pas l’adresse de Maman. Je savais que la maison était dans les bois de vastepin, dans un village de bucheron, mais c’était tout. Heureusement le postier d’avenir, lui, se souvenait et il me renseigna le nom du village : Mort-furets. Le numéro de la maison par contre… Il l’avait oublié, moi aussi, Piéconfus aussi. Alors j’écris sur l’enveloppe : « Mort-furets, village de la communauté de village de vastepin, maison d’Aragnis, pour Aragnis, la grande bucheronne avec la porte fêlée sur le côté. Enfin la maison a une porte, pas Aragnis, bref. » Le facteur allait bien trouver, il n’était pas con.
J’hésitais quant au contenu de ma lettre, je ne savais pas trop si je voulais la rassurer en disant que j’étais heureuse ou si je voulais la supplier de venir me chercher. J’y réfléchis plusieurs jours jusqu’à ce qu’une nuit, la réponse s’impose d’elle-même.
Cela commença par de petits bruits, comme les pattes d’un animal sur le carreau. Je compris tout de suite ce qu’il se passait et sourit dans l’obscurité, remontant ma couette sous mon menton. Il pleuvait ! Pas juste les quelques gouttes qui parsemaient les fins de journées quand nous avions de la chance, une vraie pluie, comme à la maison. Et j’écoutais ce martèlement s’intensifier dans une promesse d’orage, bien au chaud sous ma couette.
La nature dehors, souriait sans doute elle aussi. L’eau allait ravir les plantes, faire revivre un peu la végétation jaunie. Et puis, elle allait s’infiltrer dans les failles jusqu’à alimenter les lacs et rivières souterrains. Grâce aux cours de géologie d’Evade, j’avais découvert qu’il y avait sous nos pieds d’immenses grottes nappées de calcaire que je rêvais de visiter.
Un premier coup de tonnerre réveilla une bonne partie de mes camarades. L’enclume nuageuse devait être tout près, car je ne comptais qu’une seconde entre l’éclair et le bruit. Les enfants commencèrent à pépier, et bientôt tout le monde fut debout. Morvax alluma sa lampe qui dévoila Riraigu, Giganti et Dorto collés à la fenêtre. Ils cherchaient à observer le spectacle dans l’obscurité, mais le rideau de pluie se faisait discret dans la nuit.
L’un d’entre eux ouvrit la fenêtre et on entendit plus nettement le déluge marteler le sol. J’appréciai l’odeur de poussière fraichement soulevée qui s’engouffra dans la pièce. Soudain, il y eut un cri d’exclamation collectif quand un éclair tomba très près, foudroyant sans doute un arbre. Je cherchais Collobasque du regard qui avait pris l’habitude depuis la cérémonie des prénoms de chercher du réconfort auprès de moi, mais elle n’avait pas peur : au contraire, elle riait aux éclats.
« Ici, il fait très beau. Est-ce que tu as pensé à boucher les fuites dans ma chambre ? Au fait, j’ai reçu mon nouveau prénom, tu vas pas le croire ! ... »
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Quand le soleil se leva, il pleuvait encore. La lueur du matin nous laissa entrevoir les fils argentés que traçaient les gouttes dans l’air. Puisque tout Antedies était réveillé, nous allâmes dans la salle de vie qui n’avait pas été aussi remplie depuis la dernière fête. Alors que je m’asseyais avec en main mon bol d’avoine, Morvax me raconta gaiement :
— Fléchdor et Cocher bont aller chasser ! Snirf… Bous savez ce que ça beut dire ? Pas d’soupe ce soir !
Sensible au froid, les fenêtres ouvertes avaient eu raison de lui ; il coulait abondamment du nez. Pas adepte du mouchoir pour autant, il renâclait à intervalle régulier, laissant les fluides visqueux s’écouler dans son œsophage. L’acidité de l’estomac, selon lui, finirait d’achever les vilains microbes qui lui envahissaient les voies respiratoires.
— Chasser ? Pourquoi aller chasser avec ce mauvais temps ? m’interrogeais-je
— Quand il pleut, snrrf, les galeries des fouisseurs jaunes se remplissent d’eau et ils sortent.
— Les fouisseurs ? Ça se mange ? C’est bon ?
Evade et Piéconfus nous rejoignirent, et entendant ma question ce dernier m’expliqua :
— Ils ont un goût de poulet.
Evade leva les yeux de son bol, furieuse. Peu de choses pouvaient la faire parler le matin, mais ça apparemment le goût des gros rats jaunes le pouvait.
— De poulet ? Mais t’as des papilles de ragondin ma parole ! Non ça a un goût bien musqué de gibier, mais un peu sucré. Ça se marie bien avec de la bière.
— On ne pourrait pas chasser les cauchères plutôt ? demandai-je. Ça, on est sûr que ça fait de la bonne viande au moins !
Elle m’avisa avec un ton qui laissait bien comprendre qu’elle me prenait pour une débile :
— Nan, trop dangereux. Quand ils se sentent en danger, ils font trembler la terre jusqu’à ce que leur prédateur tombe ou fasse demi-tour. Et si tu tombes, ils te foncent dessus et crois-moi qu’avec trois paires de défenses dans le bide tu passes pas le meilleur quart d’heure de ta vie.
— On raconte d’un jour, snirf, Fléchdor a essayé ! Son cheval a cabré quand la terre a commencé à bouger et elle a chuté, mais son pied est resté coincé dans l’étrier ! Ba lui a bousillé la cheville, snrfl.
— Elle a eu de la chance de se coincer le pied, son cheval a pu la trainer hors de portée des bêtes. Sans ça elle se faisait embrocher ! ajouta Evade
— Be suis bas sûr qu’on puisse parler de chance.
Alors que nous finissions de racler nos auges, Cocher et Fléchdor se levèrent. Tout le monde les regarda passer la porte, songeant au goût qu’auraient leurs prises. Je les admirais, intriguée par leurs dégaines ; ils avaient enfilé de grandes capes de pluie et Fléchdor portait son arc et ses flèches, que je l’avais souvent vu tirer sur le tronc d’un pauvre cerisier.
L’après-midi la pluie cessa, comme une fête qui se termine, et nous laissa dans une ambiance morose. L’intérieur du cloitre, qui avait l’habitude d’être arrosé par nos petites mains, avait accueilli la pluie à bras ouvert, mais le causse avait lui des airs de champs de bataille. La terre desséchée avait formé des croutes de battance sur lesquelles stagnaient d’immenses flaques. Des marcassins s’y roulaient gaiement tandis que leur mère grattait dans la boue.
Je m’incrustais auprès de Cordemolle dans la tourelle pour guetter la revenue des chasseurs. Voyant comme j’étais excitée elle me fit la conversation, pour patienter. Intriguée je finis par lui demander comment elle s’était retrouvée à faire le guet. Elle m’expliqua qu’en raison de sa flemme, peu de travaux lui avaient convenu autres que celui-là qui ne consistait finalement qu’à attendre dans un minimum d’effort. Et puis ça lui plaisait de regarder l’horizon. Elle me montra un chemin de terre et m’expliqua que des marchands et des voyageurs y passaient parfois, lui faisant une petite animation.
— Et tu n’as jamais envie de partir ? Tu peux ouvrir la porte toi en plus.
— Et pour aller où ? Ma famille n’a pas voulu de moi quand j’étais petite, et tu sais comme on est accueilli où qu’on aille.
— Oui, mais il y a d’autres pays. Moi je vais partir un jour, et j’irais très loin, là où on me laissera tranquille.
— Si tu le dis. Mais on est pas si mal ici. Tiens regarde, les revoilà ! On va faire une super fête, qu’est-ce que t’en dis ?
Je souris, distraite de mes pensées de fuite par l’idée du banquet. Les chevaux slalomaient entre les buis et les arbres, avec pendus aux selles de gros rats au pelage jaunâtres. En m’approchant, je constatai qu’ils avaient des pattes énormes, comme Cocher, et que leurs têtes étaient dépourvues d’yeux.
Le soir enfin je pus finir mon étude de ces étranges créatures en les goûtant. Le ragoût me laissa de prime abord circonspecte. Il sentait fort la bière et les morceaux de viande se délitaient au milieu des carottes. Finalement je me décidai à goûter. Ma conclusion était sans appel : les fouisseurs avaient un goût à peine plus musqué que le chevreuil, avec des notes de noisettes. Il fallait absolument que je l’écrive à maman.
« … et on a fait une grande fête, et c’était super. J’espère que tu fais la fête aussi avec tes copains. Bisous, réponds-moi vite, »
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