Madame la coiffeuse avait demandé un martini à Monsieur le barman lorsqu'elle s'était assise sur un tabouret au comptoir.

— Après ce que je viens d'apprendre j'ai besoin de quelque chose de fort, lui avait-elle dit.

— C'est pas les préparatifs pour la tombola de dimanche qui vous met dans cet état quand même m'dame ? À ce propos, je met un lot une télévision grand écran. L'idéal pour regarder toutes vos séries préférées !

— C'est très généreux de votre part. Non, il s'agit de toute autre chose.

— Si vous voulez parler de l'histoire de la maire et du facteur, je ne sais pas trop quoi penser. Ce matin c'est Élisabeth qui lui a ouvert la porte, et il est resté un moment avec elle.

Madame la coiffeuse réfléchit un instant et commande un deuxième martini.

— Hum... Bon sang mais c'est bien sûr ! dit-elle en claquant dans ses mains. Vous savez ce que trafique le facteur avec ces deux-là ? Eh bien il leur distribue le courrier !

En entendant prononcé ceci, Monsieur le barman, la bouteille d'alcool à la main près à la resservir, fut quelque peu décontenancé.

— Euh... je crois même que c'est là son métier... Z'êtes sûre que vous voulez un autre verre ?

— Oui. Écoutez-moi deux minutes. Supposons que quand le facteur fait sa tournée, il voit, je ne sais pas moi une lettre par exemple, dont le nom du destinataire est inconnu dans le village... Qu'est-ce qu'il fait ?

— Il la renvoie à l'expéditeur, c'est sûrement une erreur.

— Eh bien non ! Il se renseigne sur qui est cette personne, surtout quand il voit l'adresse qui elle est connue. Celle-ci a des amis pas très très nets voyez, donc elle se cache, et c'est là qu'il entre en jeu ! Monsieur le barman secoua la tête, il ne saisissait pas de quoi lui parlait sa cliente.

— Désolé, mais j'comprends toujours rien à c'que vous m'dites m'dame.

— Faites un effort enfin ! Je vous dis quand on veut dissimuler son identité pour... euh... diverses raisons.

— Ah ! Comme quand on est en cavale ? Comme dans les films ?

— Oui, voilà c'est ça. On se réfugie quelque part pour se faire oublier, et là, quelqu'un découvre la vérité. Et cette personne est...

Elle tendit les bras pour laisser son interlocuteur terminer la phrase.

— Le facteur ? répondit hésitant Monsieur le barman.

— Exactement ! Vous voyez que vous comprenez.

Madame la coiffeuse finit son deuxième verre mais ne demeura pas silencieuse très longtemps.

— Mais dites-moi, ajouta-t-elle. Bon pas de secrets entre nous, je sais tout pour votre tripot clandestin. Il joue des grosses sommes non, notre cher facteur ?

— Euh... Oui... assez conséquentes, balbutia Monsieur le barman.

— C'est bien ce que je pensais, oui je sais je suis un génie. Et vous ne vous demandez pas d'où vient cet argent ? De son salaire ? Ce ne serait pas le fruit d'un petit chantage plutôt ?

Monsieur le barman fut déconcerté par la déduction de Madame la coiffeuse.

— Qu'est-ce vous dites ? Un maître-chanteur ? Ah non, je ne veux pas quelqu'un de malhonnête dans mes tournois de cartes, ça ferait désordre. Vous imaginez ma réputation après ?

— Pour l'instant ne changez rien à vos habitudes, d’accord ? Ensuite on avisera. Et surtout, motus sur cette conversation, c'est clair ?

— Oui, m'dame. J'vous sers un aut'verre ? Par contre j'ai plus d'olives, il n'y a pas d'autres clients je vais aller en acheter à l'épicerie.

— Non merci. Vous ne devinerez jamais qui a pris rendez-vous cet après-midi pour une petite coupe : Monsieur Blanc ! Je file déjeuner et ensuite au salon. D'ailleurs, je me demande avec qui il viendra dimanche... Oh quelle semaine, ça n'arrête pas !